Actu-tendance n° 694

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : L’article L. 3322-1 du Code du travail dispose que « la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise.
Elle prend la forme d’une participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l’entreprise, constituant la réserve spéciale de participation ».
L’article L. 1132-1 du Code du travail pose le principe de non-discrimination en raison de l’état de santé notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions.
La question posée devant la Cour de cassation était de savoir si les heures non travaillées lorsque le salarié se trouve en temps partiel thérapeutique, consécutif à un accident du travail, doivent être considérées comme du temps de travail effectif pour le calcul de la participation.

Cass. soc., 20 septembre 2023, n° 22-12.293 

Dans cette affaire, une entreprise a signé un accord de participation en février 2015 qui prévoyait que « seules les heures de travail effectif et/ou assimilées du salarié » étaient prises en compte pour le calcul du droit individuel de chaque salarié.

Une salariée victime d’un accident du travail en mai 2015, a travaillé en temps partiel thérapeutique du 6 décembre 2015 au 8 août 2016. Sa prime de participation sur cette période a été calculée en excluant les heures non travaillées.

Elle a saisi la juridiction prud’homale en demandant le paiement d’un rappel de prime de participation. Elle soutenait qu’il y avait lieu de tenir compte des heures non travaillées pendant son temps partiel thérapeutique pour le calcul de sa prime de participation.

La Cour d’appel a fait droit à sa demande entrainant le pourvoi en cassation de l’employeur. Ce dernier soutenait que l’accord de participation ne mentionnait pas, parmi les heures devant être assimilées à des heures de travail effectif, les heures non travaillées dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique.

Pour trancher le litige, la Cour de cassation s’appuie sur le principe de non-discrimination notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions en raison notamment de l’état de santé des salariés.

Se faisant, elle juge dans cette affaire que « la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l’entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l’assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l’arrêt de travail pour maladie l’ayant, le cas échéant, précédé ».

Note : C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation retient cette solution concernant la prime de participation.

Elle avait néanmoins retenu une solution similaire concernant la prime d’intéressement dans un arrêt du 16 juin 2011 : le code du travail ne permet pas de réduire la prime d’intéressement pour des absences consécutives à un accident du travail. Lorsque le salarié travaille à temps partiel (mi-temps thérapeutique) consécutif à un accident du travail, le même raisonnement doit être observé (Cass. soc., 16 juin 2011, n° 08-44.616).

Il convient de préciser que dans sa décision, la Cour de cassation emploie des termes très généraux et ne vise pas uniquement le cas d’un temps partiel thérapeutique consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle. La question demeure donc en suspens et il est possible qu’en choisissant de se placer sur le terrain de la discrimination liée à l’état de santé, les Hauts Magistrats aient ainsi souhaité étendre cette position au temps partiel thérapeutique postérieur à une maladie d’origine non professionnelle.

Rappel : L’article L. 1132-1 du Code du travail prévoit qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination en raison de son origine, son sexe, sa race, son nom ou de tout autre critère discriminatoire.
Le fait d’interrompre le processus de recrutement d’un candidat qui refuse de donner son âge peut-il être considéré comme discriminatoire ?

Cass. soc., 6 septembre 2023, n° 22-15.514

Dans cette affaire, une candidate âgée de 57 ans a adressé sa candidature à la RATP avec un curriculum vitae anonymisé.

Présélectionnée et orientée vers un emploi d’animateur agent mobile, elle a été convoquée à une journée de tests.

La candidate ayant refusé de communiquer son âge, la RATP a refusé de faire droit à sa demande de report de la journée de tests.

La candidate a saisi le Conseil de prud’hommes soutenant que ce refus caractérisait une discrimination indirecte liée à l’âge, afin de réclamer des dommages et intérêts.

La Cour d’appel a débouté la candidate de ses demandes retenant que :

  • la phase d’anonymat du recrutement avait pris fin dès la première convocation de la candidate à une journée de sélection ;
  • il est « d’usage courant que tant les administrations que les entreprises utilisent la donnée de l’âge (non interdite de collecte par la CNIL) pour s’assurer de l’identité des personnes qui les sollicitent ».

Elle retient également que la RATP ignorant l’âge de la candidate ne pouvait l’avoir discriminée pour ce motif. Elle ajoute que la RATP avait un motif légitime pour connaître la date de naissance des candidats au regard des exigences d’âge requises pour l’accès éventuel au statut.

Selon la candidate, les juges auraient dû rechercher si le refus de permettre l’accès à un processus de recrutement en raison de la non-transmission de la date de naissance ne constituait pas une atteinte manifestement disproportionnée aux intérêts des candidats et donc un moyen disproportionné au regard de l’objectif à atteindre.

La Cour de cassation donne raison à la candidate. Elle retient que dans le listing des nouveaux agents recrutés, aucun n’a plus de 56 ans.

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel n’a pas caractérisé que la connaissance de la date de naissance de la candidate, à ce stade du processus de recrutement sur un poste d’animateur agent mobile, était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime, et que le refus de reconvoquer la candidate à la suite de son refus de communiquer sa date de naissance était nécessaire et approprié.

En conséquence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. L’affaire a été renvoyée devant une Cour d’appel de renvoi.

Rappel : Le licenciement économique peut être prononcé si l’employeur justifie d’un motif économique (C. trav. art. L. 1233-3).
La cessation d’activité constitue un motif économique si elle (Cass. soc., 29 avril 2009, n° 07-44.306) :
  • concerne toute l’entreprise ;
  • est totale et définitive ;
  • ne résulte pas d’une faute ou d’une légèreté blâmable de l’employeur.
La cessation d’activité peut-elle être considérée comme définitive lorsqu’au moment du licenciement des salariés, l’entreprise continue pendant une période transitoire à distribuer les produits cédés à une autre société qui va poursuivre leur exploitation ?  

Cass. soc., 20 septembre 2023, n° 22-13.485

Dans cette affaire, une opération de transfert a été organisée, en 2016 entre les groupes A et B. Une société X filiale du groupe A, a été rachetée par le groupe B avec cession majoritaire de ses produits.

La cessation d’activité de la société X était programmée au 31 mars 2017. Néanmoins, pour la période transitoire, il était prévu que :

  • la société X continue à distribuer temporairement les produits cédés jusqu’au 31 décembre 2016 ;
  • et pour les produits non cédés, la société X devait poursuivre transitoirement leur exploitation jusqu’au 31 mars 2017, avant d’être cédés à une société du groupe B qui devait en poursuivre l’exploitation.

Un accord collectif majoritaire portant sur le projet de licenciement collectif incluant un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a été signé, en novembre 2016, entre la société X et les organisations syndicales représentatives en vue de la suppression des 51 postes existants.

Les salariés ont été licenciés pour motif économique, par lettres notifiées du 16 janvier au 12 mai 2017, en raison de la cessation complète et définitive de l’activité de la société X.

Contestant le bien-fondé de leur licenciement économique, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale, soutenant que la cessation d’activité de la société X n’a été ni totale, ni définitive.

La Cour d’appel juge les licenciements sans cause réelle et sérieuse, estimant que :

  • d’une part, la cessation d’activité n’était pas effective au moment du licenciement. En effet, les activités de la société portant sur les produits non cédés n’ont cessé que le 31 mars 2017 alors que les licenciements des salariés ont été notifiés le 16 janvier 2017 ;
  • d’autre part, la cessation d’activité n’était pas complète dans la mesure où l’activité avait été poursuivie au sein du groupe.

La Cour de cassation n’est pas de cet avis et casse la décision d’appel en estimant que :

  • d’une part, « la seule circonstance qu’une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la cessation d’activité de la société soit regardée comme totale et définitive » ;
  • d’autre part, il résultait des constatations que « la cessation d’activité de l’entreprise étant irrémédiablement engagée lors du licenciement, le maintien d’une activité résiduelle jusqu’au 31 mars 2017, nécessaire à l’achèvement de l’exploitation de certains produits avant leur cession (…), ne caractérise pas une poursuite d’activité ».

Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 6 avril 2022, n° 20-23.243).

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Il résulte de l’article L. 2312-22 du Code du travail qu’en l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-19, le comité social et économique (CSE) est consulté chaque année sur la situation économique et financière de l’entreprise dans des conditions définies.
Cette consultation est conduite au niveau de l’entreprise, sauf si l’employeur en décide autrement et sous réserve de l’accord de groupe prévu à l’article L. 2312-20.
Le CSE d’établissement est-il compétent pour désigner un expert en cas de consultation sur la situation économique et financière ?

Cass. soc., 20 septembre 2023, n° 22-25.233

Dans cette affaire, le CSE d‘établissement d’une association a décidé du recours à une expertise dans le cadre d’une consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.

L’employeur, contestant le droit à consultation et à expertise du CSE d’établissement, a saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annulation de cette délibération.

Il soutenait qu’en l’absence d’accord d’entreprise ou de décision unilatérale de l’employeur (DUE) en disposant autrement, la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise devait être conduite au niveau de l’entreprise. En conséquence, en l’absence d’accord collectif ou de DUE prévoyant une double consultation du CSE d’entreprise et des CSE d’établissement respectivement sur la situation économique et financière de l’entreprise et sur celle de chacun des établissements, un CSE d’établissement ne pouvait faire appel à un expert en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’établissement.

Le tribunal a débouté l’employeur de ses demandes au motif que le CSE d’établissement pouvait faire appel à un expert dans la mesure où la possibilité de recourir à un expert-comptable « pour l’examen annuel de la situation économique et financière de l’entreprise ne prive pas le CSE d’établissement, qui dispose d’une autonomie suffisante et dans les limites de pouvoirs confiés au chef d’établissement, d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen des comptes annuels, et donc plus largement de la situation économique et financière de l’établissement pour pouvoir notamment se comparer avec les autres établissements ».

La Cour de cassation juge au contraire que dans la mesure où aucun accord collectif d’entreprise ne prévoyait la consultation du CSE de l’établissement et que l’employeur n’avait pas décidé de le consulter, la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise relevait du seul CSE central.

Le CSE d’établissement ne pouvait donc recourir à une expertise à ce titre.

Note : Il résulte de cet arrêt que le CSE d’établissement n’est pas de droit compétent pour désigner un expert sur la situation économique et financière.

Ainsi, pour que le CSE d’établissement puisse désigner un expert, la consultation sur la situation économique doit être menée au niveau de l’établissement.

Législation et réglementation

Présenté en Conseil des ministres le 7 juin 2023, le projet de loi pour le plein emploi a été adopté en première lecture par le Sénat le 25 septembre 2023.

Il contient de nombreuses mesures ayant pour objet de renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi à un retour à l’emploi.

Nous faisons le point sur les principales mesures du projet de loi dans le tableau ci-dessous.

Pour en savoir plus

Le 12 septembre 2023, une proposition de loi visant à modifier les modalités du congé maternité a été déposée à l’Assemblée Nationale.

Pour rappel, l’article L. 313-1 du Code de la sécurité sociale dispose que pour pouvoir bénéficier du congé maternité, l’assuré doit justifier d’une durée minimale d’affiliation. L’article R. 313-3 du même code précise que cette durée est de 10 mois.

La proposition de loi vise à supprimer cette durée minimale d’affiliation afin d’assurer un minimum de ressources à toutes les femmes enceintes.

Elle résulte du constat selon lequel certaines femmes, étudiantes, demandeuses d’emploi, travailleuses indépendantes, femmes expatriées venant de rentrer en France, se retrouvent sans ressource pendant leur congé maternité puisque la durée minimum d’affiliation pour bénéficier du congé maternité est de 10 mois.

La proposition sera prochainement examinée au Parlement.

Pour en savoir plus

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence – Protection sociale

Cass. 2e civ., 21 septembre 2023, n°21-22.197

  • En application de l’article 7-1 de la loi n° 89-1009, 31 décembre 1989 dite “loi Evin” l’organisme assureur d’une garantie décès collective instituée au profit des salariés, également couverts au titre de l’arrêt de travail et de l’invalidité, ne peut être suspendue en cas d’incapacité de travail ou d’invalidité du salarié ;
  • la résiliation du contrat collectif de prévoyance est sans effet sur cette obligation de garantie décès au bénéfice des salariés en incapacité ou invalidité au moment de la résiliation, et ce tant que dure cet état.

La Cour de cassation précise que le maintien de la garantie décès, s’impose à l’assureur, y compris lorsque les garanties incapacité de travail et invalidité ont été souscrites par l’employeur auprès d’un autre assureur.

Cass. 2e civ., 21 septembre 2023, n° 20-22.915

Les primes ou cotisations échues avant la date de la décision de l’ACPR prononçant le retrait d’agrément d’un assureur, et non payées à cette date, sont dues en totalité à l’assureur proportionnellement à la période garantie jusqu’au jour de la prise d’effet de la perte de l’agrément.

Le sociétaire d’une société d’assurance mutuelle à cotisations variables peut, le cas échéant, avoir à verser en sus de la cotisation normale, une cotisation complémentaire fixée par le conseil d’administration.

La décision du conseil d’administration, qui peut être prise à tout moment, constitue le point de départ de la prescription biennale de l’action en paiement de la cotisation complémentaire.

Cass. 2e civ., 21 septembre 2023, n°21-19.801 et 21-19.776 

Il résulte de l’article L. 113-1 du Code des assurances que les clauses d’exclusion de garantie qui privent l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées. 

La Cour de cassation juge en l’espèce que la clause, qui exclut de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l’amiante, ne requiert pas d’interprétation.

Législation et réglementation

L’avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024  tire plusieurs conséquences de la réforme des retraites sur les branches de sécurité sociale. Il confirme également la suppression du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco aux Urssaf.

Le texte propose aussi de reformer les assiettes des cotisations et contributions de sécurité sociale des travailleurs indépendants.

En outre, le texte contient d’autres mesures visant à :

  • étendre l’attribution simplifiée de la complémentaire santé solidaire aux bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé, de l’allocation supplémentaire d’invalidité, de l’allocation de solidarité spécifique, et de l’allocation du contrat d’engagement jeune ;
  • limiter la durée des arrêts de travail prescrits en téléconsultation et la prise en charge des prescriptions aux téléconsultations avec vidéotransmission.

Le PLFSS a été présenté en Conseil des ministres ce mercredi 27 septembre, avant son examen au Parlement. Nous y reviendrons.