Tour d’horizon de la jurisprudence relative à la rupture des contrats de travail des salariées en congé maternité et intégrées aux effectifs d’une entreprise placée en redressement ou en liquidation judiciaire Tour d’horizon de la jurisprudence relative à la rupture des contrats de travail des salariées en congé maternité et intégrées aux effectifs d’une entreprise placée en redressement ou en liquidation judiciaire

La rupture des contrats de travail des salariées en congé maternité répond à des règles appréciées extrêmement strictement par les juridictions, quand bien même la Société se trouverait dans une situation de difficultés économiques ayant amenés à l’ouverture d’une procédure collective ; seule la liquidation judiciaire et la cessation d’activité qui en résultent permettent, parfois, un assouplissement des règles applicables.
Pierre-Edouard Verdier, avocat collaborateur, et Loïc Touranchet, avocat associé, du Cabinet Actance, font le point sur cette problématique.

Le licenciement économique des salariées en congé maternité

Le Code du travail distingue deux périodes : une période de protection absolue pendant le congé maternité ainsi que pendant les congés payés pris immédiatement après celui-ci et une période de protection relative lorsque la grosse a été médicalement constatée et portée à la connaissance de l’employeur et pendant les 10 semaines suivant la fin du congé maternité ou des congés payés pris immédiatement après celui-ci.

Une jurisprudence stricte mais claire sur les licenciements intervenant au cours de la période de protection absolue

Si le licenciement est impossible à peine de nullité pendant le congé maternité et les congés payés pris immédiatement après celui-ci peu important le motif ou la situation économique de la Société, la réponse semble moins évidente durant la période de protection relative, notamment lorsque la Société a été placée en redressement ou en liquidation judiciaire.

En effet, la jurisprudence est extrêmement stricte s’agissant de la période de protection absolue : toute mesure préparatoire au licenciement au cours de cette période est susceptible d’entrainer la nullité du licenciement qui en est la conséquence, quand bien même celui-ci aurait été notifié postérieurement, même dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire (CA Angers, 23 septembre 2021, n°19/00208).

Qu’en est-il au cours de la période de protection relative en cas de redressement judiciaire ?

Il est en théorie possible de procéder au licenciement d’une salariée pendant cette période en raison de l’impossibilité de maintenir son contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.

Toujours en théorie, un motif d’ordre économique peut rendre impossible le maintien du contrat de travail ; toutefois, l’employeur doit apporter la preuve du motif invoqué et de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail de l’intéressé.

Or en pratique cette preuve peut être appréciée très sévèrement par les juridictions, y compris dans l’hypothèse d’une Société placée en redressement ou en liquidation judiciaire.

C’est ainsi que la lettre qui se contente d’énoncer un motif économique de licenciement sans mentionner ni expliciter l’impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée n’est pas suffisamment motivée et entraine la nullité du licenciement (Cass. soc., 25 mai 2011, n° 09-72.613).

Cette jurisprudence reste applicable dans un contexte de procédure collective (Cass. soc., 28 septembre 2004, n°02-40.055).

Récemment, la Cour d’appel de Paris a jugé que le licenciement (notifié 1 mois avant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire) de la salariée devait être considéré comme nul dès lors que la lettre de licenciement ne comportait ni l’énoncé précis des motifs économiques justifiant la rupture ni de leur incidence sur l’emploi de la salariée. Par ailleurs, ce courrier n’exposait pas en quoi ces raisons économiques rendraient impossible le maintien du contrat de travail de la salariée pendant les périodes de protection liées à sa grossesse. (CA Paris, 17 janvier 2024, n°21/06812).

Et en cas de liquidation judiciaire et de cessation d’activité ?

La cessation d’activité de la Société devrait en toute logique conduire une juridiction à considérer que le licenciement pour impossibilité de maintenir le contrat.

La jurisprudence semble tendre dans ce sens, à la condition toutefois que la cessation d’activité concerne l’intégralité de l’entreprise, hypothèse même de la liquidation judiciaire, et non seulement un établissement (Cass. soc., 4 octobre 1995, n° 94-41.162 ; Cass. soc., 3 nov. 2005, n° 03-46.986).

En pratique la mention expresse dans le courrier de licenciement du motif économique justifiant le licenciement, de son impact sur l’emploi de la salariée et du fait que son maintien est par conséquent impossible pourrait suffire à satisfaire les juridictions.

La prudence reste toutefois de mise, même dans l’hypothèse d’une liquidation judiciaire, la Cour de cassation ayant notamment jugé que la réalité des difficultés économiques de l’entreprise, l’existence d’une liquidation judiciaire et l’autorisation par le juge-commissaire de licenciement ne suffisent pas à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc., 18 mars 2016, n° 14-18.621).

Or le texte relatif aux licenciements des salariés en arrêt de travail résultant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail étant sensiblement comparable à celui relatif aux licenciements des salariées en congé maternité, il est possible de penser qu’une telle décision pourrait également être rendue concernant ces dernières.

Et en cas d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ?

Le site du service public le dit : « si le salarié accepte de bénéficier du CSP, son contrat de travail est rompu d’un commun accord à la date de fin du délai de réflexion » (Service-Public.fr – Contrat de sécurisation professionnelle (CSP)).

Or rien n’empêche en théorie de rompre, notamment dans le cadre d’une rupture conventionnelle, le contrat de travail d’une salariée en congé maternité ou d’un salarié en arrêt de travail résultant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.

Attention toutefois en pratique !

L’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) au terme du délai de réflexion de 21 jours est considérée comme une modalité d’un licenciement économique nul lorsqu’elle concerne une salariée bénéficiant de la protection absolue contre le licenciement (CA Douai, 22 décembre 2023, n°22/00184 : dans cette affaire la salariée avait adhéré au CSP le 22 août 2020 mais le délai de réflexion de 21 jours pour adhérer ou non au CSP expirait le 27 août 2020, date de rupture du contrat de travail en cas d’adhésion, alors que le congé maternité de la salariée débutait le 22 août 2020 – en l’espèce un redressement judiciaire avait été ouvert le 2 juin 2020, procédure menant à la validation du Tribunal de commerce d’un plan de cession intégrant une autorisation de licencier le 8 juillet 2020).

Même chose pour les salariés en arrêt de travail résultant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail : pour la Cour de cassation, le salarié en arrêt à la suite d’un accident du travail à la date d’expiration du délai de réflexion dont il dispose pour se prononcer sur le CSP, doit bénéficier de la protection légale et l’adhésion au CSP, qui constitue une modalité du licenciement économique, ne caractérise pas pour l’employeur l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la maladie ou à l’accident. Elle précise également que la situation du salarié doit être appréciée, non à la date de proposition du CSP, mais à l’expiration du délai de 21 jours pour accepter cette proposition (Cass. soc., 14 déc. 2016, n° 15-25.981).

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Loïc Touranchet
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Loïc Touranchet a prêté Serment le 24 février 2000. Il a pratiqué 6 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Il est titulaire d’un Master II de droit Social et d’un Master II Juriste d’Affaires et bénéficie des certificats de spécialisation de l’ordre des Avocats en Droit du travail, ainsi qu’en Droit de la sécurité sociale et de la protection sociale (depuis 2007), Il est chargé d’enseignement en droit social au CIFFOP – Université Paris II Panthéon-Assas depuis 2005. Loïc TOURANCHET est associé au cabinet Actance depuis 2008 et dirige une équipe généraliste en droit Social. Il accompagne les groupes dans le cadre de la négociation collective (NAO, Durée du travail, GPEC, ...), de la gestion de dossier à risques en phase de pré-contentieux et de contentieux. Il bénéficie d’une forte expérience en matière de restructuration et notamment redressement et liquidation judiciaire. Il intervient également avec son équipe sur les contentieux à risques et collectifs (Co-emploi, primes collectives, contestations PSE, …). Il intervient également sur le secteur non marchand.