L’accord collectif doit être interprété à la lumière des règles légales s’y rattachant

Comment une entreprise est-elle supposée interpréter un accord collectif dont les dispositions ne sont pas explicites et ne permettent pas une application claire et exempte de tout risque de contentieux ? C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu dans un arrêt en date du 14 avril 2021 (Cass. Soc., 14/04/2021, n°20-16,548).
Marie Trébuchet et Mathias Joste, Avocats du Cabinet, reviennent sur cet arrêt et partagent leurs recommandations s’agissant de la posture à adopter pour les entreprises qui pourraient être concernées.

La convention ou l’accord collectif d’entreprise est le fruit d’une négociation menée entre :

  • d’une part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ;
  • et d’autre part, l’employeur.

Dès lors, les termes utilisés au sein de l’accord collectif d’entreprise résultent de la négociation et sont librement choisis par les Parties à la négociation.

Il n’est donc pas rare que certains accords collectifs offrent des garanties supra-légales dont les conditions d’application nécessitent une interprétation des termes employés par les partenaires sociaux.

Se pose alors la question de l’interprétation des accords collectifs lorsque les dispositions prévues par ces derniers ne sont pas suffisamment claires et/ou explicites.

L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation du 14 avril 2021 répond à cette question en précisant la méthode d’interprétation des accords collectifs.

Les difficultés d’interprétation pouvant résulter des dispositions d’un accord collectif

Il ressortait d’un accord collectif du 12 avril 2019 relatif à l’exercice du droit syndical que :

  • Chaque organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise pouvait désigner jusqu’à quatre délégués syndicaux ;
  • La première et la seconde organisations syndicales représentatives ayant récolté le plus de voix pouvaient nommer en sus deux délégués syndicaux pour la première et un délégué syndical pour la seconde.

En application de cette disposition, le syndicat Unifié-UNSA a informé l’employeur de la désignation de cinq délégués syndicaux.

Le syndicat avait ainsi procédé à la désignation des quatre délégués syndicaux permise à chaque organisation syndicale représentative ainsi qu’à la désignation d’un délégué syndical supplémentaire considérant être la seconde organisation à avoir obtenu le plus de voix.

L’employeur, considérant que le syndicat n’avait pas à désigner un délégué syndical supplémentaire, a saisi le tribunal judiciaire de Nantes aux fins d’annuler les désignations réalisées par le syndicat Unifié-UNSA.

En l’absence de disposition précise sur le décompte du plus grand nombre de voix prévu par l’accord se posait alors la question de l’interprétation de cette disposition dans la mesure où :

  • Le syndicat soutenait qu’afin de définir les organisations syndicales représentatives ayant obtenu le plus grand nombre de voix, il convenait de prendre en considération le nombre total de voix obtenues par chacun des candidats présentés par les organisations syndicales ;
  • L’employeur, quant à lui argumentait qu’il fallait se référer à la loi et qu’en conséquence, le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération était le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste.

Méthode d’interprétation stricte rappelée par la cour de cassation

Face au silence de l’accord collectif, la Cour de cassation, confirmant le raisonnement suivi par le Tribunal Judiciaire, précise la méthode d’interprétation à retenir.

Dans ce cadre, la Cour de cassation rappelle que la méthode d’interprétation d’un accord collectif imprécis se fait en plusieurs étapes qui sont les suivantes :

  • Tout d’abord il convient d’avoir une lecture stricte des dispositions prévues par l’accord collectif.
  • A défaut, lorsque les dispositions ne sont pas suffisamment claires et que leur contenu ne permet pas d’en faire une application certaine, ces dernières doivent être interprétées comme la loi.

Il est alors nécessaire, dans un premier temps, de respecter la lettre du texte auquel les dispositions conventionnelles se rapportent ou, s’il n’existe pas de renvoi à un texte particulier, de tenir compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet.

  • Enfin, la Cour de cassation précise qu’en dernier recours, en l’absence de texte législatif se rattachant aux dispositions conventionnelles considérées, les Parties sont invitées à utiliser la méthode téléologique selon laquelle il convient de rechercher l’objectif social du texte.

En l’espèce, afin de pouvoir faire application des dispositions litigieuses, la Cour de cassation applique les préceptes ci-avant dégagés.

Elle en déduit qu’aux termes de l’accord, il est prévu que seules les organisations syndicales représentatives ont la faculté de désigner des délégués syndicaux.

Or, pour être représentatives au sein de l’entreprise, les organisations syndicales doivent avoir recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au CSE, quelque soit le nombre de votants. A cette occasion, le nombre de voix recueillies est le nombre de suffrage exprimés au profit de chaque liste.

En conséquence, la Cour de cassation en application de cette règle, constate que l’ordre de classement pour l’attribution des délégués syndicaux supplémentaires prévu par l’accord collectif doit être établi en tenant compte du nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste.

Dès lors, compte tenu du fait qu’en application de cette règle, le syndicat Unifié-UNSA n’était que troisième, il n’avait pas à désigner un délégué syndical supplémentaire.

Comment réagir en cas de dispositions incomplètes ou imprécises au sein de l’accord ?

Il n’est pas rare que les partenaires sociaux lors de la négociation n’anticipent pas l’ensemble des questions qui pourront se poser lors de l’application de l’accord collectif. En effet, les accords collectifs reflètent un compromis entre les partenaires sociaux à un instant donné dans l’entreprise.

  • Dès lors, en cas de difficulté, nous vous invitons à rechercher dans les textes légaux la règle à laquelle se rapporte la disposition concernée ou à défaut rechercher l’esprit initial du texte qui a prévalu au moment de la négociation entre les partenaires sociaux ainsi que sa finalité.

Bien évidemment, le Cabinet Actance se tient à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions et vous accompagner dans l’interprétation de vos accords.

Mathias Joste
Avocat Counsel | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein de laquelle il a également été chargé de travaux dirigés en relations individuelles et collectives de travail, Mathias Joste a intégré le Cabinet Actance en 2015 après une première expérience au sein du Cabinet Dupiré et Associés. Mathias accompagne des entreprises de tailles variées dans la gestion quotidienne de leurs problématiques individuelles et collectives liées à l’ensemble du droit social. Il intervient plus particulièrement à l’occasion d’opérations de réorganisations : notamment restructurations, transferts, procédures collectives.

Marie Trebuchet
Avocate | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Master 2 Droit des Relations de Travail dans l'entreprise - Université de Bordeaux