Actu-tendance n° 679

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : En cas de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé, l’administration du travail est compétente pour vérifier que l’inaptitude est réelle et justifie le licenciement : « dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement » (Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-17.985).
L’administration du travail est-elle toutefois compétente pour rechercher l’origine de l’inaptitude d’un salarié protégé qui a fait l’objet d’un licenciement ?

Cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-21.349 

Une salariée protégée en vertu d’un mandat de membre titulaire au Comité d’Entreprise (ancien CSE) a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l’inspection du travail.

L’inspection avait précisé aux termes de sa décision qu’il n’apparaissait pas que la demande d’autorisation de licenciement était en lien avec l’exercice du mandat de la salariée et qu’ainsi l’éventualité d’une discrimination syndicale était exclue.

La salariée a saisi le Conseil de prud’hommes, faisant valoir que son inaptitude résultait de faits de harcèlement moral de son employeur, liés à une discrimination syndicale.

Le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent, au profit du tribunal administratif, en estimant qu’il ne pouvait revenir sur la décision rendue par l’inspection du travail.

Mais la Cour d’appel a infirmé le jugement considérant que « si le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier la régularité de la procédure d’inaptitude, le respect par l’employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement, il demeure compétent, sans porter atteinte à ce principe, pour rechercher si l’inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle, y compris lorsqu’est invoqué devant lui un manquement de l’employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral ».

La Cour de cassation a approuvé ce raisonnement. Elle a retenu que dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude :

  • Il appartient à l’administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement ;
  • Il ne lui appartient pas en revanche, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral ou d’une discrimination syndicale dont l’effet serait la nullité de la rupture du contrat de travail.

Il en résulte que l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce qu’un salarié protégé fasse valoir devant la juridiction prud’homale tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.

Note : Cet arrêt confirme la jurisprudence désormais constante en la matière
( Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-17.985 ; Cass. soc., 15 juin 2022, n° 20-22.430).

Rappel : En application des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du Code du travail, le salarié peut contester la sanction dont il fait l’objet devant le conseil de prud’hommes. La juridiction prend sa décision au regard des éléments de preuve fournis par l’employeur et le salarié.
Un témoignage anonymisé produit par l’employeur peut-il être considéré comme un mode de preuve recevable pour justifier la matérialité de la faute reprochée au salarié ?
Cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-20.308  

Dans cette affaire, un salarié ayant fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire en juillet 2017, a saisi le Conseil de prud’hommes aux fins d’annulation de cette sanction.

Pour justifier cette sanction l’employeur se fondait notamment sur des attestations écrites produites par les collègues du salarié, faisant ressortir un « comportement empreint d’agressivité et d’indécences répétées » et traduisant « une volonté de porter atteinte à la dignité des personnes sur leur lieu de travail et de dégrader ostensiblement leurs conditions de travail ».

L’une des attestations produite par l’employeur avait été établie anonymement par un salarié qui craignait des représailles de la part du collègue dont il dénonçait le comportement. L’employeur fournissait également les comptes-rendus des entretiens de ces salariés.

Les juges du fond ont écarté ces éléments et retenu que les faits incriminés à l’encontre du salarié n’existaient pas et ne constituaient pas une faute, dans la mesure où :

  • l’une des attestations émanant de l’un des salariés, qui est intervenu volontairement dans l’instance, n’a plus de valeur de témoignage puisqu’une partie ne peut, par définition, témoigner de façon impartiale en sa faveur ;
  • un témoignage anonyme n’a pas de valeur probante car il est impossible à la personne incriminée de se défendre d’accusations anonymes.

La Cour de cassation n’est pas du même avis. Elle juge que lorsque l’intervenant volontaire à titre accessoire n’émet aucune prétention à titre personnel mais se limite à soutenir celles d’une partie principale, il ne peut être considéré qu’il a témoigné en sa propre faveur.

S’agissant de la recevabilité du témoignage anonymisé, la Cour de cassation retient que « si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».

En conséquence, les juges auraient dû apprécier la valeur et la portée de ce témoignage anonymisé après avoir constaté que le témoignage n’était pas la seule pièce produite par l’employeur pour caractériser la faute du salarié.

Note : La Cour de cassation avait retenu dans un arrêt du 4 juillet 2018, que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. soc., 4 juillet 2018, n° 17-18.241). Elle complète ainsi sa jurisprudence en matière probatoire en précisant que des témoignages anonymisés peuvent être pris en considération par le juge s’ils sont corroborés par d’autres éléments de preuve.

Rappel : Il résulte des articles L. 2411-1 et suivants du Code du travail que le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail.
Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé.
Dans le cas où la demande d’autorisation de licenciement présentée par l’employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement du salarié.
Lorsque la demande d’autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d’activité de l’entreprise, l’administration peut-elle prendre en compte une situation de co-emploi ?

CE, 28 avril 2023, n° 453087  

Dans cette affaire, une société a sollicité l’autorisation de licencier plusieurs salariés protégés, en invoquant sa cessation totale et définitive d’activité.

Les licenciements ont été refusés par l’inspection du travail avant d’être autorisés par Madame la Ministre du travail sur recours hiérarchique de la société.

Les salariés ont saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir aux fins d’annulation de ces autorisations. Ils contestaient la réalité du motif économique notamment au motif que l’entreprise appartient à un groupe, et qu’une autre entreprise du groupe poursuit une activité de même nature ; de sorte que la cessation d’activité de l’entreprise ne pouvait être regardée comme totale et définitive.

Le tribunal a fait droit à leurs demandes et annulé la décision de Madame le Ministre du travail. Le Tribunal administratif a été approuvé par la Cour administrative d’appel qui a jugé que la demande d’autorisation de licenciement ne pouvait se fonder sur la cessation d’activité de la société dès lors qu’il existait une situation de co-emploi entre la société employeur et le groupe auquel elle appartient.

Le Conseil d’Etat n’est pas de cet avis. Il juge que « lorsque la demande d’autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d’activité de l’entreprise, il n’appartient pas à l’autorité administrative de contrôler si cette cessation d’activité est justifiée par l’existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l’entreprise ».

L’autorité administrative doit seulement contrôler que la cessation d’activité de l’entreprise est totale et définitive, en tenant compte, à cet effet, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d’activité.

Le Conseil d’Etat ajoute que lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la circonstance qu’une autre entreprise du groupe ait poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d’activité de l’entreprise soit regardée comme totale et définitive.

En revanche, le Conseil d’Etat retient que « le licenciement ne saurait être autorisé s’il apparaît que le contrat de travail du salarié doit être regardé comme transféré à un nouvel employeur ». Il « en va de même s’il est établi qu’une autre entreprise est, en réalité, le véritable employeur du salarié ».

Note : Le Conseil d’Etat confirme ainsi l’étendue du contrôle administratif en cas d’ autorisation de licenciement fondée sur la cessation d’activité d’une société appartenant à un groupe. En mai 2015, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que (CE, 22 mai 2015, n° 375897) :

– Il appartient à l’autorité administrative de contrôler que la cessation d’activité est totale et définitive, sans toutefois vérifier si elle est justifiée par l’existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l’entreprise ;

– Il lui incombe aussi de tenir compte, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d’activité, ce qui serait le cas si une cession totale ou partielle de l’activité était envisagée, impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Il résulte de l’article L. 2312-8 du Code du travail que les décisions de l’employeur doivent être précédées de la consultation du CSE qui doit être informé et consulté de manière écrite et précise sur toute question intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise.
L’article L. 2312-14 du Code du travail dispose que : « les décisions de l’employeur sont précédées de la consultation du comité social et économique, sauf, en application de l’article L. 2312-49, avant le lancement d’une offre publique d’acquisition ».
Dans le cadre d’une consultation sur un projet de cession, le CSE est-il en droit de demander en justice la communication des offres des candidats non retenues alors qu’il a été informé en amont des démarches exploratoires sur le projet et n’a entamé aucune procédure pour exiger d’être consulté ? 

Cass. soc. 19 avril 2023, n° 22-12.845 

En 2019, un groupe X a lancé un processus de recherche de partenaires en vue de la cession d’un groupe Y qu’il détient. En novembre 2020, une société A, membre du groupe Y a engagé une procédure d’information-consultation de son CSE sur le projet de cession.

Parmi les offres, le groupe X a retenu le projet de rachat par une société B. Un document d’information a été communiqué au CSE sur ce projet de rachat.

Considérant que les documents communiqués étaient insuffisants, le CSE a assigné la société A devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir sous astreinte la communication des offres et derniers plans des candidats non retenus dans le cadre du processus de sélection et du comparatif des business plans, ainsi que la suspension du projet de cession dans l’attente de cette communication.

La cour d’appel a débouté le CSE de ses demandes aux motifs qu’il n’a engagé aucune action en vue d’obtenir la communication des candidatures en cours et des plans d’affaires avant la procédure de consultation engagée par la société A en novembre 2020 alors qu’il avait connaissance dès le mois de septembre 2019 de la démarche exploratoire du groupe X sur des options de partenariats externes pouvant aller jusqu’à la cession du groupe.

Le CSE s’est pourvu en cassation soutenant que le CSE n’était pas tenu d’agir en dehors de toute procédure de consultation engagée par l’employeur sur une phase exploratoire.

La Cour de cassation n’adhère pas à ce raisonnement. Elle rappelle que l’irrégularité affectant le déroulement de la procédure d’information-consultation permet seulement aux institutions représentatives du personnel d’obtenir la suspension de la procédure, si elle n’est pas terminée, ou à défaut, la réparation du préjudice subi à ce titre.

Elle approuve la Cour d’appel d’avoir rejeté les demandes du CSE après avoir constaté que les élus du CSE avaient connaissance dès septembre 2019 des démarches exploratoires du groupe X sur la cession du groupe Y et n’a entamé aucune procédure pour exiger d’être consulté.

Législation et réglementation

Le décret du 4 mai 2023 confirme le montant de la fraction insaisissable du salaire à compter du 1er avril 2023 et précédemment annoncée dans une actualité sur le site de la Caisse nationale des allocations (voir actu tendance n° 675).

Ainsi, compte tenu de la revalorisation du RSA au 1er avril 2023, la fraction insaisissable du salaire passe de 598,54 € à 607,75 € par mois au 1er avril 2023 et ce, quel que soit le nombre de personnes composant le foyer.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence – Protection sociale

Cass. 2e civ., 20 avril 2023, n° 21-24.472 

Dans cette affaire, la Cour de cassation a rappelé que l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du Code des assurances, sous peine d’inopposabilité du délai de prescription à l’assuré, même si, comme l’avait relevé la cour d’appel, l’absence de ce rappel n’avait causé aucun grief à l’assuré.

Cass. 2e civ., 20 avril 2023, n° 21-24.327

Toute action dérivant d’un contrat d’assurance se prescrit par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. Toutefois, ce délai ne court, en cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là.

En matière d’assurance contre les risques corporels, la Cour de cassation a précisé que le sinistre réside dans la survenance de l’état d’incapacité ou d’invalidité de l’assuré et ne peut être constitué qu’au jour de la consolidation de cet état.

Législation et réglementation

Dans une actualité publiée le 4 mai 2023, la CNIL a annoncé que dans le cadre d’une action coordonnée au niveau européen, des opérations de contrôle des organismes publics et privés auront lieu afin de vérifier le rôle et les moyens confiés à leur délégué à la protection des données (DPO).

L’objectif est d’évaluer si les organismes désignant un DPO octroient des ressources suffisantes et adaptées à l’accomplissement de leurs missions.

Pour en savoir plus

Pour mémoire, les épargnants peuvent solliciter un conseil en investissements financiers auprès d’un professionnel habilité afin d’être guidés dans leurs choix de placements, en fonction de leurs objectifs et de leur profil d’investisseur.

Dans une étude de cas publiée le 2 mai 2023, le médiateur de l’AMF a rappelé que l’information délivrée au client doit être appréhendée dans sa globalité et que toutes les informations qui lui sont adressées doivent avoir un contenu exact, clair et non trompeur, conformément à l’article L541-8-1 du Code monétaire et financier.

Ainsi, lorsque des informations contradictoires sont adressées au client, il n’est pas possible de considérer qu’elles remplissent ces conditions, quand bien même les derniers bulletins d’information et rapport annuel contiendraient l’information juste.

La délivrance de la documentation au client ne dispense donc pas le conseiller de respecter cette obligation.

Pour en savoir plus

Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

Un décret du 24 avril 2023 permet aux entreprises la possibilité d’aménager temporairement les dispositions du Code du travail relatives à l’utilisation d’eau chaude sanitaire des lavabos.

Rappelons que les articles L. 4221-1 et R. 4228-7 du Code du travail mettent à la charge de l’employeur une obligation de mettre à la disposition des salariés sur les lieux de travail, des lavabos à eau potable, avec de l’eau à température réglable.

Le décret permet, jusqu’au 30 juin 2024, la suppression de l’eau chaude sanitaire des lavabos dans les bâtiments à usage professionnel pour répondre à des objectifs de sobriété énergétique, et ce sous réserve que le résultat de l’évaluation des risques n’y fasse pas obstacle.

Cet aménagement n’est cependant pas applicable :

  • aux lavabos dans les locaux proposés aux salariés à titre d’hébergement ;
  • dans les douches affectées à l’hébergement des travailleurs ;
  • à l’eau distribuée dans un local d’allaitement ou dans un local de restauration ;
  • à l’eau des éviers, lavabos et douches pour l’hébergement des salariés dans le secteur agricole.