Harcèlement moral : une délimitation des contours de l’enquête interne précisée

Par un arrêt en date du  1er juin 2022 (n°20-22.058), la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser qu’une enquête confiée à la Direction des Ressources Humaines, ayant conduit à l’audition de seulement 8 personnes sur 20 et dont les critères de sélection des témoins n’étaient pas connus, ne pouvait pas justifier la mise à l’écart par les juges du fond de cet élément de preuve.
Chloé Bouchez et Camélia Bessaoud, avocates associée et collaboratrice au sein du cabinet Actance reviennent sur les apports de cet arrêt.

L’absence de cadre légal en présence d’une enquête harcèlement moral

Les contentieux relatifs au harcèlement moral ne cessent de progresser, impliquant une vigilance toute particulière quant aux mesures devant être prises par l’employeur informé d’une situation de harcèlement moral à l’encontre d’un de ses salariés.

Conformément aux articles L.1152-4, L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, l’employeur confronté à une situation de harcèlement moral, est tenue de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements, sous peine d’engager sa responsabilité civile et même pénale.

Ainsi, en présence d’une dénonciation de faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral, l’employeur est tenu d’organiser une enquête interne afin d’établir la matérialité des faits allégués (Cass. soc., 27 nov. 2019, n°18-10.551).

Si la Direction Générale du Travail a mis à disposition un guide pratique relatif aux situations de harcèlement sexuel et agissement sexistes, le harcèlement moral est quant à lui dépourvu de tout cadre législatif et réglementaire.

Seule la jurisprudence est venue, par le biais de plusieurs décisions, délimiter les contours de l’enquête harcèlement, consacrant notamment le fait que :

  • n’entendre qu’une partie des collaborateurs prétendues victimes du salarié auquel il est reproché des faits de harcèlement moral, ne remet pas nécessairement en cause l’enquête diligentée eu égard à l’exigence d’impartialité et d’exhaustivité de celle-ci (Cass. soc. 8 janv. 2020, n°18-20.151) ;
  • s’il incombe à l’employeur de mener une enquête interne impartiale en présence de faits de harcèlement moral ayant été dénoncés, celle-ci peut néanmoins se faire à l’insu du salarié mis en cause sans que cela ne constitue un mode de preuve déloyal (Cass. soc., 17 mars 2021, n°18-25.597).

L’apport de l’arrêt en date du 1er juin 2022

Tout récemment, la jurisprudence a affiné les contours de l’enquête interne dans le cadre d’une dénonciation de faits de harcèlement moral. 

Dans cette affaire, alors qu’un salarié avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave en raison de faits de harcèlement moral, la Cour d’appel a écarté l’enquête interne pourtant diligentée par l’employeur, estimant ainsi que cette rupture était dépourvue de cause réelle, eu égard aux motifs suivants :

  • l’enquête a été confiée à la Direction des Ressources Humaines et non au Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) compétent à l’époque, remplacé à présent par le Comité Social et Economique (CSE) ;
  • seules 8 personnes sur 20 ont été interrogées ;
  • les critères de sélection des témoins demeurent inconnus.

Le 1er juin 2022, après avoir rappelé au visa de l’article 455 du Code de procédure civile que tout jugement doit être motivé et que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes des parties, sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l’enquête menée en l’espèce par l’employeur sans participation du CHSCT compétent à l’époque des faits devait être jugée valable.

En effet, la Cour de cassation a considéré que les motifs retenus par la Cour d’appel comme devant conduire à écarter l’enquête des débats n’étaient pas pertinents.

Cet arrêt permet ainsi de mettre en exergue deux enseignements particulièrement intéressants pour les employeurs confrontés à une situation de harcèlement moral, à savoir :

  • L’audition de l’ensemble des salariés du service auquel appartient le salarié présumé auteur de fait de harcèlement moral n’est pas impératif :

Dans la droite lignée de son arrêt du 8 janvier 2020 susvisé, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme qu’il n’est pas nécessaire d’entendre l’ensemble des personnes composant le service au sein duquel travaillait le salarié accusé de faits harcèlement moral.

Il convient toutefois de faire preuve d’une grande vigilance sur ce point. En l’espèce, l’employeur avait justifié sa méthode devant la Cour d’appel en précisant que si l’ensemble des collaborateurs n’avaient pas été entendus, ceux situés au plus proche de l’auteur présumé des faits et de la présumée victime avaient été auditionnés.

Force est de constater que la pertinence des personnes auditionnées dans la cadre d’une enquête interne sera nécessairement appréciée par les juges du fond en cas de contentieux, impliquant ainsi une certaine cohérence quant à la méthode de sélection utilisée.

  • La présence des représentants du personnel peut être écartée :

La chambre sociale de la Cour de cassation consacre par le biais de cet arrêt qu’il n’est pas nécessaire que les représentants du personnel soit présents, ni même associé dans le cadre d’une enquête interne diligentée dans le cadre d’une dénonciation de faits de harcèlement moral.

Cette position a par ailleurs été confirmée le 29 juin 2022 par la Haute juridiction, celle-ci n’ayant pas manqué de rappeler que le rapport d’enquête interne est un mode de preuve valide, et cela malgré le fait que seules les victimes présumées aient été entendues dans le cadre d’une audition commune et en l’absence du CHSCT compétent à l’époque des faits.

Il appartenait ainsi aux juges du fond, dès lors que l’employeur n’a pas mené d’investigations illicites, d’en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties (Cass. soc. 29 juin 2022, n°21-11.437).

A la lumière de cette décision, force est de constater que l’employeur dispose d’une certaine liberté quant aux modalités de mise en œuvre de l’enquête interne ; laquelle doit être distinguée de celle résultant de l’exercice du droit d’alerte dont disposent les élus du CSE conformément à l’article L.2312-59 du Code du travail. Dans cette hypothèse, la présence du CSE ne pourra être écartée de l’enquête diligentée par l’employeur.

Chloé Bouchez
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.

Camélia Bessaoud
Avocate | + posts