Actu-tendance n° 689

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Le principe d’égalité de traitement oblige l’employeur à traiter de manière égale les salariés placés dans une situation identique.
Il est ainsi tenu d’assurer une égalité de rémunération entre les salariés occupant le même travail ou un travail de valeur égale : « l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique » (Cass. soc. 29 octobre 1996, n° 92-43.680).
Néanmoins, les différences de traitement peuvent être admises notamment si elles sont justifiées par des raisons objectives et pertinentes au regard de l’avantage en cause (Cass. Soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894).
L’employeur peut-il justifier une différence de salaire par l’ancienneté alors que celle-ci donne déjà lieu au versement d’une prime ?

Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 22-17.250

Dans cette affaire, une salariée a été embauchée en qualité d’habilleuse à compter du 2 avril 2007 par une Société.

Le service dans lequel elle était embauchée était composé comme suit :

  • une« chef habilleuse » et une « sous-chef habilleuse » ;
  • trois « premières habilleuses»  ;
  • douze « habilleuses».

La chef habilleuse et la sous-chef habilleuse percevaient une rémunération mensuelle brute de base, individualisée, supérieure aux premières habilleuses qui elles-mêmes percevaient une rémunération brute de base, individualisée, supérieure à celle des douze habilleuses, ces dernières percevant des rémunérations égales entre elles.

En décembre 2017, la salariée a saisi la juridiction prud’homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail et d’une demande de paiement d’un rappel de salaire.

Elle reprochait à son employeur une inégalité de traitement dans la mesure où : le statut de « première habilleuse » était une création de l’employeur qui ne reposait ni sur la convention collective applicable à l’entreprise ni sur des accords collectifs et qu’il ne consacrait aucune distinction de tâches et de responsabilités entre « première habilleuse »  et « habilleuse ».

Pour elle, le fait que les « premières habilleuses », percevaient des salaires plus élevés qu’elle, constituait une violation du principe «  A travail égal, salaire égal ».

L’employeur en défense justifiait cette différence par l’ancienneté des salariés au statut de « première habilleuse ».

La Cour d’appel a débouté la salariée de ses demandes considérant que le principe « à travail égal, salaire égal » ne s’oppose pas à ce qu’un employeur tienne compte de l’ancienneté des salariés pour une différenciation de leurs rémunérations à condition que cette ancienneté ne soit pas déjà totalement prise en compte dans le versement d’une prime.

Pour la Cour d’appel, certes, une prime était versée eu égard à l’ancienneté des salariés concernées. Cependant, « cette prime ne prenait que très partiellement en compte l’ancienneté des salariés car si elle évoluait dans un premier temps par période de deux ans, elle atteignait un palier de 5 % du salaire de base à 10 ans d’ancienneté pour ne plus varier par la suite ».

Elle en a déduit que l’ancienneté en l’espèce, était un critère objectif justifiant une différenciation de rémunérations mensuelles entre salariées, au-delà du versement d’une prime d’ancienneté.

La Cour de cassation n’adhère pas à ce raisonnement et casse l’arrêt d’appel. Elle juge que la Cour d’appel a statué en violation du principe « A travail égal, salaire égal », alors qu’elle constatait que l’ancienneté des salariées était prise en compte par le versement d’une prime distincte du salaire de base.

Note : Il résulte de cet arrêt que l’ancienneté ne peut être un critère objectif permettant de justifier un salaire supérieur si elle donne déjà lieu à une prime. Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence ( Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-15.198).

Rappel : Il résulte de l’article R. 2262-1 du Code du travail qu’ « à défaut d’autres modalités prévues par une convention ou un accord conclu en application de l’article L. 2262-5, l’employeur :
  • donne au salarié au moment de l’embauche une notice l’informant des textes conventionnels applicables dans l’entreprise ou l’établissement ;
  • tient un exemplaire à jour de ces textes à la disposition des salariés sur le lieu de travail ;
  • met sur l’intranet, dans les entreprises dotées de ce dernier, un exemplaire à jour des textes ».
Le Code du travail imposait également aux employeurs d’afficher un avis aux emplacements réservés aux communications destinées au personnel. L’avis précise où les textes sont tenus à la disposition des salariés sur le lieu de travail ainsi que les modalités leur permettant de les consulter pendant leur temps de présence (C. trav. art. R. 2262-3).
A la suite d’un décret n° 2016-1417 du 20 octobre 2016, cet avis peut être communiqué par tout moyen aux salariés.
L’inobservation par l’employeur de ces formalités a t-elle pour effet de rendre une convention ou un accord inopposable au salarié ?
Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-25.158

Un salarié embauché depuis 2008 en qualité d’agent de télésurveillance, a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes se rapportant à l’exécution du contrat de travail.

Il soutenait que l’accord d’entreprise sur la modulation du temps de travail lui était inopposable dans la mesure où celui-ci n’avait pas été porté à sa connaissance. En conséquence, il estimait être soumis à la durée légale du travail et réclamait un rappel de salaire.

L’employeur en défense communiquait des attestations de trois salariés indiquant que l’accord d’entreprise sur la modulation du temps de travail était disponible dans la salle de pause.

La Cour d’appel a jugé l’accord de modulation inopposable au salarié au motif qu’il ne ressortait pas des témoignages fournis par l’employeur que « cette mise à disposition avait fait l’objet de l’avis prescrit par l’article R. 2262-3 du Code du travail, ni que le salarié en avait connaissance ».

L’employeur s’est pourvu en cassation. Pour lui :

  • la remise au salarié de la notice l’informant des textes conventionnels applicables dans l’entreprise pouvait être opérée par la mention des textes conventionnels applicables dans le contrat de travail ;
  • le contrat de travail du salarié précisait que la relation de travail était soumise à l’accord d’Entreprise du 18 juillet 2003 prévoyant l’annualisation du temps de travail ;
  • en tout état de cause, l’absence de justification, de la part de l’employeur, de l’accomplissement des formalités prévues aux articles R. 2262-2 et suivants du Code du travail, n’avait pas pour effet de rendre l’accord collectif de modulation inopposable au salarié dès lors qu’il était établi que le salarié avait bien été individuellement informé de l’application du texte conventionnel en cause.

La Cour de cassation fait droit à sa demande et casse l’arrêt d’appel.

Il en résulte que le non-respect par l’employeur de son obligation d’affichage de l’avis prévu par l’article R. 2262-3 du Code du travail, ne rendait pas l’accord inopposable au salarié dès lors qu’il était établi que le salarié avait eu connaissance de l’accord.

Note : En pratique, il est recommandé aux employeurs d’être vigilant quant aux modalités d’information des salariés sur les textes conventionnels applicables dans l’entreprise.

Rappel : Il résulte de l’article L. 2261-2 du Code du travail que « la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur.
En cas de pluralité d’activités rendant incertaine l’application de ce critère pour le rattachement d’une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l’entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables ».
Un salarié peut-il se prévaloir de la convention collective mentionnée dans son contrat même si elle est différente de celle dont l’application résulte de l’activité principale de l’entreprise ?

Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 22-10.424

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité de reporter-photographe depuis 2014 a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes se rapportant à l’exécution de son contrat de travail.

Le contrat de travail en l’espèce visait la convention collective nationale (CCN) des agences de presse et ses bulletins de paie à partir de juillet 2017 faisaient mention de la CNN des journalistes.

Il soutenait qu’il relevait de la CCN des employés des agences de presse figurant sur son contrat de travail.

La cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes considérant qu’au regard de l’activité principale de l’entreprise, les salariés recrutés sont soumis à la CCN  des journalistes et non pas à la CCN des employés des agences de presse, celle-ci ne s’appliquant qu’aux salariés administratifs de ce type d’agence ; ce qui n’est pas le cas du salarié concerné en l’espèce.

Le salarié s’est pourvu en cassation et a obtenu gain de cause.

Sur le fondement de l’article 1134 du Code civil, la Cour de cassation a jugé que « si, dans les relations collectives de travail une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l’activité principale de l’entreprise, dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de cette convention, peut demander l’application de la convention collective mentionnée dans le contrat de travail ».

Ainsi, le salarié pouvait en l’espèce se prévaloir de la CCN des agences de presse dès lors que le contrat de travail faisait référence à celle-ci.

Note : La Cour de cassation a déjà retenu cette solution notamment dans un arrêt du 13 décembre 2000 : la mention de la convention collective dans un contrat de travail « vaut reconnaissance de l’application de la convention à l’égard du salarié » (Cass. soc., 13 déc. 2000, n° 98-43.542).

Législation et réglementation

En application de l’article 17 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites, deux projets de décret ont été transmis à la CNAV pour avis. 

Les projets de décrets donnent des précisions sur les dispositions relatives au compte professionnel de prévention (C2P) et sur le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU).

  1. Les dispositions relatives au C2P

Pour rappel la LFRSS 2023 a prévu de nombreuses mesures en vue de rendre le dispositif de départ à la retraite pour pénibilité plus accessible, notamment à travers l’utilisation du compte professionnel de prévention (C2P) (LFRSS, article 17). Le projet de décret confirme certaines dispositions déjà abordées dans LFRSS 2023 et son étude d’impact.

  • Baisse des seuils d’exposition pour certains facteurs de risques

Actuellement, pour acquérir des points sur le C2P, l’article D. 4163-2 du Code du travail fixe une durée d’exposition pour les facteurs de risques « travail de nuit » et « travail en équipes successives alternantes » ouvrant droit à des points au titre du C2P.

Le projet de décret confirme que :

le seuil du facteur de risques « travail de nuit » passera de 120 à 100 nuits ;

et celui du « travail en équipes successives alternantes » de 50 à 30 nuits.

  • Suppression du plafond du C2P

Le projet de décret confirme que le nombre maximal de points qu’il est possible d’acquérir dans le cadre du C2P au cours de la carrière sera déplafonné à partir du 1er septembre 2023.

Rappelons qu’actuellement, un salarié ne peut cumuler plus de 100 points sur son C2P au cours de sa carrière.

  • Acquisition plus rapide de points pour les salariés polyexposés

Pour rappel, actuellement, le nombre de points acquis en cas d’exposition à deux facteurs de risques ou à plus de deux facteurs de risques est identique.

La LFRSS a prévu d’introduire une variation du nombre de points en fonction du nombre de facteurs de risques professionnels auxquels le salarié est exposé (C. trav. art. L. 4163-5).

L’un des projets de décret précise qu’à compter du 1er septembre 2023 :

  • le nombre de points sera « égal à quatre multiplié par le nombre de facteurs de risques auxquels le salarié est exposé » ;
  • chaque période d’exposition de trois mois à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels donnera lieu à l’attribution d’un nombre de points égal au nombre de facteurs de risques professionnels auxquels le salarié est exposé. En d’autres termes, trois points par trimestre d’exposition pour trois facteurs, quatre points pour quatre facteurs etc.
  • Possibilité d’utiliser le compte professionnel de prévention (C2P) pour financer un congé de reconversion

La LFRSS 2023 a introduit la possibilité d’utiliser le C2P pour financer un parcours de reconversion professionnelle vers un métier non exposé aux facteurs de pénibilité prévus dans le cadre du C2P. Ainsi, les points accumulés pourront financer les coûts pédagogiques des formations ainsi que la rémunération des salariés pendant leur parcours s’il est réalisé pendant tout ou partie du temps de travail.

Le projet de décret précise que les points inscrits sur le C2P seront utilisés de la façon suivante :

  • un point ouvrira droit à un montant de 500 € de prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle ;
  • dix points ouvriront droit à un complément de rémunération dont le montant correspondra à la compensation pendant quatre mois d’une réduction du temps de travail égale à un mi-temps.

Il est également précisé que le salarié pourra réaliser plusieurs projets de reconversion professionnelle à la suite, sous réserve que ses droits acquis au titre du C2P soient suffisants.

  • Utilisation du C2P avant 60 ans

Les projets de décrets plafonnent à 80 points le nombre total de points inscrits sur le C2P pouvant être consommés avant le 60e anniversaire du salarié pour financer son maintien de salaire en cas de réduction de sa durée de travail.

  1. Les dispositions relatives au FIPU

Pour mémoire, l’article 17 de la LFRSS 2023  a prévu la création d’un Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU), qui aura pour mission de participer au financement des actions de prévention, de sensibilisation, de formation et de reconversion au bénéfice des salariés particulièrement exposés aux facteurs de risques ergonomiques (hors C2P).

Les projets de décrets donnent des précisions sur la composition et le fonctionnement du comité d’experts qui peut assister la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles pour établir la cartographie des métiers et des activités exposés aux facteurs de risques ergonomiques dans le cadre du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (FIPU).

Dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme sur les retraites, deux projets ont été transmis à la CNAV pour avis. Ils donnent des précisions sur les modalités d’élargissement et d’assouplissement de l’accès à la retraite progressive.

En raison du recul de l’âge de départ à la retraite, l’article 11 de la LFRSS avait précisé qu’à compter du 1er septembre 2023, l’âge de la retraite sera abaissé d’au moins un an, dans des conditions fixées par décret, pour l’accès à la retraite progressive.

Les projets de décret précisent que l’âge d’accès à la retraite progressive sera fixé à 2 ans avant l’âge légal. La durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite progressive resterait fixée à 150 trimestres.

Les textes précisent également que le pourcentage des revenus professionnels perçus dans le cadre du bénéfice de la retraite progressive calculé ne pourra être inférieur à 40 % et supérieur à 80%.

S’agissant des assurés dont l’activité n’est pas assujettie à une durée déterminée, ils pourront bénéficier de la retraite progressive « si le revenu annuel que cette activité leur procure est supérieur ou égal à 40 % du SMIC brut en vigueur au 1er janvier de l’année considérée calculé sur la durée légale du travail ». Le revenu professionnel pris en compte sera celui de l’avant-dernière année civile précédant la date de la demande.

En outre, les projets de décrets donnent des précisions sur les modalités de demande  de la retraite progressive par le salarié :

  • la demande est adressée à l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception. Elle devra préciser la durée du travail souhaitée ainsi que la date envisagée pour la mise en œuvre du nouvel horaire ;
  • l’employeur dispose d’un délai de deux mois pour répondre. À défaut, Le silence de l’employeur vaudra acceptation ;
  • le refus de l’employeur ne pourra se justifier que par « l’incompatibilité de la durée de travail demandée par le salarié avec l’activité économique de l’entreprise ».

Enfin, les projets de décrets précisent les modalités d’accès au dispositif de la retraite progressive pour les fonctionnaires civils de la fonction publique de l’Etat, ainsi que les professionnels libéraux et avocats.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence – Protection sociale

Cass. 2e civ., 6 juillet 2023, 21-21.969

Un courtier qui connaissait la date à laquelle les garanties seraient suspendues en l’absence de paiement de la cotisation, et qui a attendu la suspension des garanties pour transmettre à l’assureur, la demande de délais de paiement et de maintien des garanties présentée par l’assurée, commet une faute qui engage sa responsabilité.

Cass. 2e civ., 6 juillet 2023, n° 21-11.374 

La Cour de cassation rappelle dans cette affaire que si la faculté prorogée de renonciation, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d’assurance, son exercice peut dégénérer en abus.

Ainsi dans cette affaire, elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’assuré était un averti ou un profane afin de vérifier, à la date d’exercice de sa faculté de renonciation, en fonction de sa situation concrète et des informations dont il disposait réellement au regard de ses compétences personnelles sur les caractéristiques essentielles de son investissement sur un produit, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation.

Législation et réglementation

L’ACPR a publié une nouvelle recommandation relative à la mise en œuvre de certaines dispositions concernant la gouvernance des produits d’assurance, les rémunérations et la prévention et la gestion des conflits d’intérêts, issues de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances.

Cette recommandation sera effective à compter du 1er janvier 2024.

Pour en savoir plus

Ce décret complète la liste des produits concernés par le service d’information en ligne relatif aux produits d’épargne retraite en ajoutant le sous-compte français du PEPP.

Il définit les modalités de fonctionnement du sous-compte français du PEPP, ouvert sous la forme d’un contrat d’assurance de groupe ou d’un compte-titres, et fixe les délais de transfert entre un plan d’épargne retraite et un sous-compte-français du PEPP.

Pour en savoir plus

Publié au Journal Officiel du 16 juillet, le décret n° 2023-605 fixe les contours du régime obligatoire de frais de santé pour les militaires.

Il prévoit les garanties de couverture des risques en matière de santé. Il définit les modalités et critères de sélection des organismes complémentaires et les mécanismes d’adhésion de chaque catégorie de bénéficiaires aux contrats collectifs, ainsi que les modalités de participation financière des employeurs publics au régime et les modalités de calcul des cotisations des bénéficiaires.

Pour en savoir plus