La place du handicap en entreprise : enjeux légaux de la réforme de l’OETH

Si le taux de chômage des personnes en situation de handicap est passé en cinq ans de 19% en 2017 à 13% en 2022, il reste presque deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population active et l’inclusion des personnes handicapées en entreprise progresse lentement.
La 26ème édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, qui s’est tenue du 14 au 20 novembre, était ainsi placée sous le thème « À quand le plein emploi pour les personnes en situation de handicap ? ».
La dernière réforme en la matière est issue de la Loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dite Loi « Avenir Professionnel », qui a modifié l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) avec pour objectifs principaux de :
  • favoriser dans les entreprises une politique favorable à l’emploi des personnes handicapées en privilégiant l’emploi direct des personnes handicapées,
  • et simplifier la déclaration de l’OETH, les déclarations liées à l’OETH étant dorénavant intégrées à la déclaration sociale nominative (DSN) et leur gestion confiée à l’Urssaf.
Les nouvelles règles issues de cette loi sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020, avec un aménagement du barème de la contribution jusqu’au 31 décembre 2024 (articles L. 5212-1 à 5212-17 du Code du travail ; décrets n°2019-521, 2019-522 et 2019-523 du 27 mai 2019, JO 28 mai).
Aline Clédat, Avocate Counsel au sein du Cabinet Actance, dresse un état des lieux des principaux enjeux de cette réforme pour les entreprises et des moyens prévus par le législateur pour mettre en œuvre l’OETH.

1. Principaux enjeux de la réforme de l’OETH

Le taux d’obligation d’emploi reste à 6% mais peut être révisé à la hausse tous les 5 ans

Depuis la loi du 10 juillet 987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés (TH) qui a créé l’obligation légale d’emploi des travailleurs handicapés, les entreprises d’au moins 20 salariés ont l’obligation d’employer 6% de travailleurs handicapés.

Avec la réforme, l’OETH reste fixée à 6 % pour les entreprises de 20 salariés et plus,  mais ce taux devient révisable tous les 5 ans, uniquement à la hausse (C. trav. art L. 5212-2).

Tous les employeurs doivent déclarer le taux d’emploi de travailleurs handicapés

Toutes les entreprises, y compris celles dont l’effectif est inférieur à 20 salariés, doivent désormais déclarer mensuellement via la DSN le nombre de travailleurs handicapés employés (même si seuls les employeurs de 20 salariés et plus restent assujettis à l’OETH de 6 %).

L’assujettissement à l’obligation d’emploi se fait au niveau de l’entreprise et non plus établissement par établissement

L’OETH s’apprécie dorénavant au niveau de l’entreprise, et non plus au niveau de l’établissement.

Ce changement conduit mécaniquement à inclure dans l’OETH des entreprises qui en étaient exclues et à augmenter le nombre de travailleurs handicapés à employer pour respecter l’OETH. Par exemple, les effectifs des établissements s’additionnent désormais à l’effectif du siège.

Des modalités transitoires sont prévues pour limiter, jusqu’en 2024, l’augmentation de la contribution des entreprises du fait de l’application de cette mesure (cf. infra 3.).

Quelle que soit la nature du contrat conclu, tout travailleur handicapé* est comptabilisé en moyenne annuelle au prorata de son temps de travail sur l’année. L’objectif du législateur est d’encourager l’emploi de travailleurs handicapés sous toutes ses formes (CDI, CDD, contrat aidé, intérim, stage, période de mise en situation professionnelle). Les bénéficiaires de 50 ans et plus sont par ailleurs affectés d’un coefficient de valorisation de 1,5.

*Sont considérés comme travailleur handicapé (C. trav., art. L. 5212-13) :

  • Les travailleurs reconnus handicapés (RQTH) par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ;
  • Les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 % et titulaires d’une rente ;
  • Les titulaires d’une pension d’invalidité à condition que cette invalidité réduise ses capacités de travail d’au moins 2/3 ;
  • les anciens militaire et assimilés qui perçoivent une pension militaire d’invalidité ;
  • les sapeur-pompier volontaires qui perçoivent une allocation ou une rente d’invalidité attribuée en raison d’un accident survenu ou d’une maladie contractée en service.
  • Les personnes en possession de la carte mobilité inclusion (CMI) mention invalidité.
  • Les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

La priorité donnée à l’emploi direct

Depuis le 1er janvier 2020, l’OETH ne peut être remplie que de trois façons :

  • l’emploi direct de personnes handicapées ;
  • l’application d’accords agréés en faveur des travailleurs handicapés (cf. infra 2.) ;
  • le paiement de la contribution Agefiph (cf. infra 3.).

La réforme privilégie ainsi l’emploi direct de travailleurs handicapés (art. L. 5212-6 du Code du travail).

2. Focus sur la mise en œuvre de l’OETH par la conclusion d’un accord collectif agréé

L’employeur peut s’acquitter de son obligation d’emploi en faisant application d’un accord agréé prévoyant la mise en place d’un programme pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés (C. trav., art. L. 5212-7).

Cet accord peut être conclu au niveau de la branche, du groupe ou de l’entreprise.

Depuis le 1er janvier 2020, la durée de l’accord agréé est désormais limitée à 3 ans, renouvelable une fois seulement. L’objectif du législateur est de redynamiser ce type d’accord et d’en faire un outil destiné à initier une politique ressources humaines favorable à l’emploi des travailleurs handicapés dans l’entreprise (C. trav., art. R. 5212-12 à R. 5212-19).

Pour que l’accord soit agréé, le programme pluriannuel doit comporter un plan d’embauche et un plan de maintien dans l’emploi dans l’entreprise (C. trav., art. R. 5212-12).

Ces plans doivent être assortis d’objectifs, notamment, pour chaque année d’exécution du programme :

  • le nombre de bénéficiaires de l’OETH (BOETH) rapporté à l’effectif d’assujettissement
  • et le nombre de ces bénéficiaires dont le recrutement est envisagé.

Ils doivent également préciser le financement prévisionnel des différentes actions programmées. Ce montant est au moins égal, par année, au montant de la contribution Agefiph, à l’exclusion des dépenses déductibles.

Lorsque le programme comporte des actions de sensibilisation des salariés de l’entreprise ou des actions de pilotage et de suivi, les sommes consacrées au financement de ces actions ne peuvent excéder 25 % du total des sommes consacrées au financement des actions prévues par l’accord.

L’employeur doit dresser chaque année un bilan de la mise en œuvre de l’accord et le présenter au CSE ou au comité de groupe (C. trav., art. R. 5212-16).

  • Au terme de l’accord (le cas échéant après son renouvellement), l’entreprise ne sera plus exonérée de contribution.
  • Dans l’esprit du législateur, l’objectif est ensuite que les partenaires sociaux poursuivent la dynamique de dialogue social, par exemple en inscrivant le thème du handicap dans le cadre d’accords sur la qualité de vie au travail.

3. Focus sur la mise en œuvre de l’OETH par le versement d’une contribution annuelle

Modalités de calcul de la contribution annuelle

Lorsque l’employeur n’atteint pas le taux d’obligation par l’emploi direct de bénéficiaires de l’OETH, il doit verser une contribution au bénéfice de l’Agefiph pour chacun des bénéficiaires de l’obligation qu’il aurait dû employer. Depuis le 1er janvier 2020, cette contribution est recouvrée par l’Urssaf (C. trav., art. L. 5212-9 et L. 5212-10).

La contribution est égale au nombre de travailleurs handicapés manquants multiplié par (C. trav., art. D. 5212-20) :

  • 400 fois le Smic horaire brut pour les entreprises de 20 à moins de 250 salariés ;
  • 500 fois le Smic horaire brut pour les entreprises de 250 à moins de 750 salariés ;
  • 600 fois le Smic horaire brut pour les entreprises d’au moins 750 salariés.

Le multiplicateur peut être porté à 1500 fois le Smic horaire brut pour les employeurs qui, pendant une période supérieure à trois ans (C. trav., art. D. 5212-21) :

  • n’ont employé aucun travailleur handicapé bénéficiaire de l’obligation d’emploi ;
  • ou n’ont pas conclu de contrats de fournitures, de sous-traitance ou de services pris en compte au titre de l’obligation d’emploi ;
  • ou n’ont pas conclu d’accord agréé.

Période transitoire 2020-2024

Pour compenser le fait qu’à partir de 2020, l’OETH s’applique au niveau de chaque entreprise d’au moins 20 salariés et non plus au niveau de chaque établissement, le montant de la contribution est aménagé au cours d’une période transitoire pour les années 2020 à 2024, afin de réduire la hausse de la contribution Agefiph engendrée par ce nouveau décompte.

Dépenses déductibles

La Loi Avenir Professionnel a redéfinit les dépenses déductibles de la contribution, en trois catégories :

  • La déduction ECAP

Cette déduction est liée aux emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières (ECAP) (C. trav., art. D. 5212-24 ; liste des ECAP fixée à l’article D. 5212-25 du Code du travail).

La déduction est égale à annuel moyen des ECAP de l’année de référence multipliée par 17 fois le Smic horaire brut en vigueur pour l’année N.

  • Les déductions liées à la sous-traitance

Les dépenses relatives aux contrats de fourniture, de sous-traitance ou de prestations de services que l’employeur auprès des entreprises adaptées (EA), établissements ou services d’aide par le travail (ESAT), avec des travailleurs handicapés indépendants (TIH) ou des entreprises de portage salarial (EPS).

Les modalités de calcul sont simplifiées avec l’application d’un taux unique de 30 % du coût de la main-d’œuvre, dans la limite d’un plafond qui dépend du nombre de BOETH employés ;

    • Si le taux d’emploi < 3 % : Montant déductible plafonné à 50% du montant de la contribution brute avant déduction
    • Si le taux d’emploi ≥ 3 % : Montant déductible plafonné à 75% du montant de la contribution brute avant déduction.

En pratique, plus l’entreprise emploie de travailleurs handicapés, plus le plafond des dépenses déductibles au titre de la sous-traitance est élevé, ce qui vise à favoriser la complémentarité entre les formes d’emploi de travailleurs handicapés.

  • Les dépenses directes

Enfin, certaines dépenses directes effectuées par l’employeur pour l’emploi des personnes handicapées dans l’entreprise donnent droit à une réduction du montant de la contribution.

Ces dépenses ont été redéfinies par la loi Avenir Professionnel afin de simplifier le dispositif en réduisant le nombre de dépense déductibles, et de valoriser les politiques RH favorisant l’embauche et le maintien en emploi des travailleurs handicapés.

Ces dépenses sont les suivantes (C. trav., art. D. 5212-23) :

    • la réalisation de diagnostics et de travaux favorisant l’accessibilité des locaux de l’entreprise aux travailleurs handicapés

Exemple : installation d’un ascenseur

    • la mise en œuvre de moyens humains, techniques ou organisationnels pour le maintien dans l’emploi ou la reconversion professionnelle de salariés handicapés, à l’exclusion des dépenses déjà prises en charge ou faisant l’objet d’aides financière délivrées par d’autres organismes ;

Exemples : coût d’un ergonome, coût d’une aide à la communication par exemple interprète Langue des Signes, coût lié à une reconversion interne, financement de tout ou partie de prothèses, orthèses ou fauteuils roulants, contribution à l’aménagement d’un véhicule personnel ou l’acquisition d’un véhicule personnel aménagé, et/ou au coût d’adaptation des épreuves du permis de conduire

    • les prestations d’accompagnement des bénéficiaires de l’obligation d’emploi, aux actions de sensibilisation et de formation des salariés réalisées par d’autres organismes pour le compte de l’entreprise afin de favoriser la prise de poste et le maintien en emploi des bénéficiaires de l’obligation d’emploi.

Exemples : job coaching, modules de formations notamment pour les managers et filière RH

L’employeur peut déduire ces dépenses du montant de sa contribution annuelle, au prix hors taxes, dans la limite de 10 % de la contribution OETH brute avant déduction.

Les contraintes légales visent à favoriser le recrutement et l’inclusion des personnes en situation de handicap. Dans ce contexte, les entreprises ont tout intérêt à faire un état des lieux exhaustif de leurs pratiques en la matière.

La négociation d’un accord collectif est une opportunité pour dynamiser leur politique RH en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés tout en remplissant leurs obligations juridiques vis à vis de l’OETH.

En cas de paiement de la contribution à l’Agefiph, une étude précise des dépenses directes déductibles a vocation à être menée en portant une attention particulière aux leviers positifs pour l’entreprise, notamment en terme de RSE.

Aline Clédat
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