CSE : un accord d’entreprise peut déterminer librement le nombre et le périmètre des établissements distincts à la condition que l’accord permette la représentation de l’ensemble des salariés CSE : un accord d’entreprise peut déterminer librement le nombre et le périmètre des établissements distincts à la condition que l’accord permette la représentation de l’ensemble des salariés
Par un arrêt en date du 1er février 2023 (n°21-15.371), la Chambre Sociale de la Cour de cassation consacre la liberté des négociateurs pour fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts, sous réserve toutefois que cette fixation garantisse la représentation de l’ensemble des salariés eu égard au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Lucie Vincens et Emmanuel de Montalembert, avocats au sein du cabinet actance, reviennent sur cette décision importante qui sera publiée au rapport annuel de la Cour de cassation.
Rappel des faits et des termes du débat
Pour rappel, le nombre et la composition des établissements distincts pour la mise en place du CSE relève :
- Soit d’un accord majoritaire conclu avec les délégués syndicaux (article L.2313-2 du Code du travail) ou d’un accord conclu entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des titulaires ;
- Soit d’une décision unilatérale de l’employeur (article L.2313-4 du Code du travail) à condition qu’une tentative loyale de négociation ait échoué au préalable (Cass. Soc., 17 avril 2019, n°18-22.948)
Quand le périmètre des établissements distincts est :
- Négocié par accord avec les délégués syndicaux, il n’existe pas de critères spécifiques fixés par la loi (articles L. 2313-2 et L. 2313-3) ;
- Décidé unilatéralement par l’employeur, celui-ci a l’obligation de tenir compte de l’autonomie de gestion des chefs d’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (article L. 2313-4, Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153 et n° 19-23.745).
En cas de litige :
Portant sur la décision unilatéral de l’employeur :
Portant sur un accord collectif, le contentieux relève de la compétence du juge judiciaire.
En l’espèce, le 22 juin 2018, la société Air France a signé avec les syndicats majoritaires un accord sur le dialogue social qui prévoyait, pour la mise en place du CSE, la division de l’entreprise en sept établissements distincts représentant les différents départements de l’entreprise dans les conditions suivantes :
Contestant le fait que ce découpage ne prévoyait pas un CSE spécifique aux pilotes de ligne, le syndicat des pilotes d’Air France, non-signataire de l’accord, a assigné la société Air France et les syndicats signataires devant le tribunal judiciaire de Bobigny pour demander :
- d’une part, l’annulation de cet accord ; et
- d’autre part, la mise en place d’un établissement distinct et, par conséquent, d’un CSE propres aux pilotes de ligne.
Le 18 février 2021, la Cour d’appel de Paris (19/14084) a débouté le syndicat des pilotes d’Air France de ses demandes au motif que la loi n’exige pas, pour fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts, une prise en compte de critères particuliers de sorte que les arguments du syndicat demandeur, qui établit une spécificité du métier de pilote, ne peuvent à eux seuls constituer une violation de l’ordre public alors que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements relèvent de la seule liberté des partenaires sociaux ou, à défaut d’accord, du seul employeur à partir du critère économique lié à l’autonomie de gestion des chefs d’établissement
Le syndicat des pilotes s’est alors pourvu en cassation.
La Cour de cassation consacre la liberté des négociateurs et précise le contrôle du juge
Dans son arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation reconnait tout d’abord la liberté des partenaires sociaux dans la détermination des établissements distincts par voie d’accord collectif en relevant notamment que « le législateur n’a fixé aucun critère quant à la détermination des établissements distincts dans ce cadre négocié ». Il laisse une « entière liberté aux partenaires sociaux ».
La Cour de cassation fonde sa décision sur la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 qui établit le cadre général de l’information et de la consultation des travailleurs et, notamment, l’article 5 de la directive qui indique que « les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d’accord négocié les modalités d’information et de consultation des travailleurs ».
Dans ces conditions, la Cour de cassation estime que reconnaître un contrôle du juge sur les critères retenus par l’accord pour déterminer les établissements distincts, alors que le législateur n’a défini aucun critère, serait en contradiction avec le droit communautaire.
La liberté des négociateurs n’est toutefois pas totale puisque la Cour de cassation pose une réserve, à savoir le fait que l’accord doit être de nature, « eu égard au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (…) à permettre la représentation de l’ensemble des salariés ». Article 8 suivant lequel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Principe pleinement respecté en l’espèce pour la Cour de cassation puisque la Cour d’appel a constaté que la représentation des pilotes au sein du CSE d’établissement « exploitation aérienne » est assurée :
- d’une part, par l’élection de délégués dans un collège propre constitué de 20 sièges sur les sièges de titulaires, soit une représentativité de 34 % alors même qu’ils ne constituent que 22 % des effectifs de l’exploitation aérienne ; et
- d’autre part, par l’existence dans ce comité d’une commission « santé, sécurité et conditions de travail » pour chaque catégorie de personnel, dont les pilotes.
- enfin, chaque représentant du personne au sein du CSE , y compris les délégués des pilotes, dispose de la faculté d’exercer un droit d’alerte.
Quelles sont les conséquences pratiques de cet arrêt ?
Il résulte de cet arrêt que le pouvoir de contrôle du juge est très différent selon que le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par accord d’entreprise conclu avec les organisations syndicales représentatives ou unilatéralement par l’employeur :
- En cas de décision unilatérale, le juge doit vérifier que l’employeur a tenu compte de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement ;
- En cas d’accord collectif, le juge ne peut en principe contrôler cette délimitation conventionnelle. Il doit seulement vérifier que le découpage retenu permet d’assurer la représentation de l’ensemble des salariés.
En tout état de cause, il pourrait d’ores et déjà apparaitre opportun d’intégrer, dans le cadre de futures négociations, une disposition au sein de l’accord actant du fait que les parties signataires reconnaissent expressément que le nombre et le périmètre des établissements distincts permet de garantir une représentation de l’ensemble des salariés.
Lucie Vincens
Lucie est titulaire d’un master II et du Diplôme de Juriste Conseil d’Entreprise (DJCE).
Elle travaille quotidiennement en Anglais et en Français.
Elle a pratiqué 2 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé en juin 2005 à la création du cabinet Actance.
Lucie accompagne notamment des groupes de dimension nationale et internationale à l’occasion de phases d’acquisition, de cession et de réorganisation. Elle les assiste également sur toutes les questions relevant des relations collectives et individuelles de travail.
Avocate, spécialiste en droit du travail, elle intervient dans le cadre de l’enseignement en droit social au sein du Master II DPRT de l’Université de Montpellier.