Tour d’horizon sur la proposition de loi visant à reconnaitre et à sanctionner la discrimination capillaire et rappel des mesures de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise

Le 28 mars 2024, l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture la proposition de loi visant à reconnaitre la discrimination capillaire et prohiber toute discrimination fondée sur ce motif.
Nelly Pourtier, avocat associée et Azeline Hubert, avocat collaborateur au sein du Cabinet ACTANCE, invitent les entreprises à prendre connaissance de la notion de « discrimination capillaire » laquelle pourrait prochainement faire son entrée dans le code du travail ainsi que des mesures permettant de lutter contre de telles discriminations dans l’entreprise.

Constat

Les témoignages et enquêtes[1] de personne ayant vécu des discriminations capillaires en milieu professionnel (refus d’embauche, absence de promotion, remarques discriminatoires, harcèlement,…) sont  malheureusement nombreux et concernent tout type de personne : 2 femmes métissées/noires sur 3 modifieraient la texture de leur cheveux pour un entretien professionnel, 31% des femmes blondes se teindraient les cheveux pour renforcer leur crédibilité professionnelle quand 30% des hommes chauves estimeraient avoir moins de chances de progresser dans une entreprise…

Ces problématiques sont nombreuses, largement abordées et traitées notamment aux Etats-Unis où le Crown Act a été adopté par une 20e d’Etats dès le mois de juillet 2019 et sanctionne toute discrimination capillaire.

En France

Adoptée en première lecture le 28 mars 2024, la proposition de loi entame sa navette législative et a été renvoyée à la Commission des Lois du Sénat. Le gouvernement, estimant que cette loi n’enrichissait pas d’avantage l’arsenal juridique en place visant à lutter contre une telle discrimination, a émis un « avis de sagesse », se réservant une position de stricte neutralité.

Aux termes de cette proposition, le terme « capillaire » devrait être intégré dans le code du travail à l’article L. 1132-1 à la suite du motif lié à l’apparence physique « notamment capillaire », ainsi que dans le code général de la fonction publique et le code pénal. Cette interdiction serait également intégrée à l’article L. 1321-3 du code du travail, lequel prohibe toute disposition discriminatoire dans le règlement intérieur des entreprises.

Bien que la nécessité de légiférer sur la discrimination capillaire peut paraitre toute relative, compte tenu de la prohibition de toute discrimination fondée sur l’apparence physique déjà clamée par les textes, il est pertinent de comprendre le contexte dans lequel émerge cette proposition de loi.

Elle fait notamment écho à un arrêt récent de la Cour de cassation rendu le 23 novembre 2022[2], lequel a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui refusait de reconnaitre une pratique discriminatoire à l’encontre d’un steward. Le code de conduite applicable au personnel naviguant autorisait le port de  tresses africaines aux femmes mais excluait les hommes. Après avoir été contraint de porter une perruque pendant des années, un steward a finalement refusé de se conformer audit code de conduite et a été sanctionné pour avoir porté des tresses nouées en chignon, puis a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La Cour de cassation reconnait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe et ne pouvait en aucun cas être justifiée par « une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les hommes et les femmes ».

Indirectement, la Cour de cassation sanctionne une discrimination capillaire à l’aune de la discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.

Bien que la discrimination capillaire soit déjà couverte par le droit positif, comme en témoigne l’arrêt de la Cour de cassation commenté, cette nouveauté législative permettrait aux personnes concernées de disposer d’un cadre juridique clair et solide sur lequel se fonder pour défendre leur droit.

Selon le député Olivier Serva « inscrire dans la loi, de façon claire et dépourvue d’ambiguïté, l’interdiction des discriminations capillaires répondrait en effet à un vrai besoin et comblerait un vide qui, s’il n’est pas forcément juridique, existe en pratique ».

Pour autant, l’ajout de cette mention à la liste – déjà longue des motifs discriminatoires (25 en l’état) – ne permettra pas nécessairement d’offrir une réponse juridique adaptée aux personnes concernées ni aux entreprises. En pratique, restera entier le problème de la preuve de ladite discrimination nécessaire à la mise en œuvre d’une condamnation en cas de contentieux.

Au-delà reste la question de la nécessaire conciliation des intérêts de l’entreprise (en terme d’image, de clientèle et de règles d’hygiène et de sécurité) et des libertés fondamentales individuelles et collectives des salariés. Il conviendra de ce fait d’apporter une vigilance particulière à la rédaction du règlement intérieur et aux différents codes de conduite ou bonnes pratiques en vigueur dans l’entreprise sur l’ensemble des sujets relatifs à l’apparence physique afin de permettre de préserver les nécessités de fonctionnement et d’image de la Société sans l’exposer sur le terrain des discriminations.

En pratique : quelles sont les mesures de lutte de discrimination en entreprise ?

La lutte contre la discrimination capillaire, laquelle peut être liée à l’apparence physique, la race, l’ethnie, l’âge ou encore le sexe est un enjeu prégnant au sein des entreprises qui doivent œuvrer pour assurer un climat serein et sécurisé de travail.

Il existe de nombreuses méthodes pour lutter efficacement contre de telles discriminations au sein de l’entreprise :

  • Mettre en œuvre un système de recrutement neutre et impartial fondé exclusivement sur les compétences et les parcours professionnels des candidats ;
  • Former régulièrement les salariés sur la diversité, l’égalité et l’inclusion, leur permettant de reconnaitre, cibler et être sensibilisés à la question de la discrimination notamment d’ordre capillaire ;
  • Assurer une promotion équitable des salariés décidée sur la base de critères neutres et objectifs ;
  • Mettre en place un canal confidentiel de signalement permettant aux salariés victimes de discrimination ou témoins de situations discriminantes de reporter de telles situations à leur hiérarchie ou à un service dédié ;
  • A l’instar des enquêtes mises en œuvre pour les problématiques liées au harcèlement moral ou sexuel, les enquêtes préalables permettent de mettre en lumière les faits de discrimination dénoncés et demeurent un réel outil d’aide à la décision et de gestion des risques. Elles peuvent être diligentées et menées directement  par la direction ou des salariés désignés à cet effet, faire l’objet d’un accompagnement par un organisme extérieur spécialisé et/ou menées en concertation avec les représentants du personnel ;
  • La mise en œuvre de politiques claires et strictes de lutte contre la discrimination au sein de l’entreprise, notamment au sein du Règlement intérieur et, le cas échéant, de Chartres ou de code de conduite ;
  • Agir, en apportant une réponse adaptée, face à des faits avérés de discrimination en mettant en œuvre un plan d’action efficace via des mesures protectrices à l’égard de la victime discriminée et des sanctions adaptées à l’encontre des auteurs de faits de discrimination, le cas échéant.

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Le cabinet ACTANCE demeure naturellement à votre disposition afin de vous accompagner dans la mise en œuvre de telles mesures.

[1] Enquête conjointement menée par Dove et LinkedIn, Crown 2023 Workplace Research Study, 2023

[2] Cass. soc., 23 novembre 2022, n°21-14060

Nelly Pourtier
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Nelly Pourtier a intégré le Cabinet Actance en 2008 à l’issue de sa formation à l’école des avocats. Elle est titulaire d’un Master II droit et pratiques des relations de travail et d’un DU en protection sociale à l’Université de Montpellier. Elle accompagne les groupes et entreprises sur toutes les problématiques liées aux relations collectives (notamment en matière de gestion des relations avec les représentants du personnel et de transfert d’entreprise) et individuelles du travail (harcèlement, inaptitude, …). Nelly accompagne également les groupes et entreprises dans leur phase de restructuration. Elle dispose d’une expertise dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux et anime régulièrement des formations juridiques à destination de nos clients (service juridique, RH ou managers), de conseillers prud’hommes, et dans diverses écoles ou institutions.