Etendue du contrôle et des droits de l’AGS dans l’hypothèse d’une procédure collective : focus sur la jurisprudence du 17 janvier 2024

Le 17 janvier 2024, la Cour de cassation a, par deux décisions publiées au bulletin, apporté deux précisions quant au régime de la prise en charge par l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS) des créances salariales dans le cadre d’une procédure collective :
  • com., 17 janvier 2024, n°23-12.283, publié au bulletin;
  • com., 17 janvier 2024, n°22-19.451, publié au bulletin.

La prise en compte d’un objectif d’une prise en charge rapide des créances salariales dans l’étendue du contrôle de l’AGS

Dans l’hypothèse de la sauvegarde judiciaire

Selon l’article L. 3253-20 du Code du travail, si les créances des salariés ne peuvent être payées sur les fonds disponibles de l’entreprise à l’expiration du délai fixé par l’établissement des relevés des créances, le mandataire demande, sur présentation des relevés, l’avance des fonds à l’AGS. Dans le cas d’une procédure de sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à l’AGS, lors de sa demande, que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisée. L’AGS peut contester la réalité de cette insuffisance devant le juge-commissaire. Dans ce cas, l’avance des fonds est soumise à l’autorisation du juge-commissaire.

L’AGS n’intervient ainsi qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire lorsque les créances des salariés ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles de l’entreprise. Le texte prévoit par ailleurs que dans l’hypothèse de la sauvegarde judiciaire, le mandataire doit justifier auprès de l’AGS, avant toute prise en charge par l’institution de garantie, que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisée.

Quid en cas de redressement ou de liquidation judiciaire ?

Par le premier des deux arrêts mentionnés en préambule, la Cour confirme sa jurisprudence du 7 juillet 2023 (Cass., com., 7 juillet 2023, n°22-17.902, publié au bulletin et au rapport annuel) en rappelant que lorsque le mandataire judiciaire demande l’avance des fonds nécessaires à l’AGS, celle-ci doit y satisfaire, dès lors que le mandataire justifie que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisée (pour la sauvegarde judiciaire) et sans qu’aucune justification ne puisse être demandée par l’AGS s’il s’agit d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire :

« L’obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l’insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par les institutions de garantie ne sont prévues qu’en cas de sauvegarde et en a déduit qu’en dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n’est ouvert à l’AGS, de sorte que, sur la présentation d’un relevé de créances salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire, et afin de répondre à l’objectif d’une prise en charge rapide de ces créances, l’institution de garantie est tenue de verser les avances demandées. »

Il est donc confirmé que l’AGS ne dispose d’aucun droit de contrôle a priori en cas de redressement et de liquidation judiciaire, de sorte que, sur la présentation d’un relevé de créances salariales établi par le mandataire judiciaire sous sa responsabilité, et afin de répondre à l’objectif d’une prise en charge rapide de ces créances, l’institution de garantie est tenue de verser les avances demandées.

La superprivilège garantissant aux collaborateurs le paiement de leurs créances salariales est-il transmis à l’AGS en cas de prise en charge par celle-ci ?

Des positions différentes adoptées sur le sujet par les juridictions du fond

Prenons en exemples les positions des deux cours d’appel ayant donné lieu aux arrêts précités de la chambre commerciale de la Cour de cassation :

  • Pour la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 7 juin 2022, n°21/07704 ayant donné lieu à l’arrêt précité de la chambre commerciale n°22-19.451), il convient d’infirmer l’ordonnance du juge-commissaire en ce qu’elle avait retenu que le paiement autorisé de l’AGS, au titre de la créance superprivilégiée, était fait à titre provisionnel. La Cour d’appel de Rennes a ainsi décidé de confirmer le paiement à titre définitif et a énoncé que « l’AGS est bien subrogé dans les droits des salariés. Cette subrogation implique que l’AGS bénéficie de l’ensemble des accessoires attachés aux créances des salariés qu’il a garanties. Il bénéficie donc des dispositions de l’article L. 625-8 du code de commerce ». Pour le liquidateur au contraire, le droit au paiement prioritaire de la créance garantie par le superprivilège sur les fonds disponibles et les premières rentrées, prévu à l’article L. 625-8 du code de commerce déroge à la règle d’interdiction de paiement des créances antérieures à l’ouverture de la procédure en raison du caractère alimentaire de la créance salariale, et est dès lors exclusivement attaché à la personne du salarié.
  • Pour la Cour d’appel de Toulouse (CA Toulouse, 20 janvier 2023, n°22/02135 ayant donné lieu à l’arrêt précité de la chambre commerciale n°23-12.283) l’article L. 625-8 du code de commerce « instaure, au bénéfice du seul salarié, un privilège spécifique dans les limites de l’article L. 3253-2 du code du travail, par dérogation au principe d’interdiction des paiements instauré à l’ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures, avec versement sur les premières rentrées de fonds. Il s’agit d’un droit attaché à la personne du salarié pour lequel l’AGS ne peut bénéficier d’une subrogation sans remettre en cause les répartitions de l’actif distribuable dans l’ordre défini par l’article L. 643-8 du code de commerce ».

 La Cour de cassation met fin au débat : le superprivilège est transmis à l’AGS par l’effet de la subrogation

La Cour de cassation rejette le pourvoi du liquidateur à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes et casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse en ce qu’il a rejeté la demande tendant au remboursement des avances de l’AGS au titre des créances salariales superprivilégiées en affirmant que la subrogation dont bénéficie l’AGS a pour effet de l’investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir et que le superprivilège relatif au paiement des créances n’est pas attaché aux salariés mais qu’il est retransmis à l’AGS, subrogée dans les droits des salariés. La Haute juridiction considère par conséquent que l’AGS a le droit de recevoir un paiement sur les « premières rentrées de fonds » issues de la procédure collective : 

« La subrogation dont bénéficient les institutions de garantie ayant pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement qui, opéré sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective et hors le classement des différentes créances sujettes à admission, ne constitue pas un paiement à titre provisionnel opéré sur le fondement de l’article L. 643-3, alinéa 1, du code de commerce et ne peut ainsi donner lieu à répétition. »

Commet apprécier la notion de « première rentrée de fonds » ?

C’est peut-être la difficulté pratique principale qui naît de cette position : à quel moment une entreprise dont le succès du redressement est conditionné par le niveau de sa trésorerie bénéficierait d’une « première rentrée de fonds » qui devra être versée à l’AGS en remboursement de la prise en charge des cotisations salariales ?

Comment en effet distinguer une trésorerie disponible suffisante pour assurer la bonne marche de l’entreprise en redressement de cette « rentrée de fonds » qui devra être réservée à l’AGS ?

En matière de procédure collective, la question de la prise en charge des salaires est bien évidemment cruciale.

Loïc Touranchet
Avocat associé | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Loïc Touranchet a prêté Serment le 24 février 2000. Il a pratiqué 6 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Il est titulaire d’un Master II de droit Social et d’un Master II Juriste d’Affaires et bénéficie des certificats de spécialisation de l’ordre des Avocats en Droit du travail, ainsi qu’en Droit de la sécurité sociale et de la protection sociale (depuis 2007), Il est chargé d’enseignement en droit social au CIFFOP – Université Paris II Panthéon-Assas depuis 2005. Loïc TOURANCHET est associé au cabinet Actance depuis 2008 et dirige une équipe généraliste en droit Social. Il accompagne les groupes dans le cadre de la négociation collective (NAO, Durée du travail, GPEC, ...), de la gestion de dossier à risques en phase de pré-contentieux et de contentieux. Il bénéficie d’une forte expérience en matière de restructuration et notamment redressement et liquidation judiciaire. Il intervient également avec son équipe sur les contentieux à risques et collectifs (Co-emploi, primes collectives, contestations PSE, …). Il intervient également sur le secteur non marchand.

Pierre-Edouard Verdier
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