Pour l’entreprise utilisatrice, le CDI intérimaire n’est pas un rempart contre le risque d’une action en requalification des intérimaires Pour l’entreprise utilisatrice, le CDI intérimaire n’est pas un rempart contre le risque d’une action en requalification des intérimaires

Le contrat à durée indéterminée intérimaire (ci-après « CDI intérimaire ») permet à une entreprise de travail temporaire d’embaucher un salarié en contrat de travail à durée indéterminée pour effectuer des missions d’intérim successives, non déterminées à l’avance, auprès d’entreprises utilisatrices. Les périodes d’intermission sont assimilées à du temps de travail effectif en contrepartie duquel le salarié bénéfice d’une rémunération mensuelle minimum.
Initialement mis en œuvre dans le cadre d’un accord national conclu le 10 juillet 2013, étendu par arrêté du 22 février 2014 avant d’être annulé par le Conseil d’Etat le 28 novembre 2018, le CDI intérimaire a finalement été pérennisé et intégré dans le Code du travail par la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Son objet – tel qu’il ressort des travaux parlementaires élaborés à cette occasion – est de réduire la précarité des travailleurs intérimaires tout en assurant une flexibilité pour les entreprises de travail temporaire.
Pour y parvenir, le législateur a instauré un dispositif à mi-chemin entre le contrat à durée indéterminée de droit commun et le contrat de travail temporaire.
Le CDI intérimaire est effectivement « régi par les dispositions du Code du travail relatives au contrat à durée indéterminée » (article L.1251-58-2 du Code du travail) mais les conditions de mise à disposition du salarié auprès de l’entreprise utilisatrice sont, quant à elles, soumises aux règles du Code du travail relatives au contrat de travail temporaire (article L.1251-58-4 du même Code).
Ce régime hybride n’a pas manqué de soulever des questions parmi les suivantes :
  • Un salarié en CDI intérimaire et mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice peut-il obtenir la requalification de ses missions en CDI lorsque cette entreprise ne justifie pas d’un motif de recours au travail temporaire ?
  • La cessation de fourniture de travail par une entreprise utilisatrice à un salarié bénéficiant d’un CDI intérimaire requalifié en CDI peut-elle s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
La Cour de cassation y répond pour la première fois dans un arrêt du 7 février 2024, publié au Bulletin.
Marion Robert & Antoine Duret décryptent cette décision qui apporte de précieux éclairages sur les conditions de recours au CDI intérimaire et les sanctions applicables – alors que ce type de contrat a concerné en 2023 près de 6,3% des intérimaires[1].
[1] données partagées par Prism’emploi en février 2024

Les faits et la procédure

En l’espèce, une entreprise de travail temporaire avait mis une salariée à la disposition d’une entreprise utilisatrice suivant plusieurs contrats de mission temporaire entre le 8 avril et le 23 décembre 2015.

Le 13 janvier 2016, l’entreprise de travail temporaire et la salariée avaient conclu un CDI intérimaire.

En exécution de ce contrat, cette salariée avait été mise à la disposition de la même entreprise utilisatrice entre le 13 janvier 2016 et le 31 mai 2019, puis de deux autres sociétés entre le 5 juin et le 30 août 2019.

Le 26 septembre 2019, l’intérimaire avait saisi le conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir la requalification de ses missions au sein de la première entreprise utilisatrice et de contester la rupture de la relation de travail avec cette dernière.

Le 26 novembre 2019, elle avait ensuite été licenciée par l’entreprise de travail temporaire pour faute grave.

Saisie de l’affaire, la Cour d’appel a fait droit aux demandes de l’intérimaire. Les juges du fond ont effectivement procédé à la requalification des missions en CDI de droit commun à compter du 8 avril 2015 – date de la première mission – après avoir constaté que l’entreprise utilisatrice ne justifiait pas d’un motif de recours au travail temporaire. Ils ont également condamné cette dernière pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’entreprise utilisatrice ayant cessé de fournir du travail à l’intérimaire après le mois de mai 2019 sans avoir respecté la procédure de licenciement.

Insatisfaite de cette décision, l’entreprise utilisatrice s’est alors pourvue en cassation.

Elle soutenait, d’une part, que la requalification en CDI à son égard devait être nécessairement exclue dans la mesure où l’intérimaire ne pouvait être liée, pour une même prestation de travail, par deux contrats à durée indéterminée indistincts.

D’autre part, elle affirmait que le fait de cesser de fournir du travail à l’intérimaire au terme d’une mission exécutée dans le cadre d’un CDI intérimaire ne pouvait s’assimiler à une rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle ajoutait enfin que la salariée liée par un CDI intérimaire avec l’entreprise de travail temporaire ne pouvait obtenir, à la fois auprès de l’entreprise temporaire et de l’entreprise utilisatrice, les indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse à raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice.

Ces arguments n’ont pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui a rejeté le pourvoi aux motifs :

  • que la conclusion d’un CDI intérimaire n’exonère pas l’entreprise utilisatrice du respect des conditions de recours au travail temporaire sous peine de requalification des missions en CDI de droit commun (2),
  • qu’en cas de requalification, la cessation de fourniture de travail au terme de la dernière mission emporte nécessairement les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (3).

Le CDI intérimaire ne fait pas obstacle à une action en requalification

La Cour de cassation rappelle d’abord que les missions effectuées par le salarié lié par un CDI intérimaire sont notamment régies par les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du Code du travail.

Or :

  • Aux termes de l’article L. 1251-5, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ;
  • Selon l’article L. 1251-6, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise utilisatrice ;
  • Selon l’article L. 1251-40, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un CDI prenant effet au premier jour de sa mission.

La Haute juridiction en tire la conclusion que « lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire ». 

Le recours au CDI intérimaire ne fait donc pas obstacle à l’action en requalification de l’intérimaire contre l’entreprise utilisatrice lorsque les conditions de recours au travail temporaire ne sont pas respectées.

Ainsi et concrètement, en cas de requalification, l’intérimaire se voit alors titulaire de deux CDI distincts : le CDI intérimaire conclu avec l’entreprise de travail temporaire et le CDI issu de la requalification prononcée contre l’entreprise utilisatrice.

Cette situation, pour paradoxale qu’elle soit en apparence, n’est cependant pas contraire à la Loi. En effet, selon l’avocat général, le fait pour un salarié intérimaire d’être titulaire de deux CDI « n’est pas en tant que tel prohibé par le Code du travail » étant donné que « la seule limite pesant sur les parties est le respect des durées maximales de travail prévues par la loi ».

Conséquences de la requalification du CDI intérimaire

Poursuivant son raisonnement, la Cour de cassation a également jugé que « nonobstant l’existence d’un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture ».

La Haute Cour a ainsi estimé que le terme de la relation contractuelle à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice doit s’analyser, si le contrat est requalifié à son égard en CDI, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, la Cour d’appel a donc valablement décidé que la salariée puisse demander à l’entreprise utilisatrice comme à l’entreprise de travail temporaire (en raison de son licenciement pour faute grave) diverses sommes au titre de deux ruptures injustifiées « dès lors que l’objet de ces contrats n’est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d’une mission auprès de l’entreprise utilisatrice ».

Par l’effet de la requalification, l’intérimaire se trouvait effectivement titulaire de deux CDI, ce qui l’autorisait en cas de rupture injustifiée de l’un et/ou l’autre à réclamer les indemnités afférentes, quitte à obtenir une double indemnisation (par l’entreprise de travail temporaire au titre de la rupture du CDI intérimaire ; par l’entreprise utilisatrice au titre de la requalification des missions en CDI).

***

Dans son arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation met finalement en garde contre l’usage du CDI intérimaire qui n’exonère pas l’entreprise utilisatrice de l’obligation de respecter les conditions de recours au travail temporaire. Elle rappelle ainsi que le CDI intérimaire est davantage un dispositif de protection du salarié intérimaire qu’un outil de flexibilité pour l’entreprise utilisatrice.

Marion Robert
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Diplômée du Master II Droit et Pratiques des Relations de Travail (DPRT) et du DU de Protection sociale de l’université de Montpellier I, Marion a prêté serment en 2005.
Elle est titulaire du certificat de spécialisation en Droit du travail du Conseil National des Barreaux.
Après avoir collaboré avec le Cabinet Fromont-Briens, Marion a rejoint Actance en 2006.
Son activité est principalement consacrée au conseil aux entreprises et groupes au sein desquels elle anime régulièrement des formations. Marion intervient en matière de relations individuelles et collectives de travail, notamment sur des problématiques de réorganisation et de restructuration d’entreprises, de négociation collective et de gestion des instances représentatives du personnel.
Elle assure également la gestion des contentieux individuels et collectifs.