Portabilité en cas de liquidation judiciaire : la Cour de cassation juge que la résiliation annuelle du contrat d’assurance met fin au maintien des garanties Portabilité en cas de liquidation judiciaire : la Cour de cassation juge que la résiliation annuelle du contrat d’assurance met fin au maintien des garanties

Par un arrêt du 15 février 2024, la Cour de cassation, tout en rappelant que les salariés licenciés en cas de liquidation judiciaire de leur entreprise peuvent bénéficier du dispositif de portabilité des garanties frais de santé et prévoyance prévu par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, juge que la résiliation annuelle du contrat d’assurance met un terme au maintien des garanties pour les salariés licenciés, même si cette résiliation intervient après le licenciement (Cass. 2ème Civ., 15 février 2024, n°22-16.132).
Aline Clédat, avocate counsel, et Loïc Touranchet, avocat associé, du Cabinet Actance, font le point sur les problématiques posées et les enjeux de cette décision.
  1. Les textes en vigueur et la problématique du financement de la portabilité

L’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale prévoit le caractère gratuit du maintien des garanties frais de santé et prévoyance pour les anciens salariés bénéficiaires pendant une durée maximale de 12 mois, à condition que cette cessation ouvre droit à une prise en charge par l’assurance chômage.

Aucune spécificité n’est prévue par le texte en cas de liquidation judiciaire.

La loi du 14 juin 2013, dont est issu l’article L. 911-8, avait prévu la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur l’institution éventuelle d’un fonds de mutualisation susceptible d’intervenir, notamment en cas de disparition de l’entreprise.

A ce jour, ni le rapport ni le fonds n’ont vu le jour.

Dans ces conditions, la question de la portabilité des garanties frais de santé et prévoyance des salariés licenciés en cas de liquidation judiciaire fait débat depuis plusieurs années.

En effet, le financement de la portabilité repose par principe sur les cotisations versées par les salariés actifs de l’entreprise.  Or, en cas de liquidation judiciaire, tous les salariés sont licenciés pour motif économique, il n’y a donc plus de salariés en activité et le contrat d’assurance ne produit plus de cotisations.

  1. Les décisions antérieures rendues par la Cour de cassation

Dans ce contexte, la Cour de cassation avait émis dès 2017 plusieurs avis considérant que (Cass. avis, 6 novembre 2017, n°17013 à 17017) :

  • les dispositions de l’article L. 911-8 sont applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte (lequel n’opère aucune distinction entre les salariés des entreprises in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire),
  • tout en indiquant que ce maintien est subordonné au fait que le contrat liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié.

Dans un arrêt du 5 novembre 2020 la Cour de cassation avait appliqué ces principes pour rejeter le pourvoi d’un assureur, auquel la Cour d’appel avait ordonné de maintenir le contrat complémentaire santé postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire et d’assurer la portabilité des droits correspondants au profit des anciens salariés (Cass. 2ème Ch. Civ., n°19-17.164).

Après avoir relevé qu’il n’était pas justifié par l’assureur de la résiliation du contrat collectif d’assurance, la Haute juridiction souligne que les dispositions de l’article L. 911-8 sont d’ordre public, « n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance ».

Dans un arrêt du 10 mars 2022, la Cour de cassation avait réitéré ces principes (et rejeté le pourvoi du liquidateur) dans une affaire particulière dans la mesure où :

  • le liquidateur avait accepté d’assurer le maintien des couvertures mutuelle et prévoyance pour les anciens salariés licenciés contre le paiement d’une somme forfaitaire à l’assureur ;
  • et le contrat avait été résilié par l’assureur en application des anciennes dispositions de l’article L. 932-10 du Code de la sécurité sociale qui prévoyait la possibilité pour l’organisme assureur de résilier le contrat ou l’adhésion le liant à l’entreprise dans le délai de 3 mois suivant le placement en liquidation judiciaire de cette dernière (faculté de résiliation supprimée par l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017 portant modification des dispositions relatives aux organismes mutualistes).

Pour la Haute juridiction, la résiliation du contrat d’assurance intervenue postérieurement aux licenciements des salariés a mis fin aux garanties ouvertes, et le paiement volontairement opéré par le liquidateur après cette résiliation afin de permettre la prolongation des garanties ne pouvait être assimilé à un paiement indu.

  1. La question de la résiliation du contrat d’assurance

L’article L. 932-10 du Code de la sécurité sociale prévoit désormais que « La garantie subsiste en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaires de l’adhérent. En cas de résiliation du bulletin d’adhésion ou du contrat en application de l’article L. 622-13 du code de commerce, la portion de cotisation afférente au temps pendant lequel l’institution de prévoyance ou l’union ne couvre plus le risque est restituée au débiteur ».

La résiliation du contrat obéit dorénavant a priori aux règles de droit commun fixées par le Code de commerce.

La question subsistait donc de savoir si les organismes assureurs pouvaient résilier le contrat en usant de leur faculté de résiliation annuelle qui doit s’exercer par l’envoi d’une lettre recommandée au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat (article L. 113-12 du Code des assurances).

En avril 2023, la Cour d’appel de Paris avait donné raison à un assureur qui avait mis en œuvre la portabilité après les licenciements prononcés à la suite de la liquidation judiciaire, mais avait résilié le contrat quelques mois plus tard, pendant la période de portabilité de douze mois, en application de l’article L. 113-12 du Code des assurances, déclarant la fin des garanties à cette date (CA Paris, Pôle 5 chambre 10, 3 avril 2023, n° 21/03429).

Dans son arrêt du 15 février 2024 (rendue dans une affaire différente mais reposant sur des faits similaires), la Cour de cassation adopte la même analyse.

  1. L’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2024 et sa portée

Dans cette affaire, les salariés d’une société en liquidation judiciaire avaient été licenciés pour motif économique avec une fin de préavis en août 2019.

Le 24 octobre 2019, l’assureur avait résilié le contrat de prévoyance à son échéance annuelle, avec effet au 31 décembre 2019 et avait indiquait au liquidateur que les salariés licenciés ne bénéficieraient plus du maintien de leurs garanties de frais de santé au titre de la portabilité des droits à compter du 1er janvier 2020.

Le liquidateur avait alors :

  • souscrit des contrats de frais de santé individuels à compter du 1er janvier 2020 et en avait assuré le financement ;
  • puis avait assigné l’assureur en vue d’obtenir le maintien des garanties prévu par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale et le remboursement des sommes versées au titre de ces nouveaux contrats.

La Cour d’appel de Paris avait condamné l’assureur à assurer la portabilité des garanties prévues par le contrat d’assurance postérieurement au 31 décembre 2019 au profit des anciens salariés pendant la durée prévue par l’article L. 911-8, nonobstant la résiliation du contrat, en jugeant que (CA Paris, Pôle 4, Chambre 8, 22 février 2022, n°20/09755) :

(i) les dispositions de l’article L. 911-8 ne distinguent pas, pour le bénéfice de la portabilité à titre gratuit, entre les salariés d’entreprises in bonis et ceux des employeurs en liquidation judiciaire.

(ii) la référence aux garanties en vigueur dans l’entreprise doit s’entendre comme désignant les garanties applicables, et donc en vigueur, au jour de l’ouverture de la procédure collective, laquelle ne fait pas disparaître l’entreprise, qui ne prend fin que par l’effet du jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

(iii) si la résiliation du contrat, en application de l’article L. 113-2 du Code des assurances, est possible, c’est pour autant que, dans une interprétation combinée de cet article et de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, elle n’affecte pas les garanties en vigueur, au jour du licenciement des anciens salariés.

La Cour de cassation rejette ces arguments et casse l’arrêt d’appel en jugeant que :

« Le maintien des garanties, qui selon le 3° du texte susvisé [article L. 911-8], sont celles en vigueur dans l’entreprise implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. 

Cette résiliation, peu important qu’elle intervienne après le licenciement des salariés concernés, met un terme au maintien des garanties au bénéfice des anciens salariés. 

(…) par l’effet de la résiliation du contrat par l’assureur, aucune garantie n’était plus en vigueur dans l’entreprise, ce qui empêchait le maintien des garanties antérieures. » 

***

Il ressort de cette analyse de la Cour de cassation que l’assureur peut valablement résilier le contrat d’assurance à sa date d’échéance annuelle (avec respect d’un préavis de deux mois), y compris pendant la période de portabilité de douze mois.

Dès lors que la résiliation du contrat est valable, l’organisme assureur est ainsi dispensé de toute obligation de maintien postérieurement à la cessation du contrat d’assurance.

En pratique, la date d’échéance annuelle du contrat d’assurance intervient nécessairement pendant le délai de douze mois (au maximum) de la portabilité. En fonction du calendrier (date de la liquidation judiciaire v/ date de l’échéance annuelle, généralement au 31 décembre), la résiliation du contrat par l’assureur est susceptible d’entrainer une réduction de plusieurs mois de la durée de la portabilité.

Cette analyse, si elle se comprend d’un point de vue strictement juridique, entraîne des incidences sociales importantes s’agissant de salariés licenciés pour motif économique dans des délais très courts, dans un contexte déjà sensible de liquidation judiciaire.

Il faut espérer que cette jurisprudence conduise le législateur à remettre sur la table la réflexion sur la mise en place d’un fonds spécifique de mutualisation afin de prendre en charge le financement de la portabilité pour les entreprises en liquidation judiciaire.

En attendant une éventuelle évolution sur ce point, en cas de liquidation judiciaire, il est préconisé de prendre contact avec les organismes de mutuelle et de prévoyance pour les informer de la mise en œuvre de la portabilité en :

  • leur déclarant la rupture des contrats de travail des salariés de la société ;
  • et en leur transmettant la liste des bénéficiaires concernés par la procédure de licenciement, aux fins de mise en œuvre de la portabilité au bénéfice des salariés.

Il convient également d’analyser les clauses du contrat d’assurance et de porter une attention particulière à d’éventuelles conditions liées au paiement de cotisations pour financer la portabilité.

En cas de refus de cette portabilité par l’assureur ou dans l’hypothèse de résiliation du contrat d’assurance après mise en œuvre de la portabilité, l’hypothèse d’une discussion financière avec l’assureur peut être envisagée, avec paiement volontaire par le liquidateur auprès de l’assureur de tout ou partie des cotisations pour assurer le maintien des couvertures.

Nos équipes sont à votre disposition pour échanger sur ce sujet et répondre à vos interrogations en matière de procédures collectives.

Loïc Touranchet
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Loïc Touranchet a prêté Serment le 24 février 2000. Il a pratiqué 6 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Il est titulaire d’un Master II de droit Social et d’un Master II Juriste d’Affaires et bénéficie des certificats de spécialisation de l’ordre des Avocats en Droit du travail, ainsi qu’en Droit de la sécurité sociale et de la protection sociale (depuis 2007), Il est chargé d’enseignement en droit social au CIFFOP – Université Paris II Panthéon-Assas depuis 2005. Loïc TOURANCHET est associé au cabinet Actance depuis 2008 et dirige une équipe généraliste en droit Social. Il accompagne les groupes dans le cadre de la négociation collective (NAO, Durée du travail, GPEC, ...), de la gestion de dossier à risques en phase de pré-contentieux et de contentieux. Il bénéficie d’une forte expérience en matière de restructuration et notamment redressement et liquidation judiciaire. Il intervient également avec son équipe sur les contentieux à risques et collectifs (Co-emploi, primes collectives, contestations PSE, …). Il intervient également sur le secteur non marchand.

Aline Clédat
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