Actu-tendance n° 723
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : En vertu de l’article L. 1232-6 du Code du travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception (LRAR). Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.
L’envoi de la lettre de licenciement après l’annonce au salarié par téléphone de son licenciement constitue-t-il un licenciement verbal ?
Cass. soc., 3 avril 2024, n° 23-10.931
Dans cette affaire, un salarié a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement. Il prétendait avoir fait l’objet d’un licenciement verbal.
En l’espèce, l’employeur avait posté la lettre de notification au licenciement par LRAR le 7 février 2019. Le même jour, et avant l’envoi de la lettre, le salarié soutenait que la DRH l’avait contacté par téléphone afin de lui faire part de son licenciement.
Pour sa défense, l’employeur faisait valoir que la société avait décidé de prévenir le salarié de son licenciement par téléphone le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement, afin de lui éviter de se présenter à une réunion et de se voir congédier devant ses collègues de travail.
La Cour d’appel a fait droit à la demande du salarié et a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir relevé que le salarié rapportait la preuve qu’il avait été informé verbalement de son licenciement, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec la DRH de l’entreprise.
Pour la Cour, l’appel téléphonique ne pouvait pas suppléer la lettre de licenciement adressée ultérieurement, même si elle avait été adressée le même jour, sous la signature de la DRH auteur de l’appel téléphonique.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation confirme cette décision sur le fondement de l’article L. 1232-6 du Code du travail en se plaçant ainsi dans sa jurisprudence constante.
Note : La Cour de cassation est très claire sur ce point. Le licenciement verbal est jugé sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-23.738). L’employeur ne peut régulariser la situation par l’envoi d’une lettre de rupture a posteriori (Cass., soc. 9 mars 2011, n° 09-65.441).
En l’espèce, l’employeur a voulu bien faire pour éviter que le salarié ne soit congédié de la réunion de travail. Mais il aurait dû envoyer le lettre de licenciement avant d’appeler le salarié et conserver la preuve du coupon de la poste indiquant l’horaire d’envoi. Dans ce cas, le licenciement est valable, même si le salarié reçoit la lettre de licenciement après l’annonce (Cass., soc. 6 mai 2009, n° 08-40.395).
La procédure de licenciement est très formelle et son non-respect par l’employeur peut être sévèrement sanctionné.
Rappel : Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est fixé dans le tableau prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail.
Ce tableau, appelé barème Macron, fixe des fourchettes d’indemnisation, avec des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise.
Un salarié peut-il solliciter en justice le bénéfice de l’application du plancher d’indemnisation du barème Macron ?
Cass. soc., 3 avril 2024, n° 23-13.452
En l’espèce, les juges ont accordé au salarié une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse inférieure au montant plancher du barème Macron au motif que le salarié était âgé de 32 ans et ne justifiait pas de sa situation depuis son licenciement.
Ils lui ont accordé 3 000 € de dommages et intérêts, alors que le plancher du barème s’élevait à 7 399.95 € (3 mois de salaire) pour un salarié ayant plus de 3 ans d’ancienneté dans une entreprise comprenant plus de 11 salariés. Le salaire mensuel de référence du salarié s’élevait à 2 466,65 €.
La Cour de cassation casse la décision d’appel considérant qu’il résulte de l’article L. 1235-3 du Code du travail que « si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux qui y sont fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9 du Code du travail ».
Elle en a conclu que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devait être au minimum d’un montant de 7 399,95€.
La Cour de cassation fixe, sans renvoi, à 7 400 € le montant dû par l’employeur au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Autrement dit, le juge ne peut fixer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant inférieur au plancher fixé à l’article L. 1235-3 du Code du travail.
Note : La Cour de cassation affirme de manière constante que les juges du fond sont tenus d’appliquer ce barème (Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 21-24.857).
Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité légale de licenciement. Toutefois, cette faculté laissée au juge ne lui permet pas de fixer une indemnité d’un montant inférieur au plancher du barème.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : Il résulte de l’article L. 2511-1 du Code du travail que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux ».
Une prime attribuée à des salariés non-grévistes en raison d’une surcharge exceptionnelle de travail est-elle discriminatoire ?
Cass. soc., 3 avril 2024, n° 22-23.321
Suite à la dénonciation de plusieurs accords d’entreprise, des salariés d’une entreprise ont exercé leur droit de grève lors d’un mouvement qui s’est déroulé entre le 22 novembre 2018 et le 23 janvier 2019.
Lors d’une réunion extraordinaire du comité d’entreprise, l’employeur a décidé d’attribuer une prime exceptionnelle à certains salariés non-grévistes, « selon une surcharge exceptionnelle de tâches confiées à certains collaborateurs ».
Il était précisé que cette prime n’était pas liée à un résultat 2018 mais à des efforts supplémentaires durant les quatre derniers mois fournis par certains collaborateurs en dehors de leurs tâches habituelles.
S’estimant victimes de discrimination dans l’exercice de leur activité syndicale et de leur droit de grève, les salariés et un syndicat ont assigné l’employeur devant la juridiction prud’homale pour obtenir notamment le paiement de cette prime pour les salariés grévistes, ainsi que des dommages et intérêts pour manquement par l’employeur à ses obligations d’exécution de bonne foi et loyale du contrat de travail.
Le tribunal a fait droit aux demandes des grévistes au motif que la prime accordée aux salariés non-grévistes était discriminatoire en considération du fait que :
- l’employeur n’avait pas fourni la fiche de poste et le contrat de travail de chaque salarié ayant bénéficié de la prime ;
- le pouvoir de direction permet à l’employeur de modifier unilatéralement les conditions de travail des salariés.
La Cour de cassation n’est pas du même avis. Elle rappelle d’abord que « ne constitue pas une mesure discriminatoire l’attribution à certains salariés non-grévistes d’une prime exceptionnelle correspondant à un surcroît de travail ou à la réalisation de tâches en dehors de celles prévues par leur contrat de travail ».
Elle retient que les juges auraient dû rechercher « si la prime litigieuse n’avait pas été versée à certains salariés parmi les salariés non-grévistes, ayant accepté une modification temporaire de leur contrat de travail, en raison de l’exécution par eux de tâches ne relevant pas de leurs fonctions, de sorte qu’elles constituaient un surcroît de travail ».
L’affaire sera de nouveau jugée par une juridiction de renvoi.
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence. L’employeur peut verser une prime uniquement aux salariés non-grévistes, à la condition qu’il y ait un surcroît de travail pour les salariés n’ayant pas participé au mouvement de grève.
Législation et réglementation
Le 18 avril, le Ministère du travail a mis en ligne un Questions/réponses (Q.R) relatif à l’intéressement de projet.
Pour mémoire, dans les entreprises disposant d’un accord d’intéressement, il est possible de mettre en place un intéressement de projet au profit de tout ou partie des salariés en raison d’un projet interne ou en raison d’un projet commun avec d’autres entreprises.
Les sommes versées au titre de l’intéressement de projet suivent le même régime social que celles versées dans le cadre d’un intéressement classique.
Le Q.R vise à « retranscrire l’article 17 de l’accord national interprofessionnel signé le 10 février 2023 relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, dont l’objectif est de promouvoir le dispositif de l’intéressement de projet ».
Il précise le type de projets pouvant faire l’objet d’un intéressement de projet, les modalités de mise en place, les modalités de versement, etc.
Les rubriques du Bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS) consacrées aux frais professionnels, au montant net social, à la prime de partage de la valeur, et aux avantages en nature ont été mises à jour le 19 avril 2024.
Frais professionnels : L’administration procède à l’harmonisation des règles relatives au recueil du consentement à bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels dans les différents secteurs concernés.
Ainsi, « dans l’ensemble de ces secteurs, si le consentement des salariés a été recueilli pour une durée indéterminée par l’employeur, il couvre la période restant à courir jusqu’à la suppression du dispositif. En revanche, si le consentement des salariés a été recueilli pour une durée déterminée, l’employeur devra de nouveau recueillir leur consentement à l’issue de cette période, et ce jusqu’à la suppression du dispositif ».
En outre, le BOSS confirme que le barème fiscal des indemnités kilométriques est maintenu pour 2024.
Montant net social : l’administration précise les règles de prise en compte de la prime de partage de la valeur dans le calcul du montant net social :
- les primes de partage de la valeur sont prises en compte uniquement lorsque les sommes sont directement versées par l’employeur au salarié ;
- elles ne sont pas prises en compte lorsqu’elles sont placées sur des plans d’épargne.
S’agissant des indemnités journalières de sécurité sociale, en cas de subrogation par l’employeur, elles sont intégrées dans le montant net social, déclaré et pris en compte dans le montant net social pour leur montant net des prélèvements sociaux applicables (CSG/CRDS notamment).
Prime de partage de la valeur : pour rappel, l’accord ou la DUE instituant la prime peut prévoir un versement en plusieurs échéances sur l’année civile, dans la limite d’un versement par trimestre.
Le BOSS précise désormais que « dans le cas où deux primes sont attribuées au cours de la même année civile, deux versements peuvent avoir lieu au cours d’un même trimestre dès lors que ceux-ci sont distinctement rattachés aux deux primes attribuées ».
Avantages en nature : l’administration précise les règles de bénéfice de l’exclusion de l’assiette des cotisations et contributions sociales en cas de versement par l’employeur d’une subvention de réservation de berceaux.
«Le bénéfice de l’exclusion de l’assiette des cotisations et contributions sociales est considéré acquis dès lors que le cadre conventionnel liant l’employeur et la crèche ou la micro-crèche prévoit des critères objectifs d’attribution des berceaux aux salariés ».
Un arrêté du 3 avril 2024 fixe à 282,24 € le montant limite du « forfait télétravail » pour l’indemnisation des jours de télétravail effectués au titre de l’année 2024.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Législation et réglementation
L’administration tire les conséquences de l’arrêt du 7 juin 2023 (Cass. soc., 7 juin 2023, n° 21-23.743) et modifie sa doctrine relative aux dispenses d’adhésion des ayants droit aux garanties complémentaires de santé et prévoyance.
Le BOSS prévoit ainsi, tant pour les dispenses d’ordre public (§ 810) que pour les dispenses facultatives (§ 870) que : « les salariés couverts en tant qu’ayants droit par un autre contrat collectif et obligatoire (par exemple, celui de leur conjoint également salarié), peuvent se dispenser à leur initiative de l’obligation d’adhésion, que cette couverture en tant qu’ayants droit soit facultative ou obligatoire ».
Il précise néanmoins, concernant les dispenses facultatives, que « l’acte de droit du travail peut également limiter cette faculté de dispense aux ayants droit couverts à titre obligatoire par le régime d’accueil ».
Dans une décision du 21 mars 2024, l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie fixe à, compter du 15 mai 2024, le montant de la participation forfaitaire des assurés sur les actes et consultations médicales, les examens de radiologie et biologie médicale à 2€.
La circulaire CNAV n° 2024-19 présente le relèvement des taux de cotisations des assurances vieillesse et veuvage (part patronale et part salariale, sur la rémunération totale) à compter du 1er janvier 2024 et ses incidences.
Par ailleurs, elle met à jour les taux de cotisations réduits pour certaines activités professionnelles depuis 2018.
Par une décision du 9 avril 2024, la Commission des sanctions de l’ACPR a prononcé un blâme et une sanction d’un million d’euros pour des manquements au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) (non-respect des obligations de vigilance constante et la surveillance des opérations).
La DGCCRF a prononcé une amende administrative d’un montant de 10 975 € à l’encontre d’une entreprise pour :
- avoir omis de mettre en conformité ses fichiers de prospection commerciale avec la liste d’opposition au démarchage téléphonique ;
- avoir appelé des personnes, dans un but commercial, alors qu’elles étaient inscrites sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique ;
- avoir manqué à ses obligations d’information du consommateur sur le dispositif de médiation de la consommation et sur la possibilité d’inscription sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique.
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Dans sa revue « références en santé au travail » publiée au mois de mars 2024, l’INRS propose un document de synthèse sur le tabagisme et le vapotage.
L’article fait ressortir que :
- un tiers des travailleurs consomme des produits du tabac ;
- au sein des catégories socio-professionnelle, les ouvriers sont les plus touchés : 40,9 % des hommes et 37,2 % des femmes fument quotidiennement ;
- chez les cadres et professions intellectuelles supérieures, ce taux est de 16,7 % des hommes et 15,8 % chez les femmes ;
- les efforts physiques importants augmentent le risque d’être un « gros fumeur », de même que le travail de nuit ou encore un travail quotidien avec le public.
L’article fait une synthèse de la règlementation sur le sujet (interdiction de fumer sur les lieux de travail, interdiction de vapoter, obligation d’information et de formation) et rappelle les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé, ainsi que le rôle des services de prévention et de santé au travail (SPST).