Prévoyance des cadres : la sanction en cas d’absence de cotisations au « 1,50 T1 » n’est pas nécessairement limitée à 3 PASS ! Prévoyance des cadres : la sanction en cas d’absence de cotisations au « 1,50 T1 » n’est pas nécessairement limitée à 3 PASS !

CA de Douai, 8 février 2024, RG n°22/03391
La cour d’appel de Douai rappelle l’importance de cotiser à hauteur d’au moins 1,50% de la rémunération plafonnée à la tranche 1, pour la prévoyance des cadres, en sanctionnant sévèrement l’employeur qui a manqué à cette obligation.

Rappel des obligations de l’employeur

Aux termes de l’article 7 de la convention collective nationale du 14 mars 1947 (applicable aux faits de l’espèce et repris dans des termes identiques par l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres, désormais seul en vigueur), les employeurs sont tenus de verser pour tout salarié cadre et assimilé une cotisation à leur charge exclusive, égale à 1,50% de la rémunération prise en compte dans la limite du plafond annuel de Sécurité sociale. Cette cotisation doit être affectée en priorité, c’est-à-dire, selon une lettre de l’AGIRC du 23 mars 1998, pour plus de 0,75%, au financement de la garantie décès. Selon la Cour de cassation, le financement de l’employeur au titre des frais de santé peut être inclus dans l’appréciation du respect de cette obligation (Cass. Soc. 30 mars 2022, n°20-15.022), sous réserve toutefois des dispositions conventionnelles applicables dans l’entreprise, pouvant exiger un financement distinct des deux types de risques (voir sur la CCN de l’immobilier, modifiée depuis sur ce point : CA Paris, 14 avril 2010, n° 08/10505).  

La violation de cette obligation est, aux termes des dispositions conventionnelles, sanctionnée par le versement par l’employeur d’une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale, aux ayants droit du cadre décédé. Cette somme entre en outre dans l’assiette des cotisations sociales (Cass. soc., 24 avr. 1997, n° 95-18.039 ; Cass. ass. plén., 26 janv. 2001, n° 99-13.397).

Les faits et la procédure

Une société a souscrit le 1er mars 1996 un contrat de prévoyance auprès d’un organisme assureur au profit de l’ensemble de son personnel non-cadre.

Trois de ses salariés sont devenus cadres au mois de décembre 2009 mais aucun contrat de prévoyance à destination des cadres n’a été souscrit malgré le versement de cotisations. Un de ces salariés est décédé en 2014.

La société a assigné l’organisme assureur en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Lille qui l’a déboutée. Infirmant le jugement, la cour d’appel de Douai a reconnu la responsabilité de l’organisme assureur qui avait encaissé des primes d’assurance au titre de la garantie prévoyance cadre, sans avoir conclu le contrat d’assurance adéquat et l’a condamné au remboursement des primes perçues.

La veuve du salarié a ensuite assigné devant le tribunal de grande instance de Lille, l’ancien employeur de son conjoint qui avait appelé en garantie l’organisme assureur, pour obtenir leur condamnation au paiement de la garantie décès, des rentes éducation et de la garantie obsèques que les ayants droit auraient dû percevoir.

Le tribunal a mis hors de cause l’organisme assureur (dont la responsabilité fautive a déjà été reconnue et sanctionnée dans le cadre de la première procédure) et a condamné l’employeur à payer aux ayants droit du salarié décédé, des dommages et intérêts au titre de leur préjudice financier et de leur préjudice moral. Un appel a été interjeté par la société.

La solution

La responsabilité délictuelle de l’employeur

La cour d’appel a reconnu que la société avait commis une faute de négligence en n’affiliant pas son salarié à un contrat de prévoyance cadre. Elle relève également que, malgré la découverte de la carence d’assurance au profit des salariés cadres en 2013 soit avant le décès du salarié, la société s’était abstenue, sans aucun motif, de régulariser la situation en n’acceptant aucune des trois offres émises par l’organisme assureur et en ne se rapprochant d’aucun autre organisme assureur de son choix. Elle juge que la société a ainsi commis une abstention fautive présentant un lien de causalité direct et certain avec le préjudice subi par les ayants droit de son salarié cadre décédé.

La réparation intégrale du préjudice subi par les ayants droit

La cour d’appel précise qu’en matière de responsabilité délictuelle, le principe de réparation intégrale du préjudice conduit à replacer les victimes dans la situation où elles se seraient trouvées, sans pertes ni profits pour elles-mêmes, si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu.

Ainsi, elle considère que la sanction prévue par la CCN de 1947, conduisant au versement aux ayants droit du salarié décédé, d’une somme égale à trois fois le plafond de la sécurité sociale en cas de non-respect de l’obligation de cotiser au « 1,50% Tranche 1 » n’est pas exclusive des droits de ceux-ci à voir réparer intégralement leur préjudice subi du fait de la carence de l’employeur dans la souscription d’un contrat de prévoyance cadre, les privant du versement d’un capital décès et de rentes éducation. En effet, la sanction conventionnelle, ne permet pas de réparer l’entier préjudice subi par ses ayants droit, qui est, selon la cour d’appel, égal aux sommes qu’ils auraient perçues si l’employeur avait régulièrement régularisé sa carence en affiliant le salarié à un contrat de prévoyance cadre.

La cour ne pouvant présumer de l’étendue de la couverture qu’aurait choisie l’employeur, retient une moyenne des trois offres de contrat qui lui avaient été proposées par l’organisme assureur pour indemniser le préjudice certain et direct des ayants droit, somme de laquelle elle a déduit les sommes perçues au titre de la garantie versée en application du contrat de prévoyance non-cadre.

Enfin, la cour octroie également des dommages et intérêts à la veuve en réparation de son préjudice moral.

Cette solution apparaît critiquable à plusieurs titres.

Premièrement, l’employeur aurait pu choisir un niveau de garanties moindre chez un autre organisme assureur. Il est donc étonnant pour déterminer un préjudice de se fonder sur des propositions formulées par celui auprès duquel aucun contrat n’a été finalement souscrit.

Deuxièmement, c’est en réalité une perte de chance que la cour indemnise ici. Or, de jurisprudence constante, « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. Civ. 1ère, 9 avril 2002, n°00-13.314). La cour d’appel semble faire fi de ce principe et se contente de calculer une moyenne des offres d’assurance.

Il aurait également été souhaitable que l’arrêt prenne le soin d’opérer une distinction plus précise quant au manquement de l’employeur. En effet, celui-ci a bien respecté son obligation de verser une cotisation « égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond fixé pour les cotisations de Sécurité sociale ».  De même, cette contribution a bien été « versée à une institution de prévoyance ou à un organisme d’assurance ». Ainsi, le seul vrai manquement de l’employeur consiste en ce que cette cotisation n’a pas été « affectée par priorité à la couverture d’avantages en cas de décès ».

Les conséquences financières de cette double sanction (conventionnelle et judiciaire) sont telles que cette décision résonne comme une alerte, devant conduire les employeurs à vérifier le respect de cette obligation, vis-à-vis de tous leurs salariés entrant dans son champ d’application. Sont concernés les salariés cadres et assimilés entrant dans le champ des articles 2.1 et 2.2 de l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres, sur décision pour ces derniers, d’une commission paritaire rattachée à l’APEC. Cette dernière est également susceptible de déterminer quels autres salariés non cadres peuvent ou doivent être affiliés à un régime de prévoyance des cadres (anciens « article 36 »). Il apparaît donc nécessaire de consulter les délibérations de cette commission dans le cadre de cette vérification de conformité.

Laurence Chrébor
Avocate associée | + posts