Actu-tendance n° 695
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : La durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit, calculée sur une période de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures, sauf dans les cas prévus à l’article L. 3122-18 (C. trav. art. L. 3122-7).
L’article L. 3122-18 du Code du travail précise qu’ « un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut, lorsque les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient, prévoir le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail prévue à l’article L. 3122-7, à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de quarante-quatre heures sur douze semaines consécutives ».
A défaut d’accord, un décret peut fixer la liste des secteurs pour lesquels la durée maximale hebdomadaire de travail est fixée entre quarante et quarante-quatre heures (C. trav. art. L. 3122-24).
S’agissant des entreprises du secteur des transports routiers, la durée maximale hebdomadaire de travail est fixée à 46 heures sur douze semaines consécutives (art. 2.2 de l’accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la CCN des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950).
A qui incombe la charge de la preuve en cas de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail ?
Le salarié doit-il démontrer son préjudice pour obtenir des dommages-intérêts ?
Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-24.782
Un chauffeur-routier a saisi la juridiction prud’homale en vue d’obtenir des dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales, quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail.
Il soutenait qu’il dépassait régulièrement la durée maximale hebdomadaire de 46 heures de sorte que son employeur avait porté atteinte à sa sécurité, alors même que son métier demandait une acuité et une vigilance importantes afin de préserver tant sa propre sécurité que celle des autres usagers de la route.
Le salarié a été débouté par la Cour d’appel au motif que « l’amplitude horaire avancée par lui dans ses écritures ne correspondait pas au travail effectif et que le salarié disposait de temps de repos et de mise à disposition ». Elle a également considéré qu’il ne justifiait pas d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur.
La Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel. Elle rappelle au visa de l’article 1353 du Code civil que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur.
Elle ajoute que le dépassement de la durée maximale de travail ouvre, à lui seul, droit à la réparation.
En conséquence, dès lors que l’employeur ne justifiait pas avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit, le salarié pouvait prétendre à une indemnisation.
Note : Cette décision s’inscrit dans la lignée des arrêts précédemment rendus par la Cour de cassation sur le sujet. Elle avait rendu une décision similaire dans un arrêt du 14 décembre 2022, hors contexte de travail de nuit (Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 21-21.411).
Rappel : Un salarié peut agir devant le Conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements graves de l’employeur (Cass. Soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251).
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ce dernier se poursuit jusqu’à ce que le juge statue sur la demande du salarié (sauf par exemple licenciement intervenant dans l’intervalle).
Les manquements s’apprécient au jour de la décision des juges du fond, en tenant compte des circonstances intervenues jusque-là (Cass. soc., 26 oct. 2017, n°16-17.992).
Quel est le point de départ de l’action en résiliation judiciaire ?
Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-25.973
Dans cette affaire, une salariée a été placée en invalidité de deuxième catégorie à compter de février 2009.
Le 26 mars 2015, elle a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Elle reprochait à son employeur de ne pas avoir organisé une visite de reprise après avoir été informé de son classement en invalidité de deuxième catégorie.
Les juges du fond l’ont déboutée de sa demande aux motifs qu’elle était prescrite. Pour eux, le point de départ de l’action était constitué par le courrier adressé à la salariée le 23 février 2009 par lequel l’employeur indiquait avoir connaissance de son classement en invalidité, de sorte que la salariée pouvait introduire sa demande jusqu’au 23 février 2014.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle juge que « l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n’a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande ».
L’action de la salariée était donc recevable dès lors que le contrat n’était pas rompu au moment de la demande, et ce, peu important la date des griefs invoqués au soutien de cette demande.
Note : Cette décision se rapproche d’un arrêt du 30 juin 2021 dans lequel la Cour de cassation avait jugé que le juge saisi d’une demande en résiliation judiciaire doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de la demande, quelle que soit leur ancienneté (Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-18.533).
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : Les élections professionnelles peuvent avoir lieu par vote électronique (C. trav. art. L. 2314-26).
Le système de vote électronique doit pouvoir être scellé à l’ouverture et à la clôture du scrutin (C. trav. art. R. 2314-8).
La liste d’émargement n’est accessible qu’aux membres du bureau de vote et à des fins de contrôle de déroulement du scrutin (C. trav. art. R. 2314-16).
L’employeur ou le prestataire qu’il a retenu doit conserver sous scellés, les listes d’émargement jusqu’à l’expiration du délai de recours et, lorsqu’une action contentieuse a été engagée, jusqu’à la décision juridictionnelle devenue définitive (C. trav. art. R. 2314-17).
Une salariée peut-elle accéder à la liste d’émargement, postérieurement à la clôture du scrutin ? Cela entache-t-il la régularité des élections ?
Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 22-21.249
Des élections professionnelles se sont déroulées au sein d’une société entre le 3 et le 6 mai 2022, par voie électronique.
Quelques jours après la clôture du scrutin, une salariée et représentante syndicale a demandé au responsable des ressources humaines, la liste d’émargement de l’élection. Le RRH le lui a transmis le 10 mai 2022.
Le 20 mai 2022, la salariée et son syndicat ont saisi le tribunal judiciaire soutenant que cette transmission de la liste d’émargement était irrégulière et avait pour conséquence l’annulation des élections.
Le tribunal judiciaire a rejeté leur demande estimant que la demande de la salarié à consulter la liste d’émargement était déloyale et constituait un stratagème en vue d’obtenir l’annulation des élections.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation confirme le jugement. Elle retient que l’irrégularité résultant de la transmission directe par l’employeur, après la clôture du scrutin, de la liste d’émargement à la demande d’une partie intéressée n’est pas susceptible d’entraîner en elle-même l’annulation des élections.
Note : C’est à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation juge que l’irrégularité résultant de la transmission directe par l’employeur, après la clôture du scrutin, de la liste d’émargement à la demande d’une partie intéressée, ne suffit pas pour entraîner l’annulation des élections.
Législation et réglementation
Les organisations représentatives des travailleurs indépendants et les organisations représentatives des plateformes de VTC ont signé, le 19 septembre 2023, un nouvel accord visant à renforcer les conditions d’exercice de l’activité de chauffeurs recourant à des plateformes VTC.
L’accord offre de nouvelles garanties aux chauffeurs qui devront désormais :
- disposer d’une information claire sur le ou les motifs qui justifient la résiliation des relations avec la plateforme ;
- pouvoir émettre leurs observations avant que la plateforme ne prenne une décision finale ;
- bénéficier d’un dédommagement lorsqu’une décision de suspension à titre conservatoire à leur égard, n’a in fine, pas fait l’objet d’une décision de résiliation et si certaines conditions spécifiques sont remplies.
L’accord prévoit également la mise en place d’une procédure visant à permettre aux chauffeurs dont le compte a fait l’objet d’une résiliation de demander, passé un certain délai, à avoir à nouveau recours à la plateforme.
L’accord entrera en vigueur 4 mois après sa date de dépôt auprès de l’ARPE.
Le plafond de la sécurité sociale devrait être revalorisé de 5,4 % en 2024.
Selon les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale, le plafond annuel de la sécurité sociale devrait être porté à 46 368 € (contre 43 992 € actuellement).
Par conséquent, le plafond mensuel s’établirait à 3 864 € en 2024 (contre 3 666 € actuellement).
Ces montants doivent être confirmés par arrêté, lequel devrait être publié en principe en décembre prochain.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Jurisprudence – Protection sociale
Cass. 2e civ., 28 septembre 2023, n° 21-20.685
Les bons de souscription d’actions constituent un avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales dès lors qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles.
La Cour de cassation considérait jusqu’à présent que, pour le calcul des cotisations sociales afférentes à cet avantage, la date à prendre en compte était celle à laquelle le bénéficiaire a eu la libre disposition des bons de souscription, et que l’avantage devait être évalué selon la valeur des bons à cette date (Cass. 2e civ., 4 avril 2019, n° 17-24.470).
Par un revirement de jurisprudence, elle considère désormais que le fait générateur des cotisations sociales afférentes à cet avantage s’entend de la cession ou de réalisation des bons de souscription, de sorte que l’avantage doit être évalué à cette date en fonction du gain obtenu ou de l’économie réalisée par le bénéficiaire.
Elle ajoute que pour déterminer la valeur de l’avantage, il convient de prendre en compte la plus-value calculée pour chaque bénéficiaire à la date d’exercice effectif de ses droits sur les bons de souscription d’actions, laquelle correspond à la différence entre d’une part, la valeur de l’action à la date de son acquisition et d’autre part, le prix d’acquisition du bon et celui de l’action.
Cass. 2e civ., 27 septembre 2023, n°21-21.995
Le respect par une entreprise de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires.
En conséquence, le fait pour un concurrent de s’en affranchir lui confère un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une concurrence déloyale.
Législation et réglementation
La rubrique « Allègements généraux » du BOSS a été mise à jour afin de tenir compte de la modification du plafonnement de la réduction générale des cotisations et contributions sociales conformément au décret n° 2023-801 du 21 août 2023.
Un chapitre présentant sous la forme de tableaux récapitulatifs les limites forfaitaires d’exclusion de l’assiette sociale des avantages en nature ainsi que les montants à jour d’évaluation forfaitaire des avantages en nature a également été ajouté dans la rubrique « Avantages en nature ».
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Le 7 septembre 2023, le médiateur des entreprises a publié une étude sur les performances RSE des entreprises françaises et européennes.
L’étude menée dans 62 213 entreprises sur la période de 2018 à 2022, met en évidence les avancées significatives des entreprises françaises en matière de RSE au cours des dernières années.
Il en résulte que :
- l’engagement des entreprises françaises et européennes en matière de RSE a augmenté ces 5 dernières années ;
- 52% de toutes les entreprises françaises évaluées en 2022 ont une politique « Achats Responsables » en place, contre 48% il y a 5 ans;
- 62% des entreprises françaises évaluées en 2022 ont au moins une action « Achats Responsables » en place, contre 52% il y a deux ans.
- Ce sont surtout les petites et moyennes entreprises (PME) qui ont participé à la progression française en matière de RSE sur les 5 dernières années, particulièrement dans les secteurs de l’agroalimentaire et du transport.
Pour le médiateur, « cette nouvelle étude confirme la dynamique générale des entreprises européennes et françaises sur les thématiques RSE ». Il encourage ainsi les entreprises encore hésitantes à « s’embarquer dans le mouvement ».