Actu-tendance n° 670

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Le salarié dont le licenciement est déclaré nul a en principe droit à la  réintégration dans son poste, et à une indemnité d’éviction pour les salaires dont il a été privé entre le licenciement et la réintégration.
Cette indemnité d’éviction doit-elle inclure la participation et l’intéressement que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé pendant la période d’éviction ?

Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-16.008

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité de conseiller clientèle a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Il a saisi la juridiction prud’homale afin que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement nul, et que l’employeur soit condamné à lui payer des indemnités et des dommages-intérêts.

La Cour d’appel a prononcé la nullité du licenciement. Elle a considéré qu’il était intervenu en raison de l’état de santé du salarié et a ordonné sa réintégration. Néanmoins, elle a décidé d’exclure du montant de l’indemnité d’éviction les sommes au titre de l’intéressement et la participation que le salarié réclamait.

Le salarié s’est pourvu en cassation soutenant que son indemnité d’éviction devait comprendre les sommes qu’il aurait perçu au titre de l’intéressement et de la participation  s’il avait travaillé pendant la période d’éviction.

Il n’obtient pas gain de cause sur ce point. La Cour de cassation juge que les sommes réclamées au titre de l’intéressement et de la participation ne constituaient pas des salaires. En conséquence, ces sommes devaient être exclues du calcul de l’indemnité d’éviction.

La Cour de cassation rappelle également dans cet arrêt que le salarié peut prétendre à ses droits aux congés payés au titre de la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, sauf lorsqu’il a occupé un autre emploi durant cette période.

Note : C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la question de l’exclusion des sommes au titre de l’intéressement et de la participation dans le calcul de l’indemnité d’éviction.

Concrètement, si une indemnité d’éviction est due à un salarié, il ne pourra pas prétendre aux sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation, et cette indemnité s’accompagnera d’une indemnité compensatrice de congés payés, évaluée forfaitairement à 10% du montant de l’indemnité d’éviction, sauf lorsque le salarié a repris un emploi durant cette période.

Rappel : L’article L. 1226-4 du Code du travail prévoit que lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. 
Cette obligation s’impose-t-elle lorsque le salarié est placé en arrêt maladie après sa déclaration d’inaptitude ?
L’employeur qui verse le salaire au salarié pendant cette période doit-il déduire des salaires les IJSS perçues par le salarié ?

Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-19.956

Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en juillet 2016. L’avis d’inaptitude mentionnait que le salarié était « inapte à tous les postes », avec danger immédiat, au sein de l’entreprise qui l’employait.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale en contestation de ce licenciement et a demandé diverses sommes à titre de rappels de salaire et indemnités.

Après sa déclaration d’inaptitude, le salarié avait produit de nouveaux arrêts de travail et n’avait manifestement pas perçu de salaire pendant la période précédant son licenciement.

La Cour d’appel a considéré que « la délivrance d’un nouvel arrêt de travail ne peut avoir pour conséquence juridique d’ouvrir une nouvelle période de suspension du contrat de travail et de tenir en échec le régime juridique applicable à l’inaptitude ». En conséquence, l’employeur aurait dû reprendre le paiement du salaire un mois après la date de l’examen médical de reprise du travail dès lors que le salarié n’avait pas été licencié ni reclassé, cette somme étant fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat de travail.

Néanmoins, la Cour d’appel a jugé qu’il fallait déduire des sommes dues les indemnités journalières de sécurité sociale perçues par le salarié,  sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu’il aurait perçue s’il avait travaillé.

Le salarié s’est pourvu en cassation sur ce point. Pour lui, le rappel de salaire devait lui être versé, sans aucune déduction.

La Cour de cassation lui a donné raison en jugeant qu’en l’absence d’une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l’employeur doit verser au salarié.

En d’autre termes, le rappel de salaire est dû au salarié sans déduction des IJSS.

Note : La solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt du 16 février 2005, la Cour de cassation avait déjà jugé qu’en l’absence d’une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l’employeur doit verser au salarié (Cass. soc., 16 février 2005, n° 03-41.879).

Rappel : Un employeur ne peut en principe modifier unilatéralement le salaire contractuel, et ce, qu’il s’agisse du salaire de base, des commissions, des primes, des avantages en nature ou de toute autre indemnité.
L’employeur peut-il verser au salarié une prime à un taux inférieur à celui fixé dans le contrat de travail du salarié en tenant compte de la non-atteinte de ses objectifs, alors que le contrat de travail ne prévoit pas expressément cette variation ?

Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-14.473

Dans cette affaire, un salarié a été engagé par une société en mars 2013 en qualité d’expert en assurance.

Ayant démissionné en octobre 2018, il a saisi la juridiction prud’homale d’une action en paiement de diverses sommes au titre de l’exécution de son contrat de travail, et notamment un rappel de salaire au titre d’une prime de qualité.

Une clause insérée  dans son contrat de travail prévoyait que « le salarié bénéficiera d’une prime sur objectifs trimestrielle de 7 % applicable sur son taux de commissionnement ». L’employeur avait néanmoins appliqué des taux variants de 5 à 6 %, en considération des objectifs de qualité qui étaient atteints et de ceux qui ne l’étaient pas par le salarié.

La Cour d’appel a débouté le salarié en retenant que celui-ci était mal fondé à demander ce rappel dès lors qu’il avait été intégralement rempli de ses droits au titre de la prime de qualité et que les taux variables appliqués par l’employeur étaient justifiés par les niveaux de réalisation des objectifs qui n’étaient pas tous atteints.

Le salarié s’est pourvu en cassation et a obtenu gain de cause.

La Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait dénaturé les termes de la clause stipulée au contrat de travail du salarié en statuant ainsi. Dès lors que le contrat de travail prévoyait une prime de 7% sans autre précision, l’employeur aurait dû la verser sans tenir compte de l’atteinte des objectifs.

Note : Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle l’interdiction pour le juge de dénaturer une clause claire et précise d’un contrat. Solution antérieurement adoptée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 8 septembre 2021 (Cass. soc., 8 septembre 2021, n° 20-13.900).

Rappel : La Cour de cassation juge depuis longtemps que l’obligation de payer le salaire dû au salarié incombe à l’employeur, et il lui appartient d’établir qu’il a exécuté son obligation (Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-44.981).
La Cour de cassation illustre une nouvelle fois cette règle dans une décision du 1er mars 2023 concernant le paiement des indemnités de congés payés.
La mention du paiement des congés payés sur le bulletin de paie suffit-elle à faire présumer que l’employeur a effectivement rempli son obligation ?

Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-19.497

L’affaire concerne une salariée, engagée en qualité de responsable de site. À la suite de son affectation sur un nouveau site, en application d’une clause de mobilité insérée dans son contrat de travail, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter notamment le paiement de son indemnité compensatrice de congés payés.

Les juges du fond ont considéré que la salariée avait été remplie de ses droits dès lors que :

  • ses bulletins de paie mentionnaient l’indemnisation des congés payés au titre de l’année précédente (29 jours), et au titre de l’année en cours (13 jours) ;
  • la salariée n’avait pas contesté les mentions des fiches de paie.

La salariée s’est pourvu en cassation. Pour elle, « l’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le salarié ne fait pas présumer le paiement des sommes qui y figurent ».

La Cour de cassation lui a donné raison en statuant au visa de l’article 1353 du Code civil qui dispose que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

Elle en déduit qu’en l’espèce, il appartenait à l’employeur, débiteur de l’obligation de paiement de l’intégralité de l’indemnité due au titre des jours de congés payés, d’établir qu’il avait bien exécuté son obligation.

Note : Il résulte de cet arrêt que la mention sur les bulletins de paie du paiement de sommes diverses ne fait pas présumer que l’employeur a effectivement versé lesdites sommes. En cas de contentieux, il devra apporter la preuve qu’il s’est affranchi de son obligation de paiement.

La Cour de cassation avait également rappelé cette solution à propos du paiement d’une prime dans un arrêt du 21 avril 2022 (Cass. soc., 21 avril 2022, n° 20-22.826).

Législation et réglementation

Dans une décision du 17 février 2023, publiée au journal officiel du 5 mars 2023, le Conseil d’Etat a relevé une contradiction dans le chapitre intitulé « les investigations sur support dématérialisé » de la charte du cotisant contrôlé, avec les dispositions actuelles du Code de la sécurité sociale et a en conséquence annulé ces dispositions.

L’article R. 243-59-1 du Code de la sécurité sociale dispose que  : « Lorsque les documents et les données nécessaires à l’agent chargé du contrôle sont dématérialisés, il peut, après avoir informé la personne contrôlée par écrit, procéder aux opérations de contrôle par la mise en œuvre de traitements automatisés en ayant recours au matériel informatique utilisé par la personne contrôlée. A la demande de l’agent chargé du contrôle, la personne contrôlée met à disposition un utilisateur habilité pour réaliser les opérations sur son matériel. »

À compter de la date de réception de la demande de l’agent chargé du contrôle, la personne contrôlée dispose de quinze jours pour s’opposer par écrit à la mise en œuvre de traitements automatisés sur son matériel et met en œuvre les moyens afin que l’agent dispose des copies des documents et données nécessaires à l’exercice du contrôle.

Ainsi, le traitement doit être d’abord réalisé sur le matériel de la personne contrôlée et, seulement en cas de refus ou d’impossibilité, sur le matériel de l’agent chargé du contrôle.

La version de la charte du cotisant contrôlé applicable depuis le 1er janvier 2022  précisait que « lorsque les documents et les données nécessaires à l’agent chargé du contrôle sont dématérialisés, les opérations de contrôle peuvent être réalisées par la mise en œuvre de traitements automatisés sur son matériel professionnel ».

Si l’entreprise s’oppose par écrit au traitement automatisé par l’agent, ou en cas d’impossibilité, la charte précisait également qu’elle devait :

  • réaliser elle-même les traitements sur son propre matériel puis produire les résultats au format et dans les délais indiqués par l’agent en charge du contrôle;
  • ou autoriser l’agent chargé du contrôle à procéder lui-même (ou par l’intermédiaire d’un utilisateur qu’elle aura désigné), sur le matériel de l’entreprise, aux opérations de contrôle par la mise en place de traitements automatisés.

Il ressortait de cette rédaction que les investigations sur support dématérialisé devaient être réalisées d’abord sur le matériel professionnel de l’agent chargé du contrôle à partir de copies fournies à ce dernier par le cotisant contrôlé et, seulement en cas d’impossibilité ou de refus, sur le matériel du cotisant.

Le Conseil d’Etat a annulé le paragraphe de la charte du cotisant contrôlé relatif aux investigations sur support dématérialisé. Il a considéré que cette rédaction de la charte sans rappel de la procédure prévue par l’article R. 243-59-1 du Code de la sécurité sociale, selon laquelle il peut être recouru au matériel informatique utilisé par la personne contrôlée et le droit pour cette dernière de s’y opposer, méconnaît le sens et la portée des dispositions de l’article R. 243-59-1 du Code de la sécurité sociale.

Pour aider les entreprises impactées par la guerre en Ukraine à faire face aux difficultés économiques, le Ministère du travail a prévu la possibilité de recourir à l’activité partielle (AP) et à l’activité partielle de longue durée (APLD) pour « circonstances exceptionnelles ». À cet effet, une série de Questions/Réponses (Q/R) a été mise en ligne depuis le 16 mars 2022 sur le site du Ministère du travail, décrivant les conditions dans lesquelles ces entreprises peuvent recourir à ces deux dispositifs.

Dans une mise à jour datée du 9 février 2023 de son Q/R, des précisions ont notamment été données sur les demandes d’autorisation préalable de placement en activité partielle pour ce motif :

  • la hausse des prix du gaz et de l’électricité peut être retenue comme motif suffisant permettant le recours à l’activité partielle de droit commun sur le motif « autres circonstances exceptionnelles – conséquences du conflit en Ukraine », à condition que l’entreprise soit très fortement affectée par la hausse des prix du gaz et/ou de l’électricité ;
  • l’entreprise doit justifier :
    • avoir des achats de gaz et/ou d’électricité atteignant au moins 3 % de son chiffre d’affaires;
    • et subir une baisse d’excédent brut d’exploitation (EBE) par rapport à l’année précédente, à la date de la demande (par rapport à 2022 si la demande porte sur l’année 2023).

Le respect de ces conditions cumulatives devra être attesté par un document établi par un tiers de confiance (expert-comptable ou commissaire aux comptes), déposé par l’entreprise lors de la demande d’activité partielle, et accompagné des documents comptables ayant permis au tiers de confiance de l’établir.

Le placement en activité partielle des salariés vulnérables a pris fin le 28 février 2023.

Pour accompagner les employeurs dans la perspective du retour sur site des salariés vulnérables, le Ministère du travail a publié un Questions/Réponses, mis à jour en dernier lieu le 22 février 2023.

Le Q/R précise que « le retour en entreprise des salariés vulnérables ayant bénéficié de l’activité partielle durant l’épidémie du Covid-19 doit faire l’objet d’une attention particulière de la part des employeurs ».

Le Ministère préconise aux employeurs, dans le cadre de leurs obligations de protéger la santé et la sécurité des travailleurs, de mettre en œuvre des mesures en vue d’assurer la protection sur site des salariés vulnérables telles que :

  • la mise à disposition d’un bureau individuel ou, à défaut, l’aménagement de l’espace de travail pour éviter la promiscuité ;
  • l’adaptation des horaires pour éviter les heures de pointe ou, à défaut, la prise en charge de modes de transports individuels ;
  • la vigilance sur le port du masque et le respect des gestes barrières dans les salles de réunion ou les autres espaces confinés où se trouve l’intéressé ;
  • l’aménagement d’un accès aux espaces de restauration collectifs permettant le respect des gestes barrières ou, à défaut, la recherche de solutions alternatives.

De même, le recours au télétravail avec accord du salarié est encouragé. Il est également recommandé aux employeurs, au-delà des cas dans lesquels la visite de reprise est obligatoire, d’organiser une visite médicale au retour du salarié. 

Par ailleurs, les salariés éloignés pendant une longue période de leur lieu de travail, peuvent solliciter les services de prévention et de santé au travail, qui ont aussi un rôle d’accompagnement au plan psychologique.

Enfin, le Q/R rappelle que les salariés vulnérables retournant en entreprise ne doivent pas faire l’objet de mesures discriminatoires. Toutes les décisions de l’employeur (promotion, sanctions, mutation, licenciement, formation…) devront être prises « en fonction de critères professionnels et non sur des considérations d’ordre personnel, fondées sur des éléments extérieurs au travail ».