Actu-tendance n° 726

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : La Cour de cassation retient qu’est dépourvu de cause sérieuse, le licenciement pour inaptitude résultant d’une violation par l’employeur de son obligation de sécurité (Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-26.850).
Il résulte de l’article L. 1471-1 du Code du travail que « Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ». 
En cas de licenciement pour inaptitude, le salarié peut-il invoquer des faits prescrits, à l’origine selon lui de son inaptitude, pour contester son licenciement ? 

Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-19.401

Dans cette affaire, une salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 20 février 2013, avant d’être déclarée inapte à son poste à l’issue de deux visites de reprise des 18 septembre et 5 octobre 2015.

Licenciée pour inaptitude le 23 décembre 2015, elle a saisi la juridiction prud’homale le 18 mars 2016, de demandes liées à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

La salariée reprochait à son employeur un manquement à son obligation de sécurité, à l’origine de son inaptitude et sollicitait en conséquence des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel a débouté la salariée de ses demandes considérant que les manquements à l’obligation de sécurité dont elle se prévalait étaient prescrits. Pour les juges du fond, la salariée avait nécessairement eu connaissance des manquements à l’obligation de sécurité à la date de son arrêt de travail, le 20 février 2013 ; de sorte qu’au moment de la saisine de la juridiction (le 16 mars 2016), l’action était prescrite depuis le 20 février 2015.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle au visa de l’article L. 1471-1 (dans sa rédaction applicable à l’époque des faits) que :

  • toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ;
  • le point de départ du délai de prescription de l’action en contestation du licenciement pour inaptitude d’un salarié est la date de notification de ce licenciement.

Elle retient que « lorsqu’un salarié conteste, dans le délai imparti, son licenciement pour inaptitude, il est recevable à invoquer le moyen selon lequel l’inaptitude est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».

En d’autres termes, en cas de licenciement pour inaptitude, le salarié, qui conteste son licenciement dans le délai imparti, peut invoquer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude, y compris si les faits constitutifs de ce manquement sont prescrits.

En revanche, la demande de dommages et intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité est rejetée. La Cour de cassation  approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que la salariée avait eu connaissance des manquements à l’obligation de sécurité de l’employeur à la date de son arrêt de travail. En conséquence, les manquements de l’employeur étaient prescrits.

L’affaire a été renvoyée devant une Cour d’appel de renvoi.

Rappel : En vertu de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, la présomption d’imputabilité dont bénéficie le salarié à l’occasion d’un accident s’applique aux lésions et troubles qui y font suite de façon ininterrompue.
La présomption d’imputabilité trouve à s’appliquer lorsqu’il existe une continuité de symptômes et de soins entre la date de l’accident et la rupture du contrat. 
En outre, l’article L.1226-14 du Code du travail prévoit que la rupture du contrat de travail dans le cas d’une inaptitude d’origine professionnelle ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue par l’article L.1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L.1234-9.
À partir de quel moment s’appliquent les règles protectrices relatives aux victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle ?

Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-10.905

Un chauffeur poids lourd a été victime d’un accident de travail le 18 avril 2012, puis en arrêts de travail successifs, ses arrêts de travail étant indiqués d’origine non professionnelle à compter du 25 décembre 2012, avant d’être déclaré inapte le 30 mars 2015.

Licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement le 5 mai 2015, il a saisi le Conseil de prud’hommes contestant son licenciement et sollicitant le versement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et indemnités.

Pour le licencier pour inaptitude non professionnelle, l’employeur avait tenu compte d’une part, de l’avis d’inaptitude indiquant qu’elle est d’origine non professionnelle, et d’autre part que le salarié n’avait jamais sollicité la prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail.

La Cour d’appel, ainsi que la Cour de cassation ont fait droit aux demandes du salarié. Les juges rappellent que « les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement ».

En l’espèce, l’employeur avait connaissance que l’accident du travail était à l’origine du premier arrêt de travail du salarié et que ce dernier n’avait jamais repris le travail depuis la date de l’accident du travail jusqu’à la rupture du contrat. Il ne pouvait donc ignorer l’origine professionnelle de l’inaptitude et devait appliquer les règles protectrices en la matière.

Le salarié avait donc droit à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis. En revanche, la Cour de cassation rappelle que cette indemnité n’ayant pas la nature d’une indemnité de préavis, n’ouvre pas droit à congés payés.

Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-11.699).

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Il résulte de l’article L. 1233-5 du Code du travail que « Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article. »
L’article L. 1233-7 du Code du travail précise que « lorsque l’employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l’article L. 1233-5 ».
Dans le cadre d’un PSE, l’employeur peut il se fonder sur un seul indicateur pour apprécier les qualités professionnelles des salariés ?
La mobilité géographique ou professionnelle des salariés peut-elle constituer un critère pour l’appréciation des qualités professionnelles ?

12 avril 2024, n° 459650

En mars 2021, l’administration a homologué un document unilatéral portant PSE (plan de sauvegarde de l’entreprise) au sein d’une société.

Le document unilatéral prévoyait que le critère des qualités professionnelles sera apprécié :

  • d’une part, sur la base des évaluations professionnelles des années 2017 à 2019 pour la catégorie des cadres exclusivement ;
  • et d’autre part, pour les catégories professionnelles pour lesquelles les évaluations annuelles ne peuvent pas être utilisées (catégories composées de non-cadres ou à la fois de salariés cadres et non cadres), en fonction du nombre de mobilités géographiques et/ou fonctionnelles des salariés réalisées au sein de l’entreprise.

Le CSE, des syndicats, ainsi que des salariés ont saisi le tribunal administratif aux fins d’annulation de cette décision au motif notamment que le document unilatéral homologué ne prévoyait qu’un seul élément d’appréciation de ce critère d’ordre pour les salariés appartenant à la seconde catégorie professionnelle. 

Le tribunal administratif, ainsi que la Cour administrative d’appel ayant rejeté leur demande, ils se sont pourvus devant le Conseil d’État mais n’ont pas obtenu gain de cause.

Le Conseil d’État a jugé qu’ « il ne résulte d’aucune règle ni d’aucun principe que le critère d’ordre relatif aux qualités professionnelles doit être apprécié en prenant en compte au moins deux indicateurs distincts ». Un seul indicateur est suffisant pour permettre d’apprécier les qualités professionnelles des salariés.

Les requérants soutenaient également que les éléments d’appréciation du critère d’ordre relatif aux qualités professionnelles retenus par l’employeur (d’une part, la mobilité géographique, et d’autre part, la mobilité professionnelle), étaient dépourvus de rapport avec l’objet de ce critère d’ordre. Pour eux, cette différenciation dans la fixation des critères instaurait une discrimination.

Le Conseil d’État rappelle qu’il appartient à l’administration, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation :

  • de contrôler que les éléments, déterminés par l’employeur, sur la base desquels ces critères seront mis en œuvre pour déterminer l’ordre des licenciements, ne sont ni discriminatoires, ni dépourvus de rapport avec l’objet même de ces critères ;
  • de vérifier la conformité du contenu de ce document aux dispositions légales et conventionnelles applicables relatives aux critères d’ordre.

Le Conseil juge qu’en l’espèce, « il ne ressort pas des pièces du dossier que l’administration ait entaché sa décision d’illégalité en estimant que, pour celles des catégories professionnelles dont la liste a été produite au cours de l’instruction contradictoire par l’employeur et par l’administration, de tels éléments n’étaient pas sans rapport avec l’appréciation des qualités professionnelles des salariés en relevant, notamment s’agissant de leur faculté d’adaptation aux évolutions de l’entreprise ».

Dans ces conditions, le critère de la mobilité n’est jugé ni discriminatoire ni dépourvu de lien avec les qualités professionnelles.

Note : En tout état de cause, rappelons qu’il appartient à l’administration saisie d’une demande d’homologation d’un document unilatéral portant PSE de s’assurer, en l’absence d’accord collectif ayant fixé les critères d’ordre, que le document unilatéral fait bien application des quatre critères mentionnés à l’article L.1233-5 du Code du travail.

S’agissant du critère des qualités professionnelles, l’administration doit notamment vérifier que les éléments d’appréciation de ce critère permettent « de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés de la ou des catégories professionnelles afférentes et n’ont pas été définis dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou à leur affectation » (CE, 4ème ch. réunies, 31 octobre 2023, n°456091 / n°456332)

Législation et réglementation

Le décret n° 2024-424 du 10 mai 2024 prévoit que le tribunal judiciaire de Paris est compétent en première instance pour connaître des actions fondées sur l’article L. 7343-17 du code du travail relatif aux règles de protection des mandats de représentation des travailleurs des plateformes.

La cour d’appel de Paris est compétente pour connaître des mêmes affaires en appel.

Pour mémoire, dans les TPE (entreprises de moins de 11 salariés), des élections sont organisées tous les 4 ans au niveau régional pour mesurer l’audience syndicale.

Le Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités propose de modifier par décret les conditions réglementaires d’organisation de l’élection afin de faciliter la connexion des électeurs au site internet d’information sur l’élection et d’augmenter le délai de recours gracieux relatif à l’inscription sur la liste électorale.

Le projet de décret propose ainsi :

  • l’augmentation du délai de recours gracieux relatif à l’inscription sur la liste électorale : aujourd’hui, les recours gracieux relatifs à l’inscription sur la liste électorale doivent être formés dans un délai de 21 jours à compter de la publication de la liste, sous peine d’irrecevabilité. Le projet de décret propose de relever à 28 jours ce délai, et donner ainsi plus de temps aux électeurs pour modifier leurs données électorales, et ainsi mieux fiabiliser la liste électorale ;
  • l’utilisation du NIR pour se connecter au site internet d’information sur l’élection. Le droit d’accès et de rectification des informations personnelles de l’électeur pourra s’exercer par voie dématérialisée, après identification sur le même site internet.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence Protection sociale

Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-24.814

Lorsque le droit à des indemnités de prévoyance est reconnu mais que leur montant n’est pas établi par les parties, les juges du fond doivent au besoin ordonner une mesure d’instruction pour évaluer le montant de la créance salariale. Ils ne peuvent pas refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.

Cass. 2e civ., 4 avril 2024, n° 22-20.274

Selon l’article L. 113-1 du Code des assurances, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

la Cour de cassation rappelle que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables et que celle-ci ne doit pas se confondre avec la conscience du risque d’occasionner le dommage.

Législation et réglementation

Décret n° 2024-432 du 13 mai 2024

Le nombre maximum de participation forfaitaire supporté par les assurés sur les actes et consultations réalisés par un médecin et les examens et analyses de biologie médicale passe de 50 à 25 à compter du 1er janvier 2025.

Agréments de la commission paritaire de l’APEC

La commission paritaire de l’APEC a rendu des décisions d’agrément concernant la détermination des catégories objectives de salariés assimilés cadres pour le bénéfice des régimes de protection sociale au sein des branches suivantes :

  • Entreprises du négoce et de distribution de combustibles solides, liquides, gazeux et produits pétroliers ;
  • Employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics
  • Aide, accompagnement, soins et services à domicile
  • Immobilier, administrateurs de biens, sociétés immobilières, agents immobiliers, etc.
  • Structures associatives de pêche de loisir et de protection du milieu aquatique
  • Acteurs du lien social et familial : centres sociaux et socioculturels, associations d’accueil de jeunes enfants, associations de développement social local
  • 5 branches industries alimentaires diverses (IDCC 3109)

Pour en savoir plus

Le  CEPD a adopté un avis sur la validité du consentement au traitement des données personnelles à des fins de publicité comportementale dans le contexte des modèles « Consentir ou Payer » déployés par des grandes plateformes en ligne. Cet avis qui précise les critères à prendre en compte pour l’obtention d’un consentement libre, les invite fortement à proposer une alternative supplémentaire qui devrait être gratuite et dépourvue de publicité comportementale.

Pour en savoir plus

Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

Le 22 avril 2024, l’Organisation internationale du travail (OIT) a rendu un rapport sur les impacts du changement climatique pour la santé et la sécurité des salariés dans le monde.

Celui-ci fait ressortir que :

  • des milliards de travailleurs sont exposés à des dangers exacerbés par le changement climatique ;
  • de nombreux problèmes de santé touchant les travailleurs sont liés au changement climatique (cancers, maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, insuffisance rénale, troubles de la reproduction et problèmes de santé mentale, entre autres) ;
  • les travailleurs de différents secteurs d’activité sont exposés à ces dangers, mais certains d’entre eux, comme les travailleurs agricoles et d’autres travailleurs en extérieur accomplissant des tâches pénibles sous des climats chauds, peuvent être particulièrement menacés ;
  • la chaleur excessive à elle seule est responsable de 22,85 millions d’accidents du travail, 18 970 décès et 2,09 millions d’années de vie corrigées de l’incapacité.

L’OIT rappelle que le dialogue social entre les gouvernements et les partenaires sociaux est essentiel pour s’assurer que les politiques sont pragmatiques et efficaces au niveau du lieu de travail.

Elle recommande aux gouvernements, en consultation avec les partenaires sociaux de :

  • réaliser des évaluations des risques nouveaux ou accrus en matière de santé et sécurité au travail (SST) découlant du changement climatique ;
  • adopter et mettre en œuvre des normes de SST applicables, et doter l’inspection du travail des capacités nécessaires pour surveiller la conformité ;
  • encourager l’utilisation de dispositifs adaptés de prévention, de protection et de sécurité ;
  • inciter les entreprises à réduire au minimum et à supprimer lorsque cela est possible les matières dangereuses dans la chaîne d’approvisionnement des produits et dans les processus de production, et réglementer leur utilisation.

Selon l’OIT, « il peut être nécessaire d’adapter les politiques de SST actuelles et d’en créer de nouvelles spécifiques au changement climatique ».

Pour en savoir plus