Quand l’atteinte revendiquée à une liberté fondamentale n’emporte pas la conviction du juge Quand l’atteinte revendiquée à une liberté fondamentale n’emporte pas la conviction du juge
A l’heure où les stratégies judiciaires visent à revendiquer l’atteinte à une liberté fondamentale pour contourner les plafonds de condamnation posés par l’article L1235-3 du Code du travail et ainsi éviter les effets du barème dit « Macron », la Cour de cassation poursuit son œuvre jurisprudentielle et effectue de précieux rappels visant cette fois la liberté d’expression (1) et le respect de la vie privée (2).
Dans un arrêt du 11 décembre 2024 (n° 23-20.716), un cadre recruté en qualité de « business unit manager » est licencié pour faute lourde en raison « des propos critiques et dénigrants visant la société et ses dirigeants tenus lors d’échanges électroniques et par SMS envoyés au moyen de son téléphone portable professionnel ».
Tout en requalifiant la rupture du contrat de travail en licenciement pour faute grave, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, estime que les propos tenus caractérisent un abus et peuvent être sanctionnés, peu important le caractère restreint de la diffusion de ces propos échangés par SMS depuis un téléphone portable professionnel.
Anastasia LOISON et Frédéric ZUNZ, avocats au sein du cabinet Actance avocats vous proposent d’analyser cette décision.
1. La liberté d’expression n’est pas absolue
Aux termes de l’article L.1121-1 du code du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Il en découle un principe bien connu, rappelé dans la présente affaire, selon lequel « sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression ».
Un salarié a donc le droit de critiquer ses conditions de travail (Cass. Soc 11 octobre 2023, n°22-15.138) ou d’envoyer une lettre aux dirigeants de la société pour critiquer une nouvelle organisation administrative (Cass. Soc 27 mars 2013, n°11-20.721).
En l’espèce, le salarié, par le biais de ses outils professionnels (ordinateur et téléphone portable), ne s’était pas contenté d’une simple critique de son entreprise mais avait « désigné un membre de la société sous la dénomination dénigrante « R » et avait détourné l’appellation « l’EPD » (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes « on peut vraiment dire : le PD » pour désigner le directeur général M. N ».
Pour la Cour de cassation, cela caractérisait ainsi « l’existence, par l’emploi de termes injurieux et excessifs, d’un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression, peu important le caractère restreint de la diffusion de ces propos ».
Il convient cependant de noter que dans une seconde affaire du même jour (n° 22-24.004), la Cour de cassation estime, au contraire, qu’en raison de l’atteinte illicite à la liberté d’expression, la nullité du licenciement doit cette fois être prononcée.
Dans cette espèce, un directeur général est licencié pour faute grave fondée sur le grief suivant : « mensonges sur votre situation contractuelle : il s’ajoute encore que lors de votre convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement […] vous nous avez déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017, veille de l’entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d’instaurer avec la société une forme de chantage ».
L’employeur soutenait ainsi que « le fait pour un salarié de mentir, de menacer ou d’exercer un chantage sur son employeur ne participe pas de sa liberté d’expression ».
Néanmoins, pour la Cour de cassation, les allégations du salarié sur l’existence de commissions qui lui seraient dues n’étaient ni injurieuses ni diffamatoires ni excessives, et ne suffisaient donc pas à caractériser un abus de sa liberté d’expression, peu important qu’il n’en ait finalement pas sollicité le paiement.
Il convient donc d’être particulièrement vigilant dans la rédaction d’une lettre de licenciement dès lors qu’on entend sanctionner des propos tenus par un salarié et ce d’autant plus que, rappelons-le, du fait de la théorie dite « du motif contaminant », si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, le licenciement est nul sans même que le juge n’ait à apprécier la solidité des éventuels autres motifs de licenciement.
Dans cette hypothèse, le seul moyen de défense de l’employeur serait celui offert par l’article L.1235-2-1 du code du travail « en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l’article L.1235-3-1 ».
Au cas d’espèce, la Cour de cassation relève que l’employeur n’avait pas demandé « à titre subsidiaire » d’examiner si les autres griefs invoqués étaient fondés pour réduire le montant de l’indemnité et ne censure donc pas la Cour d’appel d’avoir maintenu le montant de l’indemnisation à hauteur de 100.000 € sans avoir examiné les autres griefs.
2. Le respect de la vie privée ne saurait justifier tous les outrages
Pour contester son licenciement, le salarié soutenait également qu’une conversation constituée de SMS échangés par le biais de son téléphone professionnel, qui n’est pas destinée à être rendue publique, ne peut constituer un manquement aux obligations découlant du contrat de travail.
Il entendait ainsi se prévaloir du principe selon lequel un salarié a le droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de sa vie personnelle et notamment au secret des correspondances qui découle des articles 9 du code civil, L.1221-1 du code du travail et 8 de la CEDH.
Cette argumentation n’a pas convaincu la Cour de cassation considérant que ces propos pouvaient être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire, peu important qu’ils n’avaient pas vocation à être rendus publics, fort d’un double constat :
- Ils ont été envoyés au moyen du téléphone mis à disposition par l’employeur pour les besoins de travail et bénéficiaient d’une présomption de caractère professionnel.
- Le contenu était en rapport avec l’activité professionnelle.
Attention cependant puisque dans le cas contraire, si ces deux conditions ne sont pas réunies, des propos bien que choquants, ne pourraient faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
C’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation dans deux affaires dans lesquelles des salariés avaient été licenciés pour avoir échangé avec un groupe restreint de collègues, en usant du matériel informatique professionnel, des propos à caractère raciste, xénophobe ou sexiste (Cass. Soc. 6 mars 2024, n°22-11. 016) et dégradants pour les femmes (Cass. Soc. 25 septembre 2024, n°23-11.860).
Ainsi, si un employeur entend sanctionner des propos échangés par le biais de SMS ou d’une messagerie professionnelle, il doit préalablement s’assurer que les messages ne sont pas estampillés comme étant « personnel » et, ensuite, caractériser le lien avec le milieu professionnel.
Le Cabinet actance demeure naturellement à votre disposition afin de vous accompagner sur ces sujets liés aux stratégies de contournement du barème « Macron » et répondre à vos interrogations.
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