Arrêts maladie abusifs : le début de la fin des dérives ?

Officiellement présenté le 10 octobre dernier à Bercy par les ministres de tutelle, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 ambitionne de contenir le déficit de la branche maladie à ‑13,4 milliards d’euros l’an prochain. Parmi les mesures d’économies prévues par le Gouvernement figure, en bonne place, une réforme de l’indemnisation des arrêts de travail.

Cette réforme prévoit notamment d’abaisser le plafond de prise en charge des indemnités journalières de 1,8 à 1,4 Smic à partir du 1er janvier prochain, ce qui rapporterait près de 600 millions d’euros à la branche maladie[1]. Pour justifier cette mesure inédite, le Gouvernement met en avant l’envolée du coût d’indemnisation des arrêts ces dernières années, pointée par la Cour des comptes au printemps dernier. Les employeurs et, derrière eux les assureurs, seraient donc amenés à mettre davantage la main à la poche.

Cette réforme annoncée par le Gouvernement s’inscrit dans une tendance de fond qui vise à contenir les dérives d’un système de moins en moins « soutenable » selon l’Assurance Maladie et pour les employeurs : alors que la Caisse a annoncé, le 9 septembre dernier, vouloir renforcer les contrôles des arrêts de travail (1), un décret 2024-692 paru le 5 juillet dernier est (enfin) venu fixer les modalités et conditions de la contre-visite médicale diligentée par l’employeur (2).

Marion Robert & Antoine Duret reviennent en détail sur ces mesures phares qui concourent chacune, à leur échelle, à la lutte contre les arrêts maladie injustifiés.

1 – L’Assurance Maladie accélère son plan d’actions et renforce le contrôle des arrêts de travail

Face aux dépenses d’indemnisation des arrêts de travail (maladie et AT-MP) qui ont fortement augmenté au 1er semestre 2024 (+8,5% en valeur, +4,7% en volume hors Covid[2]), l’Assurance Maladie a choisi d’accélérer la mise en œuvre de son plan d’actions « arrêts de travail, gestion du risque » déployé courant 2023 et en 2024 à destination des assurés, des entreprises et des médecins prescripteurs.

S’agissant des assurés, l’Assurance Maladie a annoncé vouloir contacter entre septembre et décembre 2024 l’ensemble des assurés en arrêt depuis plus de 18 mois (ce qui représente 30 à 40 000 personnes) pour vérifier si leur arrêt de travail est toujours justifié et si des actions d’accompagnement n’ont pas déjà été engagées pour les aider à réintégrer leur poste de travail (quitte à l’aménager, au besoin). Les assurés en arrêt pour un accident de travail ou une maladie professionnelle depuis plus de 4 ans seront également contactés pour voir s’il est possible d’organiser une reprise du travail ou le cas échéant une bascule vers d’autres prises en charge.

Pour les arrêts de travail plus courts et répétitifs, l’Assurance Maladie souhaite mener des actions plus ciblées. Les assurés qui ont eu ainsi « deux arrêts maladie de moins de deux semaines sur une période de six mois et qui ne sont pas en ALD » recevront un courrier. Ils se verront alors proposer un accompagnement, ainsi qu’un rappel de leurs obligations (pas d’activité et pas de sortie en dehors des heures autorisées par le médecin prescripteur).

S’agissant ensuite des entreprises ayant un taux d’absentéisme atypique, l’Assurance Maladie a indiqué vouloir visiter 1.000 établissements d’ici la fin de l’année, dont un grand nombre de sièges de grandes entreprises.

Concernant les médecins prescripteurs, environ 7 000 « entretiens confraternels » pour discuter des prescriptions d’arrêts de travail seront organisés. Lors de ces rencontres, les médecins-conseils fourniront à leurs confrères la liste des patients en arrêt depuis plus de 18 mois. En parallèle, dans le cadre de la mise en œuvre de la convention médicale, les référentiels de durée d’arrêts de travail établis par la Haute Autorité de Santé (HAS) leur seront rappelés.

Pour lutter contre les fraudes aux arrêts de travail, l’Assurance Maladie a enfin annoncé, le 9 septembre dernier, vouloir cibler les arrêts papier sous forme de photocopies. Elle a indiqué que les médecins recevront, dès le mois de septembre, un nouveau Cerfa sécurisé (papier spécial, étiquette holographique, encre magnétique, traits d’identification du prescripteur, etc.) pour les arrêts de travail sous forme de papier – son usage sera même obligatoire à compter de juin 2025.

2 – Les modalités de mise en œuvre des contre-visites médicales de l’employeur ont été fixées

Dans les semaines qui ont précédé les annonces de l’Assurance Maladie, un décret n°2024-695 du 5 juillet 2024 est venu fixer les formes et les conditions de la contre-visite médicale prévue par l’article L.1226-1 du code du travail issu de l’ordonnance 2007-329 du 12 mars 2007.

D’après cet article, l’employeur qui maintient tout ou partie de la rémunération d’un salarié malade peut, en contrepartie de cette obligation, demander à un médecin de contrôler la réalité de cette incapacité de travail en organisant une contre-visite médicale.

L’objectif est de s’assurer que l’arrêt de travail est justifié dans son principe comme dans sa durée (article R.1226-11 du code du travail).

L’enjeu réside pour l’employeur dans l’arrêt du versement des indemnités complémentaires de maladie : si le médecin-contrôleur estime que l’arrêt maladie n’est pas/plus justifié, le salarié doit alors reprendre son travail. Mais s’il refuse et décide de s’en tenir aux prescriptions de son médecin traitant, il ne commet pas de faute mais se voit privé du maintien de salaire à compter de la contre-visite (Cass. soc., 10 octobre 1995, n°91-45.242). Il en est de même en cas de refus du salarié de se soumettre à la contre-visite ou en cas d’absence lors de la visite sans motif légitime (Cass. soc., 9 juin 1993, n°90-42.701). Le salarié pourra alors solliciter un nouvel examen, voire une expertise judiciaire (Cass. soc., 12 février 1993, n°88-44.947).

Si la contre-visite médicale ne permet donc pas de contraindre le salarié à reprendre le chemin du travail, elle est un moyen de l’y inciter fortement en jouant sur l’indemnisation de l’arrêt maladie.

Reste à savoir comment se déroule concrètement une contre-visite médicale à la lumière des nouvelles dispositions réglementaires.

Le décret en question met à la charge du salarié une obligation d’information à l’égard de son employeur qui l’oblige à lui communiquer, dès le début de l’arrêt de travail ainsi qu’à l’occasion de tout changement, son lieu de repos s’il est différent de son domicile et, s’il bénéficie d’un arrêt de travail portant la mention « sortie libre », les horaires auxquels la contre-visite médicale peut s’effectuer (article R. 1226-10 du code du travail).

On rappellera à cet égard que le médecin peut indiquer que les sorties (article R.323-11-1 du code de la sécurité sociale) :

  • ne sont pas autorisées ;
  • sont autorisées sauf de 9h à 11h et de 14h à 16h, excepté en cas de soins médicaux ou d’examens médicaux ;
  • sont libres avec mention sur l’arrêt de travail des éléments d’ordre médical qui le justifient.

La contre-visite médicale est effectuée par un médecin mandaté par l’employeur (article R.1226-11 du code du travail). L’employeur peut mobiliser un médecin de son choix dont il a personnellement connaissance ou bien solliciter les services d’entreprises spécialisées qui mettent à la disposition des employeurs des médecins-contrôleurs.

La contre-visite médicale peut s’effectuer à tout moment de l’arrêt de travail (article R.1226-11 du code du travail), c’est-à-dire qu’elle peut s’effectuer au commencement de l’arrêt – même si, dans la pratique, il est difficile de réaliser une telle visite lorsque l’arrêt de travail dure moins d’une semaine.  

Au choix du médecin contrôleur, la contre-visite peut s’effectuer :

  • soit au domicile du salarié ou au lieu qu’il a communiqué à l’employeur. Dans ce cas, le salarié n’a pas à être prévenu à l’avance de la visite du médecin, à ceci près que ce dernier doit se présenter en dehors des heures de sorties autorisées ou, en cas de sortie libre, aux heures communiquées par le salarié.
  • soit au cabinet du médecin sur convocation de celui-ci par tout moyen lui conférant date certaine.

A l’issue de son contrôle, le médecin informe l’employeur du caractère justifié ou injustifié de l’arrêt de travail ou de l’impossibilité de procéder au contrôle pour un motif imputable au salarié (article R. 1226-12 du code du travail). L’employeur doit alors transmettre sans délai cette information au salarié (même article).

Pour être tout à fait complet, il n’est pas inintéressant de rappeler que lorsque le médecin conclut à l’absence de justification d’un arrêt de travail ou fait état de l’impossibilité de procéder à l’examen de l’assuré, il doit aussi transmettre son rapport au service du contrôle médical de la caisse dans un délai maximal de 48 heures (article L. 315-1, II, du code de la sécurité sociale).

Au vu de ce rapport, le service du contrôle médical de la Caisse pourra :

  • soit demander à la Caisse de suspendre les indemnités journalières sachant que l’assuré aura ensuite de son côté la possibilité demander au service du contrôle médical un examen de sa situation pendant un délai de 10 jours francs à compter de la notification de la décision de suspension des IJSS. Le service du contrôle médical aura alors 4 jours francs à compter de sa saisine pour se prononcer sur cette demande et décider la reprise ou non du versement des IJSS.
  • soit procéder à nouvel examen de la situation de l’assuré.

L’articulation entre la contre-visite médicale patronale et les services de contrôle de la Caisse représente ainsi un moyen efficace de lutter contre l’absentéisme en entreprise et les abus liés aux arrêts maladie.

Le cabinet ACTANCE demeure naturellement à votre disposition pour vous accompagner sur ces sujets.

[1] Chiffres transmis par l’Assurance Maladie

[2] Idem

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