Restructurations : les incertitudes qui entourent le régime social des mesures d’accompagnement

Depuis 2023, les procédures de restructuration sont en nette hausse, en particulier celles qui conduisent à des licenciements pour motif économique.
Ainsi, au 3ème trimestre 2023, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) initiés était en hausse de 28 % sur le trimestre et il doublait sur un an (source DARES).
Pour rappel, le PSE vise à limiter le nombre de licenciements et à favoriser le reclassement des salariés dont le licenciement est inévitable. Il doit notamment prévoir des actions de reclassement interne et externe, des formations ou encore des aides à la création d’entreprise.
Ces mesures sociales d’accompagnement destinées à favoriser le retour rapide à l’emploi des salariés dont le contrat a été rompu prennent le plus souvent la forme d’indemnités versées aux salariés et, parfois, de prises en charge de frais.
Mais des incertitudes demeurent quant au traitement social des sommes versées par l’employeur dans le cadre d’un PSE.
La Cour de cassation a récemment considéré que les sommes versées par l’employeur à un tiers, en vue de financer des actions de formation et d’accompagnement prévues par un plan de sauvegarde de l’emploi qui ont pour objet de favoriser le reclassement et le retour à l’emploi des salariés dont les licenciements pour motif économique sont envisagés, ne sont pas soumises à CSG-CRDS (Cass. civile 2ème, 11 janvier 2024, n° 20-23.379, publié au bulletin).
Benjamin Bedouet et Mathias Joste, avocats au sein du cabinet actance, reviennent sur cette décision, l’occasion de rappeler le régime social des indemnités versées aux salariés licenciés pour motif économique dans le cadre d’un PSE.

Régime social des indemnités versées aux salariés dans le cadre d’un PSE

Les indemnités versées dans le cadre d’un PSE sont :

  • Exonérées de cotisations sociales dans la limite de 2 fois le plafond annuel de sécurité sociale (PASS) (92.736 € en 2024), et assujettie pour la part excédant ce montant ;
  • Exonérées de CSG/CRDS dans une limite correspondant à la valeur la plus faible des deux montants suivants :
    • Le montant de l’indemnité légale/conventionnelle de licenciement
    • La fraction des indemnités exclue de l’assiette des cotisations, dans la limite de 2 PASS (92.736 € en 2024).

Pour apprécier le seuil de 2 PASS, il faut faire masse de l’ensemble des indemnités liées à la rupture du contrat de travail. Les indemnités dont la valeur excède 10 fois le PASS (soit, 463.680 € en 2024) sont intégralement assujetties à cotisations de sécurité sociale ainsi qu’à CSG/CRDS.

L’URSSAF précise dans le Bulletin Officiel de la Sécurité Sociale (BOSS) que sont concernées par le dispositif d’exonération, quel que soit le mode de rupture du contrat de travail, l’ensemble des indemnités inscrites à un PSE (BOSS-Indemnités de rupture-620). 

Pour l’URSSAF, il s’agit des indemnités dues en application des dispositions légales ou conventionnelles (indemnités de licenciement ou de départ volontaire) mais aussi, quelle que soit leur appellation, celles qui s’y ajoutent (indemnité d’aide au départ, d’aide à la réinsertion professionnelle, d’incitation au reclassement, de garantie temporaire de rémunération en cas de reclassement dans un emploi moins rémunéré, d’aide à la création d’entreprise, ou liée au rachat de trimestres d’assurance vieillesse…) (BOSS-Indemnités de rupture-620).

Sommes versées pour financer les actions de formation 

Le Code de la sécurité sociale ne précise pas quel est le régime social applicable aux sommes versées par l’employeur à des sociétés tierces pour financer les actions de formation des salariés licenciés pour motif économique qui acceptent le congé de reclassement.

La pratique récente de l’URSSAF tend à considérer que le financement de ces actions de formation par l’employeur est, à l’instar de l’indemnité de licenciement, une somme attribuée à l’occasion de la rupture du contrat de travail, soumise au même régime social, ie :

  • Exonération de cotisations sociales dans la limite d’un plafond égal à 2 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS) en vigueur à la date du versement de l’indemnité ;
  • Exonération de CSG et de CRDS dans la limite du montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et du montant exonérée de cotisations sociales et dans la limite d’un plafond égal à 2 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS).

Dans une décision récente et inédite, la Cour de cassation a cependant annulé un redressement URSSAF basé sur cette pratique répandue en matière de financement des actions de formation prévues dans le cadre d’un PSE et du congé de reclassement.

En effet, elle a jugé que les sommes versées par l’employeur à un tiers, en vue de financer des actions de formation et d’accompagnement prévues par un plan de sauvegarde de l’emploi, qui ont pour objet de favoriser le reclassement et le retour à l’emploi des salariés dont les licenciements pour motif économique sont envisagés, ne sont pas soumises à CSG-CRDS.

Dans cette affaire, un plan de sauvegarde de l’emploi avait été négocié entre l’employeur et les organisations syndicales puis validée par la DIRECCTE (aujourd’hui la DREETS).

Ce plan prévoyait des indemnités pour les salariés, susceptibles de revêtir différentes formes.

Ce dernier permettait notamment aux salariés de bénéficier d’actions de formation par le biais d’une prise en charge des frais d’inscription directement versée, sur la base de justificatifs, par l’employeur aux organismes de formation.

Lors d’un contrôle, l’URSSAF a considéré que les sommes allouées par l’employeur à la cellule d’accompagnement pour la mise en œuvre des congés de reclassement et des obligations de formation devaient entrer dans la catégorie des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, et étaient dès lors soumises à CSG-CRDS.

L’argumentation de l’URSSAF reposait sur plusieurs points :

  • le congé de reclassement est proposé au moment de la mise en place de la procédure de licenciement et débute pendant le préavis dont le salarié est dispensé ;
  • le congé de reclassement s’effectue pendant le préavis dont le salarié est dispensé ;
  • le salarié en congé de reclassement bénéficie, en lieu et place du préavis, d’une action de formation dont la mise en œuvre a été déléguée à une société tierce ;
  • les sommes versées se substituent dès lors aux indemnités de préavis auxquelles le salarié peut prétendre dans le cadre d’un licenciement pour motif économique.

De son côté, la société contestait cette interprétation en soutenant que les sommes versées à un tiers ne peuvent être assimilées ni à une rémunération du salarié, ni à une indemnité de rupture du contrat de travail.

La Cour de cassation a finalement tranché en faveur de cette argumentation en estimant que  ces sommes ne remplacent pas les indemnités de préavis et qu’elles ne devaient donc pas être soumises à la CSG-CRDS. 

En effet, ces financements, bien que réalisés dans le cadre d’une procédure de licenciement économique donnant lieu à un PSE, ne sont pas considérés comme des revenus ou des indemnités de rupture mais comme un investissement dans le retour à l’emploi des salariés.

Cette décision, bien que portant sur des faits antérieurs à la réforme de l’assiette des charges sociales à effet du 1er septembre 2018 (réforme réputée avoir été faite à droit constant), pourrait avoir une portée significative et devrait, selon nous, continuer de s’appliquer.

La Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la question de l’exonération des cotisations sociales, mais la logique de l’arrêt du 11 janvier 2024 pourrait s’y appliquer également.

En effet, la nature de la somme est identique ; il ne s’agit ni d’un élément de rémunération, ni d’une indemnité de rupture du contrat de travail mais d’un financement des actions de formation hors taxes, éventuellement soumis à TVA.

Cela dit, il convient d’attendre de voir si cette solution inédite sera confirmée et élargie dans les décisions futures, notamment en ce qui concerne les cotisations sociales.

Cette décision de la Cour de cassation permet d’offrir aux entreprises et aux partenaires sociaux un cadre plus clair pour le financement de ces dispositifs. Affaire à suivre de près !

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Les avocats du cabinet actance sont à votre disposition pour vous conseiller dans vos projets de transformation et les accompagner tout au long de leur mise en œuvre.

Mathias Joste
Avocat Counsel | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein de laquelle il a également été chargé de travaux dirigés en relations individuelles et collectives de travail, Mathias Joste a intégré le Cabinet Actance en 2015 après une première expérience au sein du Cabinet Dupiré et Associés. Mathias accompagne des entreprises de tailles variées dans la gestion quotidienne de leurs problématiques individuelles et collectives liées à l’ensemble du droit social. Il intervient plus particulièrement à l’occasion d’opérations de réorganisations : notamment restructurations, transferts, procédures collectives.