Focus sur le « Plan de partage de la valorisation de l’entreprise »

Outre les dispositions d’adaptation et d’évolution de dispositifs existants tels que la participation et la prime de partage de valeur, qui ont fait l’objet de nombreux commentaires, la loi du 29 novembre 2023 institue un nouveau mécanisme visant à faire bénéficier les salariés de la richesse créée par l’entreprise : le plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE).
Celui ci-nous nous semble mériter quelques développements. Bien que s’inscrivant dans le cadre général de l’épargne salariale, le PPVE constitue davantage une alternative simplifiée à l’actionnariat salarié. En cela, elle peut intéresser des entreprises qui seraient rebutées par la complexité des plans d’attributions d’actions gratuites ou de stocks option ou qui souhaiteraient simplement éviter une dilution des actionnaires.
Laurence Chrébor, avocat associée et Thibault Galas, avocat counsel au sein du cabinet actance, font le point sur ce dispositif.

Mise en place

Le PPVE à un champ d’application identique à celui de l’intéressement et une durée fixée à trois ans qui correspond à la période d’appréciation de l’évolution de la valorisation financière de l’entreprise. Un seul plan par période de trois ans peut être adopté. Mis en place au niveau de l’entreprise ou du groupe dans les mêmes formes que celles prévues à l’article L. 3322-6 du code du travail concernant les accords de participation, le PPVE a la particularité de reposer sur un rapport spécial d’un commissaire aux comptes. Cette exigence est logique compte tenu des critères d’attribution de la prime, notamment lorsque la société n’est pas cotée.

On peut craindre que cette double contrainte constitue un frein au développement des PPVE, alors même que les autres dispositifs d’épargne salariale voient leur cadre juridique s’assouplir. Mais il peut seul réellement répondre à l’objectif d’associer l’ensemble des salariés à l’accroissement de la valeur sur une certaine durée, en complément ou par opposition aux dispositifs d’épargne salariale.

Principe du PPVE

Contrairement à la participation, la perception de la prime par les salariés n’est pas conditionnée à la réalisation d’un bénéfice par l’entreprise mais à une augmentation de la valeur de celle-ci sur trois ans, l’accord devant fixer la date de début et de fin de cette période.

Une prime “individualisable”

La prime perçue par les salariés est égale à un montant de référence propre à chacun d’eux et fixé par l’accord, auquel est appliqué le taux de variation de la valeur de l’entreprise sur les trois années du plan.

Evolution de la valeur de l’entreprise

Le mode de détermination de la valeur de l’entreprise varie selon que l’entreprise est ou non cotée sur un marché règlementé.

Dans le premier cas, la valeur à retenir correspond à la capitalisation boursière moyenne sur les trente derniers jours de bourse précédant le début et le terme du plan, servant de points de comparaison pour estimer l’évolution de la valeur de l’entreprise.

Concernant les autres entreprises, il revient à l’accord de déterminer la formule de valorisation qui devra être la même pour les deux dates de valorisation et prendre en compte la situation nette comptable, la rentabilité et les perspectives d’activité de l’entreprise. Dans les groupes de sociétés, ces valeurs s’apprécient au niveau du périmètre de consolidation ou des “filiales significatives”. Il est possible de prendre en compte des comparaisons avec d’autres entreprises du même secteur. En l’absence de formule ou d’impossibilité de l’appliquer, la valorisation de l’entreprise sera égale au montant de l’actif net.

Montant de référence

Le montant de référence est fixé pour chaque salarié par l’accord de mise en place du plan et peut différer en fonction de la rémunération, du niveau de classification ou de la durée de travail prévue au contrat de travail.

Bénéficiaires de la prime

Tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté sont éligibles au plan. L’ancienneté est calculée en partant de la date de début du plan et s’apprécie en prenant en compte obligatoirement tous les contrats de travail exécutés dans l’entreprise ou dans le groupe d’entreprises au cours des douze mois précédents.

Cette condition d’ancienneté, associée au fait qu’un seul plan par période de trois ans puisse être adopté, conduit à pouvoir exclure du dispositif les salariés qui à la date d’expiration du plan auront jusqu’à quatre ans (moins un jour) d’ancienneté. Il est cependant possible de prévoir une condition d’ancienneté inférieure. Le départ définitif de l’entreprise fait perdre le droit à la prime.

En dehors de la condition d’ancienneté, il ne sera pas possible d’exclure certains salariés du dispositif. En revanche, les mandataires sociaux ne semblent pas pouvoir en bénéficier, sauf en cas de cumul du mandat social avec un contrat de travail.

Versement de la prime

Les sommes dues au titre du plan sont arrêtées dans les sept mois suivant la fin de la période de trois ans et le montant de la prime par salarié ne peut excéder trois quarts du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS). Son versement peut être échelonné sur douze mois.

Comme habituellement en matière d’épargne salariale, cette prime ne peut remplacer des éléments de rémunération supprimés depuis moins de 12 mois, le texte visant toutefois non seulement les éléments en vigueur lors de l’adoption du plan mais également tout élément de rémunération supplémentaire qui deviendrait ultérieurement obligatoire en application d’un texte légal, conventionnel ou contractuel pendant la durée du plan.

Traitement fiscal et social

Dans la limite de 5% de ¾ du PASS, les sommes versées dans le cadre du PPVE sont exonérées d’impôt sur le revenu lorsque le salarié décide de les verser dans un PEE, PERECO ou PERO.

En outre, les primes versées entre 2026 et 2028 seront exonérées de toutes cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle à la charge du salarié et de l’employeur, du forfait social ainsi que de la « participation construction » (article 235 bis du code général des impôts) et des contributions au financement de la formation professionnelle (article L. 6131-1 du code du travail).

Bien que le texte soit peu clair sur ce point, la prime semble être soumise à la CSG/CRDS. Cela devra être précisé par l’administration, mais semble confirmé par le fait que le texte exonère spécifiquement la prime de forfait social. Or ne sont normalement assujetties au forfait social que les sommes exonérées de cotisations de sécurité sociale mais soumises à CSG/CRDS.  Préciser l’exonération de forfait social n’aurait donc pas de sens si la prime n’était pas également exonérée de CSG/CRDS. En revanche, la prime est soumise à une contribution de 20% au profit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Le traitement fiscal (exonération d’impôt sur le revenu dans la limite de 1 738,80 € sur la base du PASS 2024) et social (CSG/CRDS et cotisation CNAV) reste finalement assez peu favorable et permet de douter du succès futur de ce nouvel outil au regard de sa faible souplesse et de la complexité de sa mise en place. Le PPVE constitue néanmoins un pas supplémentaire vers le partage de valeur tout en ayant une philosophie et une vision à plus long terme que la prime de partage de valeur. Son utilité apparaîtra peut être en lien avec d’autres dispositifs d’épargne salariale dans le cadre d’une articulation qui reste encore à inventer.

Enfin, précisons que l’accord devra être déposé et pourra, en l’absence de remarque de l’Urssaf dans un délai qu’un décret à paraître devra déterminer, bénéficier du principe de sécurisation déjà existant en matière de participation et d’intéressement.

Laurence Chrébor
Avocate associée | + posts