10 ans après la LSE, le Conseil d’Etat continue de définir les contours et les limites du contrôle de l’administration en matière de Plans de Sauvegarde de l’Emploi 10 ans après la LSE, le Conseil d’Etat continue de définir les contours et les limites du contrôle de l’administration en matière de Plans de Sauvegarde de l’Emploi
Lors du colloque tenu le 1er juin 2023 par le Ministère du Travail, un bilan de la loi de sécurisation et de l’emploi du 14 juin 2013 n° 2013-504 a été effectué. Les participants ont relevé[1] que le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) a considérablement diminué passant de 780 en 2014 à 325 en 2022, à l’exception d’une augmentation notable en 2020 liée à la crise sanitaire.
Il est à noter que, depuis l’application de cette loi, le rôle de l’administration a été considérablement renforcé. En effet, l’administration joue un rôle prépondérant tout au long de la procédure et dispose de moyens qui en font un acteur clé dans l’élaboration des PSE. Ce rôle est d’autant plus marqué que le non-respect des mesures qu’elle peut prendre dans le cadre de la procédure (observations, propositions, injonctions) expose les entreprises au risque de se voir refuser la validation ou l’homologation du PSE.
Au cours des dernières années, les PSE ont généré un important contentieux, focalisé sur le périmètre du contrôle de l’autorité administrative et les domaines sur lesquels les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) doivent exercer ce dernier pour décider de la validation ou de l’homologation des PSE.
Si, au fur et à mesure, certaines problématiques ont été définitivement tranchées par le Conseil d’Etat, de nouvelles questions lui sont régulièrement soumises, comme celles du contrôle de la DREETS en matière de risques psychosociaux, de l’application de la législation sur le transfert automatique des contrats de travail (article L.1224-1 du Code du travail) ou encore de l’appréciation des critères d’ordre de licenciement.
Lucie Vincens, avocate associée et Emah Kangah avocate collaboratrice au sein du cabinet actance, reviennent sur les évolutions jurisprudentielles marquantes de l’année 2023 en matière de PSE.
[1]Dossier de presse : les PSE, 10 ans après la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013
L’année 2023 : les risques psychosociaux au cœur du débat
Le Tribunal des conflits, dans une décision du 8 juin 2020[1], a rappelé qu’il appartient à l’autorité administrative de contrôler le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés.
Par deux arrêts de principe en date du 21 mars 2023[2], le Conseil d’Etat a rappelé que les risques psychosociaux doivent être pris en considération lors de l’élaboration des PSE et que l’administration doit exercer un contrôle tant sur l’information et la consultation du CSE sur les effets de la réorganisation envisagée sur la santé des salariés, que sur les mesures de prévention qui ont été prises par l’employeur.
Par un arrêt en date du 19 décembre 2023[3], le Conseil d’Etat est venu préciser que si les mesures de prévention des risques professionnels sont intégrées dans l’accord majoritaire portant PSE (ce qui est possible mais pas obligatoire), l’administration doit tout de même exercer son contrôle sur le caractère précis et concret desdites mesures. L’appréciation doit d’ailleurs se faire au regard des éventuels compléments d’information et documents communiqués, s’agissant de la prévention des risques, au CSE par l’employeur.
Bien évidemment, quand bien même l’administration devra exercer un contrôle approfondi desdites mesures, le fait que ces mesures soient reprises par accord portant PSE sera par définition de nature à favoriser la reconnaissance de leur caractère précis et sérieux.
En conclusion, l’identification et la mise en œuvre de mesures précises et concrètes pour assurer la santé ou la sécurité des salariés dans l’élaboration des PSE est impératif lorsqu’une entreprise met en place une procédure emportant PSE.
L’administration n’a pas vocation à exercer un contrôle sur l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail
Sur un autre sujet, le Conseil d’Etat a récemment apporté des précisions importantes concernant l’étendue du contrôle de l’autorité administrative lorsque les salariés prétendent que le contrat de travail des salariés aurait dû être repris à l’occasion d’un transfert d’activité.
En l’espèce, les salariés dont le licenciement pour motif économique était envisagé dans le cadre du PSE, considéraient que leur contrat de travail aurait dû être repris, en application de l’article L.1224-1 du Code du travail, du fait du transfert de l’activité à laquelle ils étaient affectée, vers d’autres sociétés du groupe.
Par un arrêt en date du 19 décembre 2023[4], le Conseil d’Etat rappelle qu’il n’appartient pas à l’administration statuant sur une demande d’homologation d’un document unilatéral portant PSE, de veiller à la bonne application de l’article L.1224-1 du Code du travail, selon lequel tous les contrats de travail en cours au jour d’une modification dans la situation juridique de l’employeur subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. Cette analyse confirme que le contrôle des DREETS se limite à la vérification des matières expressément visées à l’article L.1233-57-3 du Code du travail, auxquels s’ajoute le contrôle de la prise en compte des risques psychosociaux dans l’élaboration du PSE.
Il ne revient pas au juge administratif d’exercer un contrôle sur la bonne application des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail. Les salariés pourront en revanche porter ce litige devant le Conseil de prud’hommes à l’occasion de la contestation individuelle du licenciement pour motif économique.
Les critères d’ordre de licenciement : points d’attention
Par deux arrêts en date du 31 octobre 2023[5], le Conseil d’Etat apporte des précisions sur les critères d’ordre des licenciements et rappelle qu’il appartient à l’administration saisie d’une demande d’homologation d’un document unilatéral portant PSE, de s’assurer qu’en l’absence d’accord collectif ayant fixé les critères d’ordre, le document unilatéral fait bien application des quatre critères mentionnés à l’article L.1233-5[6] du Code du travail, ce qui n’est pas le cas si pour un ou plusieurs des critères légaux, il est affecté la même valeur pour tous les salariés.
Outre le contrôle du recours aux critères légaux, le Conseil d’Etat relève qu’il incombe à l’administration de s’assurer que les éléments sur lesquels s’appuie l’employeur pour déterminer l’ordre des licenciements ne sont ni discriminatoires ni dépourvus de rapport avec l’objet même de ces critères.
Dans le cadre de son contrôle, l’administration peut se baser sur les éléments qui lui sont présentés, et notamment les échanges avec le CSE lors de la procédure d’information et de consultation antérieure à l’adoption du document unilatéral, ainsi que les justifications objectives et vérifiables qui sont fournies par l’employeur.
S’agissant du critère des qualités professionnelles, le Conseil d’Etat souligne qu’il appartient en particulier à l’administration de vérifier que les éléments d’appréciation de ce critère ne sont pas « insusceptibles de permettre de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés de la ou des catégories professionnelles afférentes et n’ont pas été définis dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou à leur affectation ».
Sur ce dernier point, « les résultats de l’évaluation professionnelle des salariés lorsqu’ils existent, peuvent être utilement retenus par l’employeur ». Le Conseil d’état reconnait bien que les résultats de l’évaluation professionnelle peuvent être retenus par l’employeur pour apprécier les critères professionnels. Cependant, si une entreprise entend s’appuyer sur ces éléments, il conviendra de s’assurer que ces entretiens sont réalisés de manière régulière au bénéfice de l’ensemble des salariés concernés (sauf situations spécifiques liées aux absences notamment).
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Naturellement, le cabinet actance spécialisé en matière de droit social reste à votre entière disposition pour tout complément d’information et peut vous assister dans l’élaboration ainsi que la mise en œuvre des PSE.
[1] T. conflits, 8 juin 2020 n°C4189
[2] CE, 21 mars 2023 n°460660/ CE, 21 mars 2023 n°450012
[3] CE, 19 décembre 2023 n°458434
[4] CE, 4ème – 1ère ch. réunies, 19 décembre 2023 n°467283
[5] CE, 4ème ch. réunies, 31 octobre 2023 n°456091 / n°456332
[6] L.1233-5 du Code du travail : « Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique. Ces critères prennent notamment en compte : 1° Les charges de famille, 2° L’ancienneté, 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés et 4° Les qualités professionnelles par catégorie (…) ».
Lucie Vincens
Lucie est titulaire d’un master II et du Diplôme de Juriste Conseil d’Entreprise (DJCE).
Elle travaille quotidiennement en Anglais et en Français.
Elle a pratiqué 2 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé en juin 2005 à la création du cabinet Actance.
Lucie accompagne notamment des groupes de dimension nationale et internationale à l’occasion de phases d’acquisition, de cession et de réorganisation. Elle les assiste également sur toutes les questions relevant des relations collectives et individuelles de travail.
Avocate, spécialiste en droit du travail, elle intervient dans le cadre de l’enseignement en droit social au sein du Master II DPRT de l’Université de Montpellier.