Actu-tendance n° 681
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Selon l’article L.1121-1 du Code du travail, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Une clause insérée dans le contrat de travail peut-elle, sans porter atteinte à la liberté de travailler, subordonner l’acquisition définitive d’une prime à la condition que le salarié ne démissionne pas pendant un certain délai ?
Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-25.136
Dans cette affaire, un salarié a été engagé en qualité d’opérateur sur les marchés financiers le 1er janvier 2016. Une clause de son contrat de travail prévoyait qu’il « percevra à titre de prime initiale, la somme brute de 150.000 € dont le paiement interviendra dans les 30 jours de l’entrée en fonction du salarié conformément aux termes du contrat de travail ».
Le contrat prévoyait également qu’en cas de démission du salarié ou s’il était licencié pour faute grave ou lourde « à la fin de la 3e année à compter de la date de commencement, le salarié pourra conserver 1/36e de la prime d’arrivée pour chaque mois complet de travail après la date de commencement. Le solde de la prime initiale sera remboursable à la société à la date de la rupture ou au jour où la notification du licenciement est faite, à la plus proche des deux dates ».
Le salarié a donné sa démission le 16 mars 2017 et a refusé de procéder au remboursement de la prime conformément à la clause. Il soutenait que la prime lui était définitivement acquise dès lors que la clause de remboursement était nulle puisqu’elle soumettait le versement de la prime à certaines conditions qui portaient atteinte à sa liberté de démissionner.
L’employeur a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le remboursement de la prime.
La Cour d’appel a débouté l’employeur de ses demandes considérant qu’il ne pouvait valablement subordonner l’octroi définitif de la prime versée à la condition que le salarié ne démissionne pas, et ce à une date postérieure à son versement, dans la mesure où cette condition qui avait pour effet de fixer un coût à la démission portait atteinte à sa liberté de travailler. L’employeur s’est pourvu en cassation.
Au visa notamment de l’article 1134 du Code civil relatif au principe d’exécution de bonne foi du contrat, la Cour de cassation a jugé qu’une clause peut, « sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du travail, subordonner l’acquisition de l’intégralité d’une prime d’arrivée, indépendante de la rémunération de l’activité du salarié, à une condition de présence de ce dernier dans l’entreprise pendant une certaine durée après son versement et prévoir le remboursement de la prime au prorata du temps que le salarié, en raison de sa démission, n’aura pas passé dans l’entreprise avant l’échéance prévue ».
En d’autres termes, l’attribution d’une prime, subordonnée à la durée de présence du salarié au sein de la société, ne porte pas atteinte à la liberté de travailler de celui-ci.
Note : Dans un arrêt du 18 avril 2000, la chambre sociale de la Cour de cassation avait interdit de subordonner le paiement d’une prime de fin d’année à une condition de présence du salarié dans l’entreprise après cette échéance, au motif que cela était contraire au principe de la liberté du travail (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 97-44.235).
Rappel : L’article L. 3121-18 du Code du travail dispose que la durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf exception.
L’article L. 3171-4 dudit Code précise qu’ « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
En cas de dépassement de la durée quotidienne de travail, le salarié doit-il démontrer son préjudice pour obtenir des dommages-intérêts ?
Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-22.281
Une salariée engagée en qualité de préparatrice en pharmacie, a été licenciée pour faute lourde le 30 mars 2015.
Estimant le licenciement infondé, elle a saisi le Conseil de prud’hommes de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. Elle sollicitait notamment le paiement de dommages et intérêts en raison du dépassement de l’amplitude horaire journalière.
Pour étayer ses demandes, la salariée fournissait un décompte précis par semaine pour les années 2013 et 2014, ainsi que pour le début de l’année 2015. Elle fournissait également les relevés de pointeuse ainsi que les attestations de ses collègues reconnaissant l’accomplissement d’heures supplémentaires. Néanmoins, la Cour d’appel l’a débouté de ses demandes au motif qu’elle ne démontrait pas avoir subi un préjudice à ce titre.
La Cour de cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt d’appel. Elle juge que « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ». Selon la Haute juridiction, le dépassement de la durée quotidienne de travail cause donc nécessairement un préjudice au salarié.
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence. Dans un arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation avait jugé à propos du dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail que « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation » (Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20.21.636).
Rappel : La rupture conventionnelle individuelle permet à l’employeur et au salarié de rompre d’un commun accord le contrat de travail qui les lie en signant une convention de rupture (C. trav. art. L. 1237-11).
La rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties.
Une rupture conventionnelle intervenue après un licenciement verbal vaut-elle renonciation au licenciement précédemment prononcé ?
Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-18.117
Dans cette affaire, un salarié et son employeur ont conclu une convention de rupture du contrat de travail, avec une date d’effet prévisible au 20 avril 2017.
Le 18 mars précédent, la directrice de la société avait demandé au salarié de quitter immédiatement les lieux du travail, en le faisant raccompagner à la sortie par l’agent de sécurité.
Estimant avoir fait l’objet antérieurement d’un licenciement verbal, le salarié a saisi en juin 2018, la juridiction prud’homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
La Cour d’appel a favorablement accueilli les demandes du salarié, considérant que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement verbal abusif et que la rupture conventionnelle intervenue postérieurement était sans objet, le contrat étant d’ores et déjà rompu.
L’employeur s’est pourvu en cassation. Il soutenait que lorsque le contrat de travail a été rompu unilatéralement par l’une ou l’autre des parties, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue. En conséquence, le salarié qui avait accepté de conclure une rupture conventionnelle avait donc renoncé par là même à se prévaloir d’un licenciement verbal antérieur.
La Cour de cassation lui donne raison. Elle retient que « lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ». Ainsi, en signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d’un commun accord renoncé au licenciement verbal antérieur invoqué par le salarié.
Note : La Cour de cassation avait déjà adopté cette position dans un arrêt du 3 mars 2015 (Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.549).
Rappel : Lorsque le licenciement est entaché d’une nullité en lien avec des faits de harcèlement moral (C. trav. art. L. 1235-3), le salarié peut, de droit, demander sa réintégration.
Le salarié, s’il le demande, doit être réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent. L’employeur est tenu de faire droit à cette demande sauf s’il justifie d’une impossibilité de procéder à cette réintégration.
Néanmoins, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 27 janvier 2021, que « lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration » (Cass. soc., 27 janvier 2021, n° 19-21.200).
Un salarié ayant renoncé à sa demande préalable de résiliation judiciaire en cours d’instance peut-il être réintégré en cas de licenciement nul ?
Cass. soc., 11 mai 2023, n° 21-23.148
Dans cette affaire, un salarié a saisi en 2016 le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en dénonçant des agissements de harcèlement moral.
Par la suite, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mars 2017. Il a saisi la juridiction prud’homale afin que son licenciement soit déclaré nul en raison du harcèlement moral et a sollicité sa réintégration.
Dans ses écritures devant la Cour d’appel, le salarié a renoncé à sa demande de résiliation judiciaire.
La Cour d’appel a rejeté la demande de réintégration du salarié au motif que celui-ci a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat et l’a maintenu après son licenciement, et ce jusqu’à son 3e jeu de conclusions notifiées en cause d’appel, ne renonçant à cette prétention que dans ses ultimes écritures en date du 3 mai 2021.
Elle en a déduit que la poursuite du contrat de travail ne pouvait être ordonnée entre les deux parties qui ont chacune manifesté leur volonté de le rompre.
Le salarié s’est pourvu en cassation soutenant que lorsqu’un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, le juge peut faire droit à la demande de réintégration, lorsque le salarié a abandonné sa demande de résiliation judiciaire avant que le juge ne statue.
Pour lui, le fait qu’il ait maintenu cette demande jusqu’à son troisième jeu de conclusions ne pouvait faire obstacle à sa réintégration.
La Cour de cassation lui donne raison. Elle retient que « lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, puis abandonne en cours d’instance la demande de résiliation judiciaire, le juge, qui constate la nullité du licenciement, doit examiner la demande de réintégration ».
Elle juge que la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié avait abandonné sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail dans ses dernières écritures.
L’affaire sera rejugée.
Note : La Cour de cassation apporte ainsi une précision intéressante : le salarié peut demander sa réintégration en cas de licenciement nul dès lors qu’il a renoncé à sa demande préalable de résiliation judiciaire en cours d’instance.
Législation et réglementation
Présenté en Conseil des Ministres le 3 mai 2023, le projet de loi ordinaire d’orientation et de programmation du Ministère de la Justice 2023-2027 contient des dispositions intéressant la matière sociale :
Mise en œuvre de la procédure de saisie des rémunérations par les commissaires de justice
La saisie des rémunérations permet à une personne, à qui un salarié doit de l’argent, d’obtenir le remboursement de la somme qui lui est due directement auprès de l’employeur.
Actuellement, la mise en œuvre d’une procédure de saisie des rémunérations suppose une intervention judiciaire préalable.
L’article 17 du projet de loi vient déjudiciariser la procédure en confiant aux commissaires de justice la mise en œuvre de la saisie des rémunérations.
La procédure serait organisée autour du rôle du commissaire de justice répartiteur, qui assurera un rôle de tiers, interface entre le débiteur, l’employeur et les créanciers qui demeurent représentés par leur mandataire.
Ces mesures, si elles sont adoptées, entreront en vigueur à des dates fixées par décret, et au plus tard le 1er juillet 2025.
Assouplissement des conditions d’accès à la fonction de Conseillers prud’homaux
L’article 8 du projet vient « assouplir les conditions de candidatures des conseillers prud’hommes afin de maintenir l’attractivité de leurs fonctions ».
L’accès à la fonction de Conseiller prud’homal serait facilité pour les VRP et les salariés qui exercent à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement.
Leurs candidatures ne seraient plus limitées au conseil de prud’hommes dans le ressort duquel est situé leur domicile. Ils pourraient candidater dans les ressorts limitrophes à leur domicile également.
Le texte renforce la responsabilité des Conseillers prud’homaux. Ainsi, la cessation des fonctions pour quelque cause que ce soit ne ferait plus obstacle à l’engagement de poursuites et au prononcé de sanctions disciplinaires. Une interdiction temporaire ou définitive d’exercer les fonctions de Conseiller prud’hommes pourrait être prononcée après la cessation des fonctions du Conseiller.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Jurisprudence – Protection sociale
Cass. Ass. plén., 17 mai 2023, n°20-20.559
Selon l’assemblée plénière de la Cour de cassation, l’action en remboursement d’un trop-perçu de prestations de vieillesse et d’invalidité provoqué par la fraude ou la fausse déclaration ne relève pas de la prescription abrégée de l’article L.355-3 du Code de la sécurité sociale et que, revêtant le caractère d’une action personnelle ou mobilière au sens de l’article 2224 du Code civil, elle se prescrit par cinq ans à compter du jour de la découverte de la fraude ou de la fausse déclaration.
Elle ajoute que ce délai d’action n’a pas d’incidence sur la période de l’indu recouvrable, laquelle, à défaut de disposition particulière, est régie par l’article 2232 du Code civil, qui dispose que le délai de prescription extinctive ne peut être porté au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, soit la date de paiement des prestations indues.
Elle en déduit qu’en cas de fraude ou de fausse déclaration, toute action en restitution d’un indu de prestations de vieillesse ou d’invalidité, engagée dans le délai de cinq ans à compter de la découverte de celle-ci, permet à la caisse de recouvrer la totalité de l’indu se rapportant à des prestations payées au cours des vingt ans ayant précédé l’action. Cette solution est transposable aux prestations de retraite complémentaire versées par les institutions de retraite complémentaire et notamment celles gérant le régime AGIRC-ARRCO.
Cass. 3e civ., 11 mai 2023, n° 21-21.402
La Cour de cassation précise que l’assureur doit démontrer que la clause d’exclusion qu’il invoque pour refuser sa garantie a été connue et acceptée par son assuré.
Législation et réglementation
Le décret modifie, à compter du 21 mai 2023, le montant des remboursements du régime obligatoire au titre des frais relatifs aux transports sanitaires, hors transports urgents pré-hospitaliers (CSS. art. R. 160-5).
L’Uncam devra fixer le reste à charge des assurés dans des limites comprises entre 45 et 55% (contre 30 à 40% auparavant). Cette participation peut être prise en charge dans le cadre des contrats frais de santé, responsables ou non. En fonction de la rédaction du tableau des garanties, cette évolution de la prise en charge du régime de base pourra majorer immédiatement le montant des remboursements dues par la complémentaire.
À l’issue de missions de contrôle, la CNIL a prononcé une sanction de 380 000 euros à l’encontre de la société DOCTISSIMO pour manquement à des obligations du RGPD relatives à la conservation des données pour une durée limitée à l’objectif recherché, le recueil du consentement des personnes lors de la collecte de leurs données de santé, l’encadrement par contrat des traitements effectués avec un autre responsable de traitement, la sécurité des données personnelles et l’utilisation des cookies.
Lors du premier comité de suivi des négociations sur la future complémentaire santé des fonctionnaires qui s’est tenu le 15 mai 2023, la DGAFP a annoncé le report de l’entrée en vigueur de l’obligation des employeurs publics dans la FPE, de financer les garanties frais de santé de leurs agents au 1er janvier 2025, en raison du retard pris dans les négociations.
L’entrée en vigueur était initialement fixée au 1er janvier 2024 (pour les ministères non liés par un référencement).
Ce report sera acté dans le PLFSS ou PLF 2024.
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Le 16 mai 2023, le gouvernement a présenté en Conseil des ministres son projet de loi « industrie verte ». L’objectif de ce projet est de faire de la France le leader de l’industrie verte en Europe.
Le texte prévoit des mesures en vue de :
- Faciliter et accélérer l’implantation de sites industriels en France ;
- Financer l’industrie verte par la mobilisation des fonds publics et privés ;
- Favoriser les entreprises vertueuses dans toutes les interventions de l’État ;
- Former aux métiers de l’industrie verte.
Il est notamment prévu de créer un référentiel unique regroupant les référentiels environnementaux existants jusqu’à présent sous une bannière unique : le standard triple E.
Il s’agirait d’un « standard volontaire » proposé aux entreprises produisant en France et en Europe.
L’objectif est de palier la lourdeur et les incertitudes qui résultent de la multiplicité des référentiels existants, lesquels sont un obstacle à la reconnaissance des pratiques vertueuses, et donc à l’investissement des entreprises dans ces démarches, selon le gouvernement.
Par ailleurs, le projet de loi conditionne les aides publiques à la transition écologique des entreprises à la mesure de leur impact environnemental. L’octroi des aides serait ainsi soumis à un diagnostic de l’impact environnemental des entreprises bénéficiaires (« éco-transparence »).
Le projet de loi sera examiné prochainement au parlement.