Actu-tendance n° 582
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, est comprise entre un minimum et maximum fixés dans un tableau en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et de l’effectif de l’entreprise (moins ou plus de 11 salariés).
Le juge est tenu d’appliquer ce barème dit « barème Macron » (art. L. 1235-3 du Code du travail).
Toutefois, certains juges font de la résistance et n’appliquent pas ce barème. C’est le cas récemment de la Cour d’appel de Paris (Chambre 11, Pôle 6 ) et du Conseil de Prud’hommes (CPH) de Grenoble.
CA de Paris., 16 mars 2021, n° 19/08721 et CPH de Grenoble, 25 mars 2021, n° 19/00581
Dans les 2 affaires, les juges ont écarté l’application du barème au regard de la situation particulière des salariés.
Dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris, pour écarter le barème au visa de la Convention n°158 de l’OIT, le juge relève que :
- Le préjudice financier résultant de la perte de revenus depuis le licenciement s’élevait à 32 000€ ;
- Compte tenu de l’ancienneté de la salariée (3 ans), le montant prévu par le barème, compris entre 3 et 4 mois de salaire, représentait à peine la moitié de ce préjudice financier ;
- La salariée avait 53 ans à la date de la rupture de son contrat et 56 ans à la date de l’arrêt ;
- En conséquence, le barème n’assurait pas une réparation « adéquate et appropriée au préjudice subi » visée par la Convention OIT.
Dans la seconde affaire (n° 19/00581), les juges ont estimé qu’au regard de l’âge du salarié (60 ans), de la difficulté de retrouver un emploi dans un marché de niche, de l’impossibilité de racheter l’ensemble des trimestres liés à la retraite, du caractère abusif du licenciement, l’application du barème devait être écartée dans la mesure où elle ne permettait pas une indemnisation intégrale du préjudice. Les juges ont alorsfixé à 115.000€ l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (le barème prévoyait un montant maximum de 72 800€).
Note : La décision de la Cour de cassation est attendue sur ce point, et devrait mettre un terme à ce mouvement de résistance. Pour mémoire, la Cour de cassation a d’ores et déjà rendu un avis confirmant la compatibilité du barème Macron aux stipulations de la Convention n°158 de l’OIT (avis n°15013 du 17 juillet 2019).
Rappel : Lorsque le salarié victime d’un accident du travail (AT) ou d’une maladie professionnelle (MP) est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4 du Code du travail, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social (CSE), les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise (art. L. 1226- 10 du Code du travail).
Dans le cadre du contrôle du caractère sérieux de la recherche de reclassement, le juge est-il tenu de prendre en compte les précisions apportées par le médecin du travail postérieurement à l’avis d’inaptitude ?
CE., 16 avril 2021, n° 433905
À la suite d’un accident du travail, une salariée protégée est déclarée inapte à son poste d’auxiliaire de vie et apte à un poste sédentaire, de type administratif ou d’accueil.
Après l’avis du médecin du travail, à la demande de l’employeur, le médecin a apporté des précisions sur la possibilité de reclassement et confirmé que la recherche devait s’effectuer à Colmar.
Après le refus par la salariée de 2 propositions, l’employeur l’a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l’inspection du travail.
Contestant son licenciement, la salariée a saisi le Tribunal administratif d’une demande tendant à l’annulation de l’autorisation de son licenciement.
Si le Tribunal a rejeté sa demande, la Cour administrative d’appel a annulé, quant à elle, ce jugement et la décision de l’inspection du travail.
La Cour administrative d’appel reprochait à l’employeur de ne pas avoir, après le refus par la salariée de 2 propositions, poursuivi ses recherches au-delà de Colmar. Selon les juges, l’employeur aurait dû « proposer à l’intéressée tout emploi compatible avec son état de santé, en subordonnant sa proposition de reclassement à la condition qu’elle déménage à proximité du nouveau lieu d’exécution de son contrat pour tenir compte des préconisations du médecin ».
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État censure cette décision en rappelant l’obligation de recherche de reclassement qui pèse sur l’employeur en cas d’inaptitude d’un salarié protégé.
Le Conseil d’Etat estime notamment que dans le cadre de la recherche de reclassement, « lorsqu’après son constat d’inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s’il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l’employeur ».
Or, la Cour administrative d’appel a jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir des observations du médecin postérieures à l’avis d’inaptitude, sans retenir qu’il n’y avait pas lieu de les prendre en compte.
Le Conseil d’Etat estime que le raisonnement de la Cour administrative d’appel révèle une erreur de droit.
L’affaire est renvoyée devant la Cour administrative d’appel pour être réexaminée.
Note : Les préconisations du médecin du travail doivent être prises en considération, même si elles sont postérieures à l’avis d’aptitude ou d’inaptitude. Ainsi, si le juge peut considérer qu’il n’y a pas lieu de les prendre en compte, il ne peut les écarter au seul motif qu’elles sont intervenues postérieurement à l’avis d’aptitude ou d’inaptitude. Solution logique qui préserve l’effet utile des échanges entre l’employeur et le médecin du travail sur les possibilités de reclassement post avis d’aptitude.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, le CSE peut décider de recourir à un expert technique de son choix en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle (art. L. 2315-94 et L. 2315-95 du Code du travail).
Quand doit intervenir la désignation de l’expert ? Ce dernier peut-il être désigné après l’ouverture des négociations ? L’expertise doit-elle se limiter à la négociation sur l’égalité professionnelle ? Qui finance cette expertise ?
Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-23.589
Par une délibération du 9 mai 2019, le CSE central a décidé de recourir à une expertise relative à la qualité de vie au travail incluant l’égalité professionnelle.
L’employeur a contesté cette délibération devant le TGI (devenu Tribunal judiciaire), mais il a été débouté. Contestant cette décision, l’employeur s’est pourvu en cassation soutenant que l’expertise :
- avait été votée tardivement, après l’ouverture des négociations ;
- devait être limitée au seul périmètre de l’égalité professionnelle et non porter sur la qualité de vie au travail ;
- ne devait pas être financée exclusivement par l’employeur.
I/ Sur le moment de la désignation de l’expert, la Cour de cassation estime que « la désignation de l’expert doit être faite en un temps utile à la négociation », ce qui n’exclut pas que cette expertise soit ordonnée quand bien même la négociation aurait commencé à être engagée.
En l’espèce, les faits se sont déroulés de la manière suivante :
- la négociation sur l’égalité professionnelle a débuté en décembre 2018. Elle a été suspendue du fait des élections professionnelles ayant eu lieu en janvier et février 2019 et de l’insuffisance des informations fournies par l’employeur ;
- l’employeur a transmis aux élus des compléments d’information en mai 2019 ;
- les membres élus du CSE ont décidé en mai 2019 de recourir à une expertise ;
- la négociation ne s’est finalement achevée qu’en août 2019.
Les juges ont estimé que dans ces conditions, l’expertise n’était pas tardive.
II/ Sur le périmètre de l’expertise, la Haute juridiction casse le jugement et fait droit à la demande de l’employeur : l’expertise ne peut concerner que la négociation sur l’égalité professionnelle et ne peut porter sur la qualité de vie au travail en général.
La Haute juridiction rappelle en effet que « le CSE peut, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, décider du recours à un expert en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle ».
Cette disposition est spécifiquement destinée à favoriser la négociation sur l’égalité professionnelle et « ne peut être étendue à d’autres champs de négociation ».
III/ Sur le financement de l’expertise, la Cour de cassation donne à nouveau raison à l’employeur : cette expertise doit être cofinancée par l’employeur et le CSE.
La Cour de cassation rappelle qu’en application du 1 de l’article L. 2315-80 du Code du travail, lorsque le CSE décide du recours à l’expertise en vue de la négociation sur l’égalité professionnelle, « les frais d’expertise sont pris en charge intégralement par l’employeur en l’absence de tout indicateur relatif à l’égalité professionnelle, prévu à l’article L. 2312-18 ».
Dans les autres cas, « les expertises diligentées en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle sont prises en charge à hauteur de 20 % par le comité, sur son budget de fonctionnement, et à hauteur de 80 % par l’employeur ».
En l’espèce, lesjuges n’ont pas vérifié si la BDES mise à la disposition du CSE comportait ou non les indicateurs chiffrés relatifs à l’égalité professionnelle. Le financement devait donc être partagé entre l’employeur et le CSE.
Note : Cette décision permet de cadrer les conditions d’intervention de l’expert technique en matière d’égalité professionnelle. Il incite l’employeur à être vigilant quant au moment de sa désignation et au champ d’analyse qui est confié à l’expert.
Rappel : Le nombre et le périmètre des établissements d’une unité économique et sociale (UES) sont fixés soit :
par accord d’entreprise majoritaire conclu au niveau de l’UES ;
en l’absence d’un tel accord et en l’absence de délégué syndical au niveau de l’UES, par accord conclu avec le CSE ;
en l’absence d’accord d’entreprise ou d’accord conclu avec le CSE, par décision unilatérale de l’un des employeurs mandatés par les autres. Cette décision ne peut être prise que si un accord n’a pas pu être conclu à l’issue d’une tentative loyale de négociation (Cass. soc., 17 avril 2019, n° 18-22.948).
En cas de litige portant sur la décision unilatérale, le nombre et le périmètre des établissements distincts peuvent être fixés par la Dreets (anciennement Direccte depuis le 1er avril 2021). Cette décision peut faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire (art. L. 2313-8 du Code du travail).
La conclusion d’un accord portant sur le nombre et le périmètre des établissements distincts de l’UES postérieurement à la décision de l’autorité administrative rend-elle cette décision caduque ?
Cass. soc.,17 mars 2021, n°19-21.057
Après l’échec des négociations, l’un des employeurs de l’UES a fixé à 11 le nombre d’établissements distincts au sein de celle-ci.
Un syndicat, la CGT, a contesté cette décision auprès de la Direccte, laquelle a fixé, par décision du 20 décembre 2018, à 9 le nombre d’établissements distincts.
Contestant de nouveau cette décision, le syndicat a saisi le Tribunal d’instance (devenu Tribunal judiciaire) pour obtenir l’annulation de la décision de la Direccte, en vain celuici ayant été débouté en juillet 2019. Les juges ont confirmé la décision de la Direccte. Le 29 août 2019, les entreprises appartenant à l’UES et les organisations syndicales représentatives, à l’exclusion de la CGT, ont conclu un accord entérinant la décision de la Direccte.
Malgré cet accord, la CGT, non signataire,s’est pourvue en cassation contre le jugement du Tribunal d’instance.
La Cour de cassation a rejeté sa demande estimant que « l’accord du 29 août 2019, fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts au sein de l’UES, a pour effet de rendre caduque la décision du Direccte du 20 décembre 2018 ». Dès lors, cette décision ne pouvait plus être contestée une fois l’accord collectif conclu.
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence (CE, 24 juin 1987, n° 72096 à propos du découpage en établissements distincts d’une UES pour la mise en place du comité d’entreprise). La décision rendue le 17 mars 2021 devrait revêtir une portée générale et ne pas se limiter au découpage en établissements distincts d’une UES.
Législation et réglementation
Les deux décrets ont prolongé pour le mois de mai 2021 le dispositif actuel d’activité partielle.
Ces décrets sont conformes aux projets de décret diffusés le 13 avril 2021 (Cf. actutendance n° 580).
En pratique, jusqu’au 31 mai 2021 :
- Le taux de l’indemnité d’activité partielle est maintenu à 70% de la rémunération brute dans la limite de 4.5 SMIC ;
- Les taux de l’allocation d’activité partielle restent fixés à 60% ou 70% de la rémunération brute dans la limite de 4.5 SMIC selon les entreprises.
baisse des taux devrait intervenir le 1er juin 2021 comme suit :
Par ailleurs, l’un des décrets adapte certains secteurs de l’Annexe 2 du décret n° 2020- 810 du 29 juin 2020 pour prendre en compte les domaines skiables.
Toutefois, ces taux pourraient ne pass’appliquer au 1er juin prochain. En effet, à l’issue de la réunion de concertation sur la « sortie de crise » le 22 avril dernier, la Ministre du travail a mentionné des taux différents.
Ces taux restent à confirmer dans le cadre des prochains décrets.
Le Questions-réponses pour la vaccination par les services de santé au travail a été mis à jour une nouvelle fois le 26 avril 2021.
Le QR précise que depuis le 24 avril 2021 et pour 2 semaines au moins, des créneaux dans des centres de vaccinations sont réservés aux salariés volontaires de plus de 55 ans dont les activités les amènent à être plus en contact avec le virus, afin qu’ils se fassent vacciner à l’Astrazeneca plus facilement.
La liste des métiers prioritaires est jointe au QR. Il s’agit notamment des métiers suivants :
- Conducteurs de bus ;
- Conducteurs et livreurs sur courte distance ;
- Conducteurs routiers ;
- Chauffeurs Taxi ou VTC ;
- Contrôleurs des transports publics ;
- Agents d’entretien et éboueurs ;
- Agents de nettoyage ;
- Agents de gardiennage et de sécurité ;
- Employés de commerces d’alimentation ;
- Caissiers ;
- Vendeurs de produits alimentaires dont bouchers, charcutiers, traiteurs, boulangers, pâtissiers (chefs d’entreprise inclus) ;
- Professionnels des pompes funèbres.
La vaccination se fait sur présentation d’un justificatif : attestation sur l’honneur de la personne précisant qu’elle exerce une profession prioritaire ou un bulletin de salaire mentionnant la profession exercée.
Il est important de rappeler que :
- le choix de se faire vacciner reste libre pour les salariés. L’employeur ne peut leur imposer ;
- la Ministre du travail a demandé aux employeurs des salariés identifiés comme prioritaires de leur permettre de s’absenter pour se faire vacciner.
Le salarié qui se voit confier un enfant en vue de son adoption peut bénéficier d’un congé d’adoption.
Il informe son employeur du motif de son absence et de la date à laquelle il entend mettre fin à la suspension de son contrat de travail (art. L. 1225-42 du Code du travail).
De la même manière, le salarié qui bénéficie d’un congé d’adoption internationale et extra-métropolitaine pour se rendre à l’étranger afin d’adopter un enfant doit informer son employeur avant son départ du point de départ et de la durée envisagée du congé (art. L. 1225-46 du Code du travail).
Depuis le 14 avril 2021, le salarié n’est plus tenu de délivrer ces informations par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé (art. 4 du décret).
En revanche, la lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé reste exigée lorsque le salarié entend faire annuler son licenciement dans un délai de 15 jours en produisant l’attestation justifiant de l’arrivée d’un enfant placé en vue de son adoption (art. L. 1225-39 du code du travail).
L’ordonnance du 21 avril 2021 permet aux travailleurs indépendants des plateformes de mobilité de désigner leurs représentants.
Cette ordonnance est prise en application de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.
Elle fait suite aux travaux menés par le Gouvernement avec les partenaires sociaux pour rééquilibrer les relations de travail entre les plateformes de mobilité et les travailleurs indépendants.
Elle pose les bases d’une représentation et d’un dialogue social entre les plateformes et les organisations de travailleurs indépendants dans 2 secteurs : activité des VTC (conduite d’une voiture de transport avec chauffeur) et des livraisons à vélo, scooter ou tricycle.
Dans ces deux secteurs, une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée en 2022 afin de désigner les organisations qui les représenteront les travailleurs indépendants pour 4 ans.
Les représentants désignés par ces organisations bénéficieront de garanties. Ils seront notamment protégés contrat la rupture du contrat les liant à une plateforme.
L’ordonnance crée également l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), établissement public administratif de l’État qui sera chargé de la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants et de la concertation.
L’ARPE aura pour missions :
- d’organiser l’élection nationale des représentants des travailleurs indépendants des plateformes ;
- de financer leur formation et leur indemnisation, ainsi que leur protection contre les risques de discrimination ;
- d’accompagner le développement du dialogue social et de jouer un rôle d’observatoire de l’activité des plateformes numériques d’emploi ;
- le paiement des indemnités versées aux travailleurs indépendants pour compenser la perte de chiffre d’affaires liée à l’exercice de leur mandat.
Des dispositions à venir préciseront les conditions de négociation collective entre les plateformes et les représentants des travailleurs indépendants.