L’attrait croissant des modes de rupture amiable sous l’impulsion de jurisprudences récentes

Les modes de ruptures amiables – qu’ils interviennent à une échelle individuelle ou dans un cadre collectif – offrent aux entreprises un régime juridique avantageux et permettent de sécuriser de manière adéquate le risque contentieux lorsqu’ils sont convenablement mis en œuvre. 
Le recours à ces modes conventionnels de rupture du contrat de travail est d’ailleurs en constante progression : pour preuve et à titre illustratif, le nombre de ruptures conventionnelles a dépassé 129.000 aux troisième et quatrième trimestres de 2023, soit une évolution positive de plus de 60 % par rapport à la même période dix années plus tôt (source : DARES, ministère du Travail).
Dans ce contexte, Sébastien Leroy, avocat associé et Bilkiss Omarjie, avocate collaboratrice au sein du cabinet actance, encouragent les entreprises, au regard des arrêts récents de la chambre sociale de la Cour de cassation, à envisager ces modes de ruptures conventionnelles tout en accordant une attention particulière au respect des formalités substantielles. 
En effet, la jurisprudence récente tend à sécuriser au bénéfice des entreprises le recours à ces modes de ruptures et, notamment, à la rupture conventionnelle.

La faculté pour l’employeur de régulariser une convention de rupture conventionnelle non-substantiellement viciée après un refus d’homologation de l’administration

Le dispositif de rupture conventionnelle, prévu aux articles L1237-11 et suivants du code du travail, est ouvert à l’ensemble des contrats à durée indéterminée. Il implique une volonté commune de mettre un terme à la relation de travail, ce à l’initiative du salarié, de l’employeur voire des deux parties.

La jurisprudence a admis la possibilité de conclure des conventions de rupture conventionnelle dans de nombreuses hypothèses, y compris en cas de suspension du contrat de travail et à l’égard de salariés protégés.

Ces conventions de rupture conventionnelle, ont vocation à faire l’objet d’une homologation de l’administration. En cas de refus d’homologation et dans l’hypothèse où les formalités substantielles de la procédure auraient été respectées par l’employeur, la jurisprudence a très récemment admis que les explications fournies par ce dernier à l’administration sont susceptibles de s’avérer suffisantes à régulariser la procédure (Cass. soc. 19 juin 2024, n° 22-23.143 publié).

Ainsi, dans cette hypothèse, la signature d’une nouvelle convention n’apparaît plus impérative et la procédure n’a pas à être réinitiée, les seules explications fournies à l’administration étant susceptibles de suffire à régulariser l’ensemble.

Cet arrêt permet à l’employeur de ne pas s’encombrer d’un formalisme superfétatoire impliquant de recommencer intégralement la procédure en cas de refus initial d’homologation fondé sur une formalité non-substantielle.

Cette faculté de régularisation est d’autant plus pertinente que la jurisprudence admet de longue date que la rupture conventionnelle intervienne postérieurement à une rupture unilatérale du contrat de travail.

La faculté pour l’employeur et le salarié de régulariser une rupture conventionnelle après une prise d’acte, une démission avec réserves ou encore un licenciement

La jurisprudence désormais constante admet la validité d’une rupture conventionnelle intervenue postérieurement à une prise d’acte, une démission avec réserves ou un licenciement.

C’est ainsi, en effet, que la rupture conventionnelle pourra se substituer à la rupture unilatérale, la chambre sociale de la Cour de cassation précisant que « la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue » (en ce sens notam. Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.549).

L’intérêt pour l’employeur de favoriser une rupture amiable consiste, bien entendu, dans le fait qu’elle permet de considérablement réduire le risque contentieux inhérent à la rupture du contrat de travail. Elle permet aussi de fixer les modalités de déroulement du préavis d’une commun accord.

L’intérêt indéniable de la rupture conventionnelle individuelle doit, toutefois, s’accompagner d’une attention particulière au respect des formalités substantielles, faute de quoi l’annulation de la convention sera susceptible d’intervenir.

A ce titre, la jurisprudence récente admet désormais la faculté pour l’employeur de remettre en cause la validité de la convention en raison d’un vice du consentement.

La faculté pour l’employeur de demander l’annulation d’une convention de rupture conventionnelle viciée substantiellement

Si la convention de rupture conventionnelle peut être régularisée par de simples explications – à condition que ladite régularisation n’implique pas de formalités substantielles – ou conclue après une rupture unilatérale du contrat, il demeure que le dispositif de rupture conventionnelle suppose le respect rigoureux de trois phases distinctes : 

  • négociation ;
  • possibilité de rétractation dans un délai de 15 jours ;
  • et homologation.

Un tel formalisme vise à garantir notamment la liberté de consentement des parties expressément visée par les textes.

Il en résulte que seuls la fraude ou le vice du consentement sont susceptibles de remettre en cause la validité d’une telle rupture.

S’il est admis de longue date qu’en cas de vice du consentement du salarié, la convention de rupture est nulle et la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (en ce sens notamment : Cass. soc. 30 janvier 2013, n° 11-22.332), la jurisprudence récente a admis pour la première fois à notre connaissance l’hypothèse d’un vice du consentement de l’employeur, lequel emporte également nullité de la rupture conventionnelle ce qui a pour conséquence cette fois que la rupture prenne les caractères d’une démission du salarié (Cass. soc. 19 juin 2024, n° 23-10.817, publié).  

Au cas d’espèce, cette annulation est intervenue alors que le salarié avait intentionnellement dissimulé à l’employeur une information dont il connaissait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Le caractère déterminant de l’information dissimulée est d’ailleurs central, la Cour de cassation ayant a contrario considéré, dans une affaire examinée le 11 mai 2022 qu’une cour d’appel ne peut pas annuler une rupture conventionnelle du contrat de travail pour dol, au motif que le salarié avait invoqué un projet fallacieux de reconversion professionnelle pour obtenir l’accord de l’employeur à la rupture, sans constater que ce projet a déterminé le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle (Cass. soc. 11 mai 2022 n° 20-15.909).

En l’occurrence, la Cour de cassation, le 19 juin 2024, valide le raisonnement d’une cour d’appel faisant grief au salarié d’avoir fait preuve de réticence dolosive en n’informant pas son employeur du projet d’entreprise qu’il avait initié dans le même secteur d’activité, alors même que le consentement de l’entreprise à la rupture conventionnelle avait été déterminé au regard du seul souhait invoqué par le salarié de reconversion professionnelle dans un autre secteur d’activité, à savoir le management.

En d’autres termes, et sur le fondement des dispositions du code civil, le salarié, à qui il n’incombe aucune obligation d’information contractuelle, ne peut employer des manœuvres – notamment le mensonge – afin d’obtenir le consentement de son employeur à la rupture amiable (art. 1137 C. civ. relatif au dol parmi les vices du consentement).

La rupture conventionnelle ainsi viciée d’un dol du salarié produit alors les effets d’une démission, sans qu’il ne soit porté atteinte de manière disproportionné à sa liberté d’entreprendre (Cass. soc. 19 juin 2024, op. cit.). 

Cette décision est le pendant bienvenu et juridiquement logique des décisions plus nombreuses existant en matière de vice de consentement du salarié lors de la rupture conventionnelle (cf. notam. : Cass. soc. 6 janvier 2021, n° 19-18.549 pour l’annulation de la rupture conventionnelle intervenue alors que l’employeur préparait un PSE, rupture privant ainsi le salarié du bénéfice du plan).

Il résulte de ces jurisprudences récentes que la rupture conventionnelle dispose d’un régime juridique sécurisé au bénéfice de l’employeur. Il en va de même des ruptures amiables intervenant dans un cadre collectif.

La sécurisation confirmée des ruptures amiables intervenant dans un cadre collectif

A l’instar des arrêts susvisés, la jurisprudence récente a également confirmé la sécurisation des ruptures amiables conclues pour motif économique.

A ce titre, la chambre sociale de la Cour de cassation précise que ne peut être contestée la rupture amiable intervenue dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi assorti d’un plan de départs volontaires soumis aux représentants du personnel.

Dans une telle hypothèse en effet, aucune remise en cause de la rupture ne sera susceptible de prospérer, sauf, là encore, en présence d’une fraude ou d’un vice du consentement grevant ainsi de manière substantielle l’accord intervenu (Cass. soc. 26 juin 2024, n° 23-15.498, publié).

Cette jurisprudence apparaît parfaitement applicable à l’hypothèse de départs volontaires dans le cadre d’un congé de mobilité mis en place par accord de Ruptures Conventionnelles Collectives ou de Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels.

Cette limitation de la faculté de contester une rupture amiable intervenue dans un cadre collectif octroie au mécanisme un attrait d’autant plus important que la jurisprudence susvisée permet de sanctionner un éventuel dol de la part du salarié dès lors que des précautions suffisantes sont prises lors de l’élaboration du cadre collectif et du traitement du dossier individuel de départ volontaire.

Aussi, dans une telle hypothèse, la remise en cause susceptible de prospérer sur le terrain des vices du consentement pourrait entraîner la requalification de la rupture amiable en démission, dissuadant ainsi les salariés d’envisager une réticence dolosive de leurs projets professionnels postérieurs à la rupture.

De surcroît, dans le cadre particulier de départs volontaires à l’occasion d’un PSE, la jurisprudence récente souligne également que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de rupture amiable devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de de la rupture au regard de la cause économique ou du respect par l’employeur de son obligation de reclassement (Cass. soc. 26 juin 2024, n° 23-15.533, publié).

Cette impossibilité pour le juge judiciaire d’apprécier la cause réelle et sérieuse d’un motif économique en cas de rupture amiable d’un représentant du personnel autorisée par l’inspection du travail concourt, là encore, à sécuriser les mécanismes de rupture amiable et leur octroyer un attrait certain pour les employeurs, leur remise en cause par les salariés étant de plus en plus limitée par la tendance jurisprudentielle récente.

Cet arrêt est la confirmation bienvenue d’une jurisprudence antérieure rendue en la matière par la chambre sociale concernant le salarié non protégé (Cass. soc. 8 février 2012, n° 10-27.176, publié).

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Les avocats du cabinet actance sont à votre disposition pour vous conseiller et vous accompagner dans la mise en place et la sécurisation des ruptures amiables, qu’elles interviennent à l’échelle individuelle ou collective au sein de votre Société.  

Sébastien Leroy
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Sébastien est titulaire d’un Master II Droit et Pratique des Relations de travail de l’Université Panthéon Assas. Il a collaboré au sein du Cabinet Barthélémy & Associés pendant 2 années avant de rejoindre le Cabinet Actance en janvier 2007. Sébastien exerce une activité de conseil au quotidien ou dans le cadre de projets de réorganisation auprès d’une clientèle composée de PME ou de groupes côtés ou non. Il assure la défense de ces mêmes clients devant les différentes juridictions compétentes en droit social, notamment, à l’occasion de contentieux impliquant les instances représentatives du personnel. Sébastien a développé des compétences spécifiques en matière de restructuration, aménagement du temps de travail et épargne salariale.