Les clauses de non-concurrence à l’épreuve du télétravail : une impérative adaptation

L’émergence du télétravail en tant que mode de travail courant, accentuée par la pandémie de COVID-19, a profondément transformé la façon dont les entreprises rédigent et appliquent les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail. Ces clauses, traditionnellement axées sur des restrictions géographiques, doivent évoluer pour s’adapter à un environnement de travail de plus en plus dématérialisé. Le dilemme auquel sont confrontées les entreprises, en particulier les services Ressources Humaines, est le suivant : comment garantir l’efficacité d’une clause de non-concurrence dans un monde où les employés peuvent travailler de n’importe où, y compris de leur domicile ?
Pour répondre à cette question, Santhi Tillenayagane et Aymeric de Lamarzelle, collaboratrice et associé du cabinet Actance, vous proposent des pistes de réflexion.

Un rappel utile du cadre légal actuel

Pendant l’exécution du contrat – Tout salarié doit exécuter loyalement son contrat de travail (C. trav. art. L. 1222-1). Même en l’absence de clause d’exclusivité, il ne peut, sans commettre de faute, concurrencer son employeur soit directement, soit indirectement, pendant l’exécution du contrat, y compris pendant la durée du préavis.

Après la cessation du contratSauf s’il est lié par une clause de non-concurrence, le salarié retrouve en principe sa liberté à l’expiration du contrat : le fait de s’établir à son compte pour exercer une activité similaire à celle de son ancien employeur n’est donc pas fautif.

Conditions cumulatives de validité – La clause de non-concurrence doit répondre à quatre conditions de validité cumulatives. Si une seule d’entre elles manque, la clause est nulle et donc inopposable au collaborateur :

  1. être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (Cass. soc., 20 juin 1995, n° 93-40.287) ;
  2. être limitée à la fois dans le temps et dans l’espace (Cass. soc., 7 mai 1991, n° 87-43.470 ; Cass. soc., 8 janvier 2020, n° 18-16.667 ; Cass. soc., 15 décembre 2009, n° 08-44.847) ;
  3. tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié (Cass. soc., 20 juin 1995, n° 93-40.287) ;
  4. prévoir une contrepartie financière (Cass. soc., 13 mars 2019, n° 17-24.804).

Etat des lieux des matrices contractuelles et leurs limites

Pour définir la durée de l’interdiction de non-concurrence, et le périmètre de cette interdiction, les entreprises tiennent compte des fonctions exercées par le salarié et des zones dans lesquelles l’activité de l’ancien salarié peut effectivement concurrencer l’entreprise (Cass. soc., 7 mai 1991, n° 87-43.470).

Pour autant, certaines entreprises ont tendance à définir un périmètre extrêmement strict dans lequel l’activité de l’ancien salarié concurrence l’entreprise. Cette approche, bien qu’elle puisse sembler protectrice pour l’entreprise, présente des lacunes.

En effet, de nouveaux moyens de contournement sont trouvées par les entreprises concurrentes et anciens salariés pour échapper à l’effet utile de la clause.

Ainsi, nous rencontrons de plus en plus de cas d’entreprises ou de salariés qui créent des établissements à la limite de la zone de chalandise visée par la clause dans le but de capter, sans violer contractuellement la clause, l’activité de l’ancien employeur. 

Dans ces circonstances, l’effet utile de la clause, qui se définit par sa capacité à atteindre son objectif initial, c’est-à-dire à protéger les intérêts légitimes de l’entreprise et à empêcher un salarié à se livrer à des activités professionnelles qui pourraient nuire à son ancien employeur, est bafoué.

Ces nouvelles pratiques mettent en lumière la nécessité d’adopter une nouvelle approche, équilibrée, dans la rédaction de ces clauses, qui assure une protection légitime pour l’entreprise sans pour autant imposer des restrictions excessives aux anciens employés.

Les pistes envisageables

Elargir le secteur géographique visée par la clause – Une première approche consiste à élargir la portée géographique de la clause de non-concurrence.

En effet, le constat du développement du recours au télétravail s’impose à tous et met parfois à mal l’effet utile  de la clause de non concurrence.

A titre illustratif :

  • en 2021, sur une semaine, 55 % des cadres ont télétravaillé.
  • Ce pourcentage s’accentue en fonction des zones géographiques de France : en 2021, en moyenne chaque semaine, parmi les cadres résidant à Paris, 74,5 % ont télétravaillé.
  • A ces chiffres, s’ajoute le constat selon lequel les talents recherchés par les entreprises sollicitent de plus en plus un télétravail généralisé pour l’exécution de leurs fonctions.

Pour ne pas ne pas subir une fuite de leur savoir-faire, les employeurs devront revoir la rédaction de leurs clauses en envisageant, le cas échéant d’étendre le champ géographique, étant rappelé à ce titre qu’un champ étendu à la France entière est autorisée par la Cour de cassation (Cass. soc., 15 décembre 2009, n° 08-44.847).

Une définition minutieuse de l’activité concurrente visée – Dès lors qu’une entreprise fait le choix d’étendre le secteur géographique visé par l’interdiction, elle doit s’assurer de définir précisément l’activité exercée par le salarié, et a fortiori, les activités professionnelles visées par l’interdiction.

Cette définition est nécessaire puisque le choix de domiciliation du salarié (pour un collaborateur qui exerce en full remote) relève de sa liberté individuelle et ne saurait constituer de facto une violation d’une clause de non-concurrence (CA de Toulouse, 1 avril 2022, RG N° 21/00959).

Ainsi, il appartiendra à l’entreprise de préciser le cas échéant contractuellement :

  • les fonctions précises exercées (responsabilités comprises) au moment de l’embauche du salarié et à faire évoluer les termes de la clause en fonction des évolutions du poste du salarié ;
  • la ou les activités de l’entreprise et conditionner l’interdiction, soit à l’ensemble des activités (sous réserve de pouvoir démontrer que le salarié intervient pour cet ensemble) ou conditionner l’interdiction à des activités déterminées ;
  • la ou les activités des entreprises concurrentes concernées par l’interdiction : il s’agit précisément de préciser au maximum les domaines d’activité visés par la clause et de préciser que la clause ne se limite pas à l’embauche par une société concurrente dans le secteur géographique défini mais s’étend également à toute activité concurrente au sein dudit secteur (prospection commerciale, prestation commerciale pour une entreprise cliente ou susceptible de le devenir)

Par ailleurs, il pourrait également être envisagé de faire évoluer la formule contractuelle classique pour intégrer l’hypothèse des fonctions télétravaillables « […] le collaborateur s’interdit, pendant et à l’expiration du présent contrat, et quel qu’en soit le motif, sauf si la rupture intervient au cours de la période d’essai, de s’intéresser directement ou indirectement, pour son compte ou celui d’un tiers, à quelque titre que ce soit, salarié ou non salarié, y compris dans le cas où il exercerait ses nouvelles fonctions en télétravail, à une autre affaire […]. »

Cela étant, l’insertion d’une telle mention devra faire l’objet d’une appréciation in concreto et ne pas généraliser le cas à l’ensemble des contrats.

L’ère du télétravail force les entreprises à repenser leurs clauses de non-concurrence pour les adapter à un environnement de travail en constante évolution.

Naturellement, le cabinet Actance peut vous accompagner dans le cadre d’une refonte de vos clauses pour les adapter à cette nouvelle ère.

Vous pouvez retrouver ici notre news relative à la gestion d’une violation d’une clause de non-concurrence.

Aymeric de Lamarzelle
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Aymeric de Lamarzelle a intégré le Cabinet Actance en 2009 à l’issue de sa formation à l’école des avocats.
Il est titulaire d’un Master II : Droit des ressources humaines et protection sociale de l’entreprise de l’Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines.
Il exerce une activité principalement judiciaire et accompagne nos clients dans la gestion des contentieux de droit du travail (individuel et collectif) mais aussi sur les problématiques du droit de la Sécurité sociale (contestation de la reconnaissance des accidents du travail et maladies professionnelles, faute inexcusable, etc.).
Il plaide donc régulièrement devant les Conseils des Prud’hommes et Cours d’Appel (problématiques de licenciement, de discrimination, d’égalité de traitement,…) mais également devant les Tribunaux de Grande Instance (contentieux collectifs, contestation d’expertise …), Tribunaux d’instance (contentieux d’élections professionnelles) et Tribunaux des affaires de sécurité sociale (contestation du caractère professionnel de la maladie, contentieux de la faute inexcusable…).

Santhi Tillenayagane
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