Dispense d’affiliation aux régimes de couverture des frais de santé : comment concilier la jurisprudence et la doctrine administrative Dispense d’affiliation aux régimes de couverture des frais de santé : comment concilier la jurisprudence et la doctrine administrative

Le caractère obligatoire des régimes de couverture des frais de santé mis en place dans les entreprises est atténué par l’existence de dispenses d’affiliation d’ordre public, ou prévues l’acte de droit du travail instituant les garanties. Elles doivent alors être expressément mentionnées dans celui-ci.

Au nombre de celles-ci, la plus fréquente concerne la possibilité pour un salarié de ne pas adhérer au contrat, lorsqu’il bénéficie déjà d’une couverture similaire dans le cadre d’un autre emploi, y compris en tant qu’ayant droit.

Une récente décision de la chambre sociale de la Cour de cassation du 7 juin 2023 (n° 21-23.743) a apporté une clarification significative sur les conditions dans lesquelles s’exerce ce droit à dispense. Cependant, malgré ces précisions des incertitudes demeurent.

  • Sur la base d’une approche littérale de l’article L.242-1, II, 4° du code de la sécurité sociale, la Direction de la sécurité sociale considère que pour ouvrir droit à dispense, la couverture sur laquelle le salarié fonde sa demande doit être obligatoire tant pour l’assuré principal que pour l’ayant droit. Cependant, l’arrêt du 7 juin 2023 semble avoir remis en question cette exigence.

Le litige s’inscrivait dans le cadre d’un contentieux prud’homal, dans lequel un salarié sollicitait la restitution des cotisations qui avaient été précomptées sur sa rémunération au titre d’un régime frais de santé, alors qu’il avait sollicité une dispense d’adhésion en raison de la couverture dont il bénéficiait en tant qu’ayant droit de son conjoint, salarié d’une autre entreprise. Son employeur avait refusé de faire droit à sa demande, au motif que cette couverture n’était pas obligatoire pour les ayants droit, ce qui n’a pas été contesté. La Cour de cassation, confirmant l’arrêt d’appel, a souligné l’absence d’exigence légale quant à la justification du caractère obligatoire de cette couverture pour les ayants droit.

La Cour se prononce ainsi en termes très clairs en indiquant que :

« Il en résulte que la dispense d’adhésion au régime complémentaire collectif et obligatoire mis en place dans l’entreprise du salarié n’est pas subordonnée à la justification qu’il bénéficie en qualité d’ayant droit à titre obligatoire de la couverture collective relevant d’un dispositif de protection sociale complémentaire présentant un caractère collectif et obligatoire de son conjoint. »

Cette position est aussi précise qu’elle semble contradictoire avec la doctrine opposable de l’administration qui précise dans le Bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS) que la dispense est ouverte aux « Salariés bénéficiant au titre d’un autre emploi, pour les mêmes risques, y compris en tant qu’ayants droit, d’une couverture relevant de l’un des dispositifs suivants: « couverture collective obligatoire ».

A cet égard, la position de la chambre sociale de la Cour de cassation peut apparaître discutable, compte tenu du renvoi par l’arrêté du 26 mars 2012, qui définit les cas de dispenses liés à l’existence d’une couverture par ailleurs, à un régime remplissant les conditions mentionnées au sixième alinéa de l’article L. 242-1 du même code (devenu 4° du II de l’article L.242-1). Or ce texte vise bien la couverture des salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit, dès lors qu’elle est collective et obligatoire.

  • Si cette décision apporte des éléments de réponse intéressants, elle laisse néanmoins des questions en suspens :
    • La Haute juridiction a statué sur des dispenses conventionnelles. On peut s’interroger sur le point de savoir si la décision aurait été identique en présence d’une dispense d’ordre public.
    • La deuxième chambre civile, chargée du contentieux de la sécurité sociale, aurait-elle eu la même analyse ?

L’on peut tenter de répondre à la première de ces interrogations. Les dispenses d’ordre public et conventionnelles étant tellement proches dans leur rédaction, on doit pouvoir estimer que la décision aurait été identique dans le cas d’une dispense d’ordre public. Il faudra, pour suivre la solution de la Haute juridiction, prendre en compte chaque cas de dispense et vérifier si les textes règlementaires imposent la production d’un justificatif par le salarié. En outre, il faut rappeler que l’employeur peut être plus exigeant pour la mise en œuvre des dispenses dites « conventionnelles », que l’article R.242-6-1 du code de la sécurité sociale, et ce, tant qu’il n’empiète pas sur les facultés offertes par les dispenses d’ordre public.

La seconde question est plus épineuse et on ne saurait préjuger de la position de la deuxième chambre civile. En effet, la Direction de la sécurité sociale n’a pas modifié sa doctrine postérieurement à cet arrêt, mais on constate qu’elle l’avait déjà considérablement assouplie s’agissant des modalités des demandes de dispense, autorisant que les salariés puissent, en lieu et place des justificatifs de la couverture dont ils se prévalent, en attester sur l’honneur. On doit pouvoir relativiser les risques de redressement, portant sur les contributions patronales versées au titre des salariés dispensés dont la couverture invoquée ne serait en réalité pas obligatoire, dès lors que leur attestation est conforme à la doctrine de la sécurité sociale. Aussi, il sera préférable de faire droit à toute demande de dispense appuyée par une attestation sur l’honneur évoquant une couverture éligible au cas de dispense invoquée.

En définitive, les entreprises devront demeurer attentives à l’évolution de cette jurisprudence et ajuster leurs pratiques en conséquence. Dans l’attente de précisions, et afin d’éviter que le caractère obligatoire du régime institué dans l’entreprise soit remis en cause et le financement patronal des salariés dispensés à tort réintégré dans l’assiette des cotisations sociales, on ne peut que conseiller aux employeurs d’exiger que la demande de dispense du salarié prenne la forme d’une attestation sur l’honneur précisant que son affiliation en tant qu’ayant droit est obligatoire.

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