Actu-tendance n° 603
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Le départ à la retraite du salarié correspond à la situation selon laquelle le salarié quitte volontairement l’entreprise pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse (art. L. 1237-9 du Code du travail).
Le départ à la retraite doit résulter de la seule volonté claire et non équivoque du salarié. A défaut, la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 7 février 2001, n° 99-40.635).
L’employeur est-il tenu d’accepter la rétractation tardive du salarié ?
Cass. Soc., 22 septembre 2021, n° 20-11.045
Le 31 août 2012, un salarié a informé son employeur de sa volonté de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2013.
Le 3 septembre suivant, son employeur a pris acte de la décision du salarié.
Ayant appris postérieurement qu’il était atteint d’un cancer, le salarié a souhaité se rétracter pour rester dans les effectifs de l’entreprise afin de continuer à bénéficier de la mutuelle et de la prévoyance.
Il a ainsi le 27 décembre 2012 (soit presque 4 mois après) demandé à son entreprise l’annulation de sa demande de départ à la retraite, sans en expliquer la raison, ce qui a été refusé.
Le salarié a saisi la juridiction prud’homale en 2015 pour solliciter sa réintégration ainsi qu’un rappel de salaire, faisant valoir que :
- D’une part, le refus de son employeur de faire droit à sa demande de rétractation était abusif, le salarié s’estimant être victime d’une discrimination en raison de son état de santé et de ses activités syndicales lors des 4 années précédant son départ ;
- D’autre part, l’employeur a refusé le report de son départ à la retraite au seul motif de son absence de motivation.
La Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, a rejeté cette demande estimant que le refus de l’employeur de tenir compte de la rétractation tardive du salarié “ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé ou de ses activités syndicales”.
En effet, les juges ont relevé que :
- le 31 août 2012 le salarié a présenté sa volonté claire et non équivoque de quitter l’entreprise et de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2013 ;
- le salarié a demandé la rétractation de cette demande tardivement (presque 4 mois après et seulement 4 jours avant sa sortie des effectifs) en indiquant qu’il reprendrait contact avec son employeur dès que son départ à la retraite pourrait être programmé sans donner plus de précision ;
- il n’était pas établi que la société avait connaissance de l’état de santé dans lequel se trouvait le salarié.
Note : La solution rendue doit être interprétée à la lumière des faits de l’espèce ; à savoir que le salarié s’était rétracté après quelques mois et sans explication. Ainsi, il est fort possible qu’une solution différente ait été rendue par les juges si le salarié s’était rétracté rapidement et en indiquant la raison de son état de santé.
Il convient donc d’être vigilant en cas de rétractation intervenue rapidement à la suite de la demande de départ à la retraite.
Pour rappel, le Code du travail n’apporte pas de précision quant au formalisme du départ à la retraite ou de la demande de report (délai, forme etc). La convention collective ou le contrat de travail peut préciser les formalités à accomplir par le salarié. Il convient de s’y référer.
A défaut de précision, il est toujours fortement recommandé de solliciter du salarié qu’il formalise sa demande par écrit.
Rappel : La mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d’information à moins qu’il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Cass. Soc., 26 octobre 2011, n° 09-71.322).
Ainsi, même si le lieu de travail figure dans le contrat, sa modification constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et s’imposant au salarié dès lors qu’il demeure dans le même secteur géographique. Par conséquent, le refus du salarié de se soumettre aux nouvelles conditions de travail est en principe constitutif d’une faute que l’employeur a la faculté de sanctionner, le cas échéant, par un licenciement.
Le refus par le salarié d’un changement de lieu de travail imposé concomitamment à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi justifie-t-il un licenciement ?
Cass. Soc., 29 septembre 2021, n° 20-14.629
Dans cette affaire, un serveur âgé de 61 ans, travaillant dans un village de vacances depuis 39 ans et à 1 mois de la retraite, s’est vu proposer par son employeur une affectation sur un autre site situé dans le même secteur géographique alors qu’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) visant au licenciement de tous les salariés du centre où il travaillait était sur le point d’être déposé. Ayant refusé cette proposition et cessé de se présenter à son poste de travail, le salarié est licencié pour faute grave. Il conteste son licenciement.
La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle retient, en effet, que le choix d’opter pour une mutation pour ce salarié au lieu de l’inclure dans le PSE visait à éluder le versement des indemnités prévues par ledit PSE. Elle en déduit que le changement de lieu de travail imposé par l’employeur résultait d’un détournement de son pouvoir de direction.
Note : Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle de la Haute juridiction selon laquelle si la mise en œuvre d’un changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur, ce dernier doit néanmoins agir en respectant le principe de la bonne foi contractuelle.
Il convient d’être vigilant lors de la mise en œuvre de toute mobilité des salariés avant un PSE.
L’employeur qui n’utilise pas son pouvoir de direction de bonne foi risque, comme l’illustre l’arrêt du 29 septembre 2021, de ne pas pouvoir sanctionner un salarié qui refuserait un changement de ses conditions de travail.
Rappel : Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération (art. L. 1331-1 du Code du travail).
Il est de jurisprudence constante, qu’à défaut de grief nouveau, des faits sanctionnés ne peuvent faire l’objet d’une seconde sanction, l’employeur ayant déjà épuisé son pouvoir disciplinaire à l’égard des faits sanctionnés (Cass. Soc., 3 février 2004, n° 01-45.989).
Un courriel de la direction adressé à un salarié en réponse à des accusations de harcèlement constitue-t-il une sanction disciplinaire ?
Cass. Soc., 29 septembre 2021, n° 20-13.384
Dans un courriel du 21 juillet 2014, un salarié a dénoncé les faits de harcèlement dont il s’estimait victime de la part de son supérieur hiérarchique.
Le 30 juillet suivant, le président de l’entreprise lui a répondu par courriel indiquant par ce biais « préféré remettre les choses d’aplomb ».
Le salarié a été licencié pour faute grave le 15 septembre 2014.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale estimant que les faits qui lui étaient reprochés avaient déjà fait l’objet d’une sanction.
La Cour d’appel a fait droit à sa demande et a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir retenu que dans son courriel le Président :
- adressait de nombreux reproches au salarié et dénonçait son attitude ;
- indiquait vouloir « remettre les choses d’aplomb » et ce en lien avec des faits précis.
Pour les juges du fond, ce courriel allait au-delà d’une simple contestation des faits dénoncés par le salarié et devait être analysé en une sanction disciplinaire dans la mesure où il n’appelait pas d’autres explications du salarié et a été envoyé 24h avant l’engagement de la procédure de licenciement.
L’employeur ayant fait usage de son pouvoir disciplinaire dans le cadre de ce courriel, la règle selon laquelle les mêmes faits ne peuvent être sanctionnés 2 fois « non bis in idem » ne lui permettait pas de prononcer un licenciement disciplinaire pour les mêmes faits.
Contestant cette décision, l’employeur s’est pourvu en cassation en faisant valoir que le courriel du Président ne pouvait être assimilé à une sanction disciplinaire.
La Cour de cassation suit l’argumentaire de l’employeur et censure la décision d’appel sur le fondement de l’article L. 1331-1 du Code du travail.
Pour la Haute juridiction, le courriel du 30 juillet 2014 ne traduisait pas la volonté du Président de la société de sanctionner par lui-même les faits reprochés au salarié. Dès lors, l’employeur n’avait pas usé de son pouvoir disciplinaire et pouvait prononcer un licenciement pour faute grave pour ces faits.
Note : Comme le témoigne l’arrêt, il n’est pas toujours facile de savoir si une réponse ou des observations écrites de l’employeur à l’encontre d’un salarié constituent une sanction disciplinaire ou non.
La Cour a déjà jugé que constituait une sanction disciplinaire :
- la demande d’explications écrites mise en œuvre à la suite de faits considérés comme fautifs par l’employeur et donnant lieu à l’établissement de documents écrits conservés au dossier du salarié (Cass. Soc., 19 mai 2015, n° 13-26.916) ;
- un message électronique de l’employeur adressant divers reproches à un salarié et l’invitant de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure le mois suivant (Cass. Soc., 6 novembre 2019, n° 18-20.268).
Il est conseillé à l’employeur d’être vigilant dans la rédaction de la réponse écrite qu’il souhaite, le cas échéant, adresser à un salarié s’il veut se garder la faculté de le sanctionner pour les faits fautifs qu’il a commis.
Rappel : Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (C. trav. art. L 1132-3-3). Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ce principe est nul (C. trav. art. L 1132-4).
La protection contre le licenciement accordée aux lanceurs d’alerte peut-elle être écartée si le salarié concerné a diffusé le signalement auprès de salariés de l’entreprise et/ou avait connaissance des faits dénoncés depuis longtemps ?
Cass. Soc., 29 septembre 2021, n° 19-25.989
Dans cette affaire, le DRH d’une association avait dénoncé auprès du Bureau de l’association des malversations qui auraient été commises par le directeur général au détriment de l’association. Face à l’inaction de l’employeur, le DRH avait, dès le lendemain de sa réunion avec le Bureau, signalé ces malversations à plusieurs salariés. Il est alors licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant un manquement à son obligation de loyauté. Estimant qu’il est nul, le salarié conteste son licenciement.
La Cour d’appel donne raison au salarié en retenant que les faits dénoncés, dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, l’avaient été de bonne foi et que, s’ils étaient établis, ils seraient constitutifs de délits. Elle considère donc que toutes les conditions de la protection étaient réunies.
L’employeur se pourvoit en cassation. Il soutient que la protection contre le licenciement accordée aux lanceurs d’alerte ne s’applique que dans la mesure où la dénonciation :
- est effectuée auprès du supérieur hiérarchique de l’intéressé, de son employeur ou d’un référent désigné par ce dernier ;
- est effectuée de bonne foi, ce qui suppose qu’elle soit spontanée, ce qui, selon l’employeur, n’était pas le cas en l’espèce puisque le DRH avait connaissance des faits dénoncés depuis longtemps.
Les arguments de l’employeur ne sont pas suivis par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et confirme la décision de nullité du licenciement des juges du fond.
Note : Il résulte de cette décision que dès lors qu’il a respecté les conditions de dénonciation (bonne foi et faits constitutifs d’un délit ou d’un crime notamment), le lanceur d’alerte bénéficie de la protection contre le licenciement peu important ses agissements ultérieurs concernant ce signalement.
Législation et réglementation
Les dispositifs relatifs à l’activité partielle et à l’activité partielle de longue durée (APLD) continuent d’évoluer.
Deux nouveaux projets de décret envisagent de prolonger la modulation des taux de l’activité partielle et de l’APLD au-delà du 31 octobre 2021. Par ailleurs, le Ministère du travail a mis à jour le 13 octobre 2021 son Questions-réponses (QR) relatif à l’APLD.
Activité partielle
Dans les secteurs fortement touchés par la crise sanitaire, la prise en charge de l’activité partielle devrait rester intégrale jusqu’au 31 décembre 2021. C’est ce que prévoient 2 projets de décret soumis à la CNNCEFP le 15 octobre 2021.
A compter du 1er novembre 2021, toutes les entreprises devaient en principe appliquer les mêmes règles (indemnité à 60% et allocation à 36%).
Les projets de texte envisagent de prolonger le reste à charge nul au-delà de cette date (70% indemnité et 70% allocation) pour les entreprises subissant encore fortement la crise à savoir :
- les secteurs d’activité fermés administrativement ;
- les entreprises dans un territoire qui fait l’objet de restrictions sanitaires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et qui subissent une forte baisse de chiffre d’affaires ;
- les entreprises qui se situent dans la zone de chalandise spécifiquement affectée par une interruption d’activité ;
- les entreprises qui appartiennent aux secteurs particulièrement affectés par les conséquences économiques et financières de la propagation de l’épidémie de Covid-19 au regard de la réduction de leur activité en raison notamment de leur dépendance à l’accueil du public. Pour rappel, il s’agit des entreprises des secteurs protégés (annexe I ou II du décret n° 2020-810 du 29 juin 2020) qui subissent encore une très forte baisse d’activité d’au moins 80 %.
Cette échéance pourrait encore être repoussée. En effet, le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 20 octobre 2021, prévoit de proroger jusqu’au 31 juillet 2022 la possibilité de majorer les taux de prise en charge de l’activité partielle classique mais également les taux de l’activité partielle pour les salariés vulnérables et ceux contraints de garder leur(s) enfant(s).
APLD
Prolongation de la modulation
La prolongation de la modulation des taux de l’activité partielle a des répercutions en matière d’Activité partielle de longue durée (APLD).
En effet, les taux majorés de prise en charge de l’activité partielle classique s’appliquent dans le cadre de l’APLD dès lors qu’ils sont plus favorables que ceux prévus par le dispositif d’APLD. Ainsi, les entreprises les plus touchées par la crise sanitaire ayant mis en place l’APLD continueraient à bénéficier d’un taux majoré jusqu’à fin 2021.
Pour rappel, les taux applicables dans le cadre de l’APLD sont de :
- pour l’indemnité de 70 % de la rémunération antérieure brute dans la limite de 4,5 Smic;
- pour l’allocation de 60 % de la rémunération brute dans la limite de 4,5 Smic.
Dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, le Gouvernement serait également autorisé jusqu’au 31 juillet 2022, à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant l’adaptation des dispositions relatives à l’APLD.
Limite de la réduction d’activité
Pour rappel, la réduction de l’horaire de travail ne peut être supérieure à 40 % de la durée légale.
Cette limite peut être portée à 50 % sur décision de l’administration lorsque l’accord d’entreprise ou de branche le prévoit et que la situation de l’entreprise le justifie.
Le document unilatéral de l’employeur ne peut prévoir une réduction d’activité à hauteur de 50 % que si l’accord de branche le permet et sous réserve de la décision de la DDETS. A défaut, elle n’est pas possible.
Le ministère du Travail précise :
- qu’une entreprise peut demander à bénéficier de cette limite dérogatoire à tout moment auprès de la DDETS ;
- si l’accord collectif ou le document unilatéral ne prévoyait pas cette possibilité, un avenant ou une modification du document peut l’intégrer. Dans ce cas, l’avenant ou le document modificatif doit préciser directement « l’ensemble des éléments circonstanciés qui justifient la demande de dérogation ».
APLD et salariés saisonniers
Le QR relatif à l’APLD intègre le fait que les salariés saisonniers récurrents peuvent désormais être placés en APLD, comme l’a prévu l’ordonnance du 22 septembre 2021, ce qui exclut les salariés en CDDU (contrat à durée déterminée d’usage) ou en contrats saisonniers non récurrents qui pourront être couverts par le dispositif d’activité partielle, si les conditions prévues par le Code du travail sont remplies.
Un projet de décret diffusé le 14 octobre 2021 prévoit la prolongation jusqu’au 31 décembre 2021 des mesures relatives aux arrêts de travail dérogatoires et au complément employeur complétant l’indemnisation de ces arrêts de travail pour faire face à la crise sanitaire.
Ces mesures dérogatoires devant initialement cesser de s’appliquer à compter du 1er octobre 2021, cette prolongation devrait, a priori, comme cela a été le cas précédemment, s’appliquer rétroactivement à compter de cette date sans rupture de prise en charge. Le décret définitif devra confirmer cette date.
Note : Le Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 envisage de permettre au Gouvernement de prolonger ces mesures dérogatoires jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2022.
Conformément aux annonces du Gouvernement, les décrets et l’arrêté du 14 octobre 2021 officialisent la fin du remboursement systématique des tests PCR et antigéniques de dépistage de la Covid-19 depuis le 15 octobre 2021.
Concernant l’impact de cette mesure pour les entreprises, le Ministère du Travail précise, dans son QR sur le pass sanitaire et l’obligation vaccinale actualisé le 18 octobre 2021, que, pour les salariés soumis au pass sanitaire, le coût des tests PCR et antigéniques ne constitue pas un frais professionnel. L’employeur n’est, par conséquent, pas tenu de le prendre en charge.