Inaptitude, dispense légale de recherches de reclassement & dispense de consultation du CSE : la logique des textes enfin consacrée

Par un arrêt en date du 8 juin 2022 (n°20-22.500), la chambre sociale de la Cour de cassation est venue confirmer, dans un cas d’inaptitude professionnelle, que lorsque l’employeur est dispensé par le médecin du travail d’effectuer des recherches de reclassement dans l’un des deux cas expressément prévus par le Code du travail, il est également dispensé de consulter le CSE avant de déclencher la procédure de licenciement.
 
Chloé Bouchez et Cristina Gomes Oliveira, avocates associée et collaboratrice au sein du cabinet actance reviennent sur les apports de cet arrêt.

Rappel des faits et de la procédure

Une salariée est reconnue inapte par le médecin du travail lors d’une visite de reprise effectuée le 6 novembre 2017, à la suite d’un accident survenu quelques mois plus tôt sur le lieu de travail. A cette occasion, le médecin du travail coche la case « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », dispensant ainsi l’employeur de procéder à des recherches de reclassement, en application des dispositions de l’article L.1226-2-1 du Code du travail.

La salariée est licenciée pour inaptitude non-professionnelle et impossibilité de reclassement par courrier en date du 30 novembre 2017. Cette dernière décide finalement le 30 avril 2018 de saisir le Conseil de prud’hommes d’Albertville d’une pluralité de demandes et notamment d’une demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement au motif que l’employeur aurait dû, selon elle, procéder à la consultation des délégués du personnel.

Elle est déboutée de cette dernière demande en première instance et interjette appel de ce jugement.

La Cour d’appel de Chambéry retient à l’inverse que l’employeur a désormais l’obligation, en cas d’inaptitude d’origine professionnelle comme non-professionnelle, de consulter les représentants du personnel « même en l’absence de possibilité de reclassement ».[1]

L’employeur est donc condamné au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l’article L.1226-15 du Code du travail.

Contestant la lecture ainsi faite des textes, la société se pourvoi en cassation et obtient finalement gain de cause sur ce point devant la Haute juridiction. La Cour de cassation retient en effet la solution inverse en affirmant clairement ce qui suit : « (…) lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel. ».

Dispense légale de rechercher des postes de reclassement et impossibilité de reclassement ne se confondent pas 

Là où la Cour d’appel de Chambéry visait, sans davantage de détails, « l’impossibilité de reclassement » invoquée par la société, la chambre sociale de la Cour de cassation prend soin d’expliciter son raisonnement en rappelant que dès lors que le médecin du travail a précisé sur l’avis d’inaptitude que « l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi », il y a lieu de considérer que l’employeur est dispensé d’effectuer des recherches de reclassement en application des dispositions de l’article L.1226-12 du Code du travail.

Rappelons que les actuels articles L.1226-2-1, en matière d’inaptitude non-professionnelle, et L.1226-12 du Code du travail, applicable en cas d’inaptitude professionnelle, disposent que l’employeur est dispensé d’effectuer des recherches de reclassement lorsque l’avis d’inaptitude mentionne expressément l’une ou l’autre de ces mentions :

  • «  tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ;
  • « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. ».

Il est vrai qu’en l’espèce le médecin du travail ne s’était pas limité à l’une de ces mentions puisqu’il précisait en réalité que la salariée était : « inapte à tous les postes de travail à la production, apte à un poste de travail allégé, de préférence à temps partiel, strictement sans exposition au bruit, aux irritants et allergisants respiratoires, à l’effort physique intense ; elle ne doit pas travailler en hauteur, ni conduire un véhicule pour le travail. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. ».

Difficile donc de déterminer si la Cour d’appel de Chambéry considérait que l’avis d’inaptitude ne s’inscrivait pas réellement dans l’un des cas légaux de dispense de recherches de reclassement ou si les juges souhaitaient véritablement imposer la consultation du CSE même en présence de l’une de ces dispenses.

En tout état de cause, il est ainsi établi que dès lors que l’une de ces mentions figure dans l’avis d’inaptitude, l’employeur sera dispensé d’effectuer des recherches de reclassement.

En pratique, il est donc simplement nécessaire de vérifier si le médecin du travail a coché l’une des deux cases de dispense désormais prévues sur les modèles d‘avis d’inaptitude pour savoir s’il est tenu ou non de procéder à des recherches de reclassement.

Un principe désormais acquis : l’employeur dispensé d’effectuer des recherches de reclassement par le médecin du travail est également dispensé de consulter le CSE

La Cour rappelle ensuite que lorsque l’employeur est dispensé, dans l’un de ces deux cas prévus par la loi, d’effectuer des recherches de reclassement, il sera en tout logique dispensé de consulter le CSE.

Il s’agit là du véritable apport de cet arrêt puisque si cette solution peut paraître évidente à la lecture des dispositions légales, l’obligation de procéder ou non à la consultation du CSE dans une telle situation restait jusqu’à présent débattue compte tenu notamment des termes employés par la Cour de cassation elle-même depuis quelques années.

Il sera rappelé que l’article L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail disposent tous deux en des termes similaires que l’employeur doit proposer au salarié déclaré inapte un autre emploi conforme aux préconisations du médecin du travail, approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé.  

Or, il y est également prévu que « cette proposition [de poste] prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. ».

Il était donc permis de croire que la consultation du CSE avait pour objectif de permettre aux élus de donner un avis favorable ou défavorable sur la ou les éventuelles propositions de poste que l’employeur souhaite présenter au salarié. Par conséquent, la logique voudrait que cette consultation ne soit pas nécessaire et donc requise lorsque l’employeur n’a pas de proposition de poste à présenter au salarié (soit en cas d’impossibilité de reclassement ou, de surcroît, en cas de dispenses de recherches de reclassement).

L’Administration avait d’ailleurs confirmé cette lecture au sujet des licenciements des salariés protégés mais uniquement en cas de dispense légale de recherches de reclassement (cf. guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés).

Plus largement, cette interprétation semblait également avoir été retenue par la Cour de cassation dès 2016 en « absence de proposition de reclassement » (Cass. Soc., 5 octobre 2016, n°15-16.782), avant d’être remise en cause par un arrêt en date du 30 septembre 2020 (n°19-16.488).  

Par ce dernier arrêt, la chambre sociale est venue exiger de l’employeur qu’il consulte le CSE même en absence de proposition de reclassement. Cet arrêt ne visait certes pas l’hypothèse dans laquelle l’employeur est dispensé d’effectuer des recherches de reclassement, comme en l’espèce, mais les termes employés par les Hauts magistrats invitaient à la prudence.

Nombreux étaient donc les employeurs qui choisissaient jusqu’à présent de consulter le CSE même en cas de dispense légale d’effectuer des recherches de reclassement par crainte d’être sanctionnés en cas de contentieux.

Désormais, il est ainsi clairement établi que si le médecin du travail choisi de dispenser l’employeur de toute recherche de reclassement au moment de la transmission de l’avis d’inaptitude, il ne sera plus nécessaire de consulter le CSE, ce qui est une marque de bon sens de la part de la Haute juridiction.

En revanche, et conformément à la jurisprudence de septembre 2020, l’employeur qui invoque une impossibilité de reclassement après des recherches de reclassement ne sera toujours pas exonéré de cette consultation.

[1] Cour d’appel de Chambéry., 22 octobre 2020, n°19/00263

Chloé Bouchez
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.

Cristina Gomes Oliveira
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