Maintien des prestations de prévoyance au-delà de la résiliation du contrat d’assurance Maintien des prestations de prévoyance au-delà de la résiliation du contrat d’assurance

Depuis le 2 janvier 1990, date d’entrée en vigueur de la « loi Evin »[1], les souscripteurs et assurés de garanties collectives de prévoyance se heurtent à la difficulté de définir le fait générateur des garanties arrêt de travail et invalidité. Cela a une incidence directe sur les assurés en arrêt de travail puis classés en invalidité, et sur leur employeur qui, selon la jurisprudence, leur doit information et conseil. Compte tenu des incidences d’une indemnisation de longue durée sur les comptes des contrats de prévoyance, une bonne connaissance des règles applicables est nécessaire, tant la résolution de difficultés de prise en charge repose sur une approche juridique, mais également financière.

Pour mémoire, l’article 7 de la loi, prévoit que la résiliation du contrat d’assurance « est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution ». Cette simple phrase fait l’objet depuis près de 35 ans, de nombreux contentieux, qui ont permis à la Cour de cassation de définir la notion de fait générateur.

En effet, de jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que « les prestations liées à la réalisation d’un sinistre survenu pendant la période de validité d’une police d’assurance de groupe ne peuvent être remises en cause par la résiliation ultérieure de celle-ci. »[2]

Elle a précisé l’application de ce principe en retenant que :

  • l’assureur résilié doit prendre en charge les arrêts de travail postérieurs à la date de résiliation qui sont la conséquence de la maladie initiale survenue pendant l’exécution du contrat d’assurance, et ce même en cas de rechute survenant sous l’empire d’un nouveau contrat, après une reprise d’activité[3];
  • la garantie invalidité doit donner lieu au versement de prestations de la part de l’assureur résilié, lorsque le classement en invalidité est consécutif à un arrêt de travail qu’il a déjà pris en charge[4];
  • en cas de succession de contrats de prévoyance, il appartient à l’assureur, dont le contrat était en cours à la date où s’est produit l’évènement ouvrant droit aux prestations, de verser celles-ci, qu’elles soient immédiates ou différées[5].

Dans une décision du 7 novembre 2024 (n°23-11.055), la Cour de cassation complète sa jurisprudence en précisant que même s’il  n’a versé aucune prestation avant la résiliation du contrat d’assurance, l’assureur peut être tenu de prendre en charge un arrêt de travail ou une invalidité reconnus ultérieurement, lorsque l’état de santé qui en est à l’origine, se rattache sans aucun doute, à une situation médicale antérieure à cette résiliation.

En l’espèce, un assuré par un contrat d’assurance collective à adhésion facultative a résilié son adhésion avant de se voir remettre un certificat médical faisant état d’une pathologie antérieure à cette dénonciation rendant impossible l’exercice de sa profession. L’organisme assureur a refusé de prendre en charge le sinistre, considérant que la reconnaissance de son incapacité, qu’il considère être le fait générateur de la garantie était survenu postérieurement à la résiliation du contrat d’assurance.

Principe de maintien des prestations au-delà de la résiliation du contrat d’assurance

La Cour de cassation juge que l’organisme assureur résilié est tenu de prendre en charge les conséquences de l’affection de l’assuré au titre du contrat de prévoyance au motif que « le contrat garantissait les risques « incapacité » et « invalidité » et qu’avant la résiliation de celui-ci, [l’assuré] s’était trouvé dans l’incapacité totale de travailler en raison d’une pathologie dont les premières manifestations cliniques étaient apparues en cours de contrat. »

Dans cet arrêt, la Haute juridiction confirme une nouvelle fois l’application du maintien des prestations au-delà de la résiliation du contrat d’assurance,  en relevant que les premières manifestations cliniques de la pathologie qui étaient apparues en cours de contrat étaient suffisantes pour considérer qu’elle trouve son origine pendant l’exécution du contrat d’assurance, faisant naître le droit à prestations.

Précision de la notion d’acquisition de la garantie

La Cour de cassation a toujours admis que l’assureur puisse définir les conditions d’acquisition de la garantie. Elle précise ici, que l’organisme assureur ne sera tenu de maintenir le versement des prestations au-delà de la résiliation de son contrat que si les conditions pour faire jouer les garanties étaient remplies avant la résiliation du contrat d’assurance.

Les enseignement suivants, qui dépendent très étroitement du contenu du contrat d’assurance, de la nature et de l’étendue des garanties, ainsi que de la situation de l’assuré, peuvent être retenus de la jurisprudence :

  • si le contrat d’assurance garantit seulement le risque invalidité et que celle-ci survient postérieurement à la résiliation du contrat d’assurance, l’organisme assureur résilié n’est pas tenu de verser des prestations au titre de l’invalidité, même si celle-ci peut être médicalement rattachée à un arrêt de travail antérieur (non assuré) à la résiliation de ce contrat[6].
  • lorsque l’acquisition de la garantie incapacité est conditionnée au fait d’être cotisant pendant une durée de franchise, l’adhérent au contrat doit être resté assuré jusqu’à la date effective de la résiliation du contrat d’assurance pour que le droit aux prestations soit né et acquis.[7]

L’apport de l’arrêt du 7 novembre 2024 est de confirmer de manière encore plus claire, que l’existence d’une indemnisation antérieure par l’assureur résilié, de la même maladie ou du même accident n’est pas, en elle-même, une condition de prise en charge de l’assuré[8].

Enfin, s’il est établi que les organismes assureurs peuvent définir les conditions de leur garantie, ces conditions ne doivent toutefois pas être de nature à faire échec à l’application du principe émanant de l’article 7 de la loi Evin qui est d’ordre public. En effet, la Cour de cassation considère que les clauses qui ont pour vocation ou pour effet de supprimer les prestations dues au titre d’un risque qui s’est réalisé pendant l’exécution du contrat d’assurance doivent être réputées non écrites[9].

Application de la solution en cas de résiliation du contrat d’assurance à l’initiative de l’assuré

L’article 7 de la loi Evin visant « la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention », certaines cours d’appel ont pu retenir que ses dispositions ne s’appliquaient qu’en cas de résiliation d’un contrat d’assurance de groupe par le souscripteur[10].

En précisant dans les faits de l’arrêt du 7 novembre 2024 que l’adhésion avait été résiliée à l’initiative de l’assuré, la Cour de cassation semble reconnaître que le champ d’application de l’article 7 de la loi Evin n’est pas limité aux cas de résiliation du contrat groupe par la personne morale souscriptrice ou par l’organisme assureur, et doit s’appliquer en cas de dénonciation par les assurés, de leur adhésion à un contrat d’assurance à adhésion facultative.

***

Cette jurisprudence nourrit la réflexion qui doit nécessairement précéder la résiliation d’un contrat collectif de prévoyance, qu’elle soit à l’initiative de l’assureur ou du souscripteur, tant les incidences financières sont importantes pour les deux parties.

[1] Loi n°89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques

[2] Cass. Civ. 1ère 30 janvier 2011, n°98-17.936, Cass. Civ. 2ème 5 juin 2008, n°07-15.090, Cass. Civ. 2ème 12 avril 2012, n°11-17.355

[3] Cass. Civ. 2ème 12 avril 2012, n°11-17.355 et dans le même sens : Cass. Civ. 2ème, 17 juin 2010, n°09-15.089

[4] Cass. Civ. 1ère, 16 décembre 2003, n°02-14.731 et Cass. Civ. 2ème, 30 juin 2004, n°03-13.775, Cass. Civ. 2ème, 14 janvier 2010, n°09-1.237

[5] Cass. Civ. 2ème, 25 mai 2023, n°21-22.158 et dans le même sens : Cass. Soc. 16 janvier 2007, n°05-43.434, Cass. Civ. 2ème , 17 avril 2008, n°06-45.137, Cass. Civ. 2ème, 5 juin 2008, n°07-15.090

[6] Cass. Civ. 2ème, 3 mars 2011, n°09-14.989

[7] Cass.Civ. 2ème, 22 janvier 2009, n°07-21.093

[8] Cass. Civ. 1ère, 29 avril 2003, n°01-01.978

[9] Cass. Soc. 18 mars 2003, n°01-41.669

[10] CA Bourges, 24 août 2023 n°22/00547

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