Couple en entreprise : pour vivre heureux, ne vivons pas cachés

Lucie Vincens, Avocate associée et Clémentine Dailloux, Avocate senior au sein Cabinet Actance vous proposent leur éclairage, avec l’aide précieuse de Ferdinand Halin, stagiaire, dont le sujet de mémoire de Master 2 est « Le couple et le droit social ».

Etre en couple au travail, l’hypothèse n’est pas rare et a toujours existé.

Dans certains pays étrangers, les entreprises sont parfaitement fondées à interdire toutes relations intimes ou amoureuses entre collègues de travail et à sanctionner leurs salariés sur cette base.

A l’inverse, en France et dans l’Union européenne, les lois imposent à l’employeur de respecter la liberté des salariés à mener une vie personnelle et familiale (article 9 du Code civil, article L.1121-1 du Code du travail, article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales).

La jurisprudence française reconnait également que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Ce principe trouve néanmoins une limite puisque l’employeur peut tout de même licencier un salarié pour un motif disciplinaire tiré de sa vie personnelle s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330, Cass. Soc 6 mars 2024, n°22-11.016).

Dans ce cadre, les entreprises françaises et européennes ne peuvent instaurer des chartes et des codes de bonne conduite qui interdisent purement et simplement les relations amoureuses entre leurs salariés. Mais elles peuvent, en revanche, sensibiliser leurs salariés à la nécessité de divulguer de telles relations notamment lorsque les deux salariés doivent interagir dans le cadre de leur activité (relations hiérarchiques, relations de travail directes, etc).

D’ailleurs, le Ministère du travail, dans sa Circulaire DGT n° 2008-22 du 19 novembre 2008 relative aux chartes éthiques, dispositifs d’alerte professionnelle et au règlement intérieur autorise les employeurs à faire part de leurs « préférences morales » à un salarié à condition de respecter le principe de séparation des sphères privées et professionnelles.

Il résulte de ce qui précède que le simple constat d’une liaison entre deux salariés ne peut constituer un motif de licenciement réel et sérieux (Cass. Soc., 21 déc. 2006, n° 05-41.140).

Pour autant, si cette relation de couple au sein de l’entreprise a des conséquences négatives sur son bon fonctionnement et qu’elle constitue en cela un manquement des intéressés à une obligation découlant de leur contrat de travail, cette relation peut conduire à une sanction disciplinaire.

On peut trouver de nombreux exemples de manquements suite à la rupture de salariés en couple dans la même entreprise.  La rupture peut s’accompagner de comportements répréhensibles tels que des représailles, du harcèlement moral ou sexuel, des pratiques d’intimidation ou d’humiliation.

On peut également trouver des exemples de manquements intervenus alors que les salariés sont en couple. Cette relation peut alors générer des actes de favoritisme, transmission d’information confidentielles, conflits d’intérêts notamment. 

Les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses :

  • Un Cadre, Responsable de secteur, avait été licencié pour faute grave pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et abusé de son pouvoir hiérarchique à des fins personnelles. Il avait communiqué à une subordonnée, qui était aussi sa compagne, une liste d’informations confidentielles et l’avait favorisée en différentes occasions.

« La société prouve ainsi que M. X a, courant 2020, cherché à agir dans son intérêt personnel, lequel consistant à privilégier la salariée avec laquelle il avait noué une relation amoureuse, et non dans l’intérêt de son employeur et qu’il a ainsi abusé de son pouvoir hiérarchique de manière répétée.

Les fautes ainsi reprochées caractérisent sa déloyauté et sont d’une gravité telle qu’elles ont rompu le lien de confiance qui existait entre ce salarié et son employeur, ce qui était de nature à rendre immédiatement impossible son maintien dans l’entreprise. » (CA Bourges 22 décembre 2023, nº 22/01148).

Les fautes reprochées reposaient sur le comportement déloyal du salarié qui avait rompu le lien de confiance qui existait avec son employeur, ce qui justifiait, pour la Cour d’appel un licenciement pour faute grave.

  • Une chargée de développement commercial d’un campus universitaire profitait de sa relation amoureuse avec le Directeur, connue de beaucoup de personnes sans toutefois être formellement officialisée, pour s’autoriser un comportement abusif, outrepassant ses prérogatives vis-à-vis de ses collègues et des étudiants. Ce comportement et leur relation a eu des répercussions sur le bon fonctionnement de l’école, suscitant même l’ouverture d’une enquête interne, qui justifiait son licenciement pour faute grave.

« la lecture des SMS produits montre que la société n’a pas entendu dans un premier temps se mêler de la vie sentimentale de ses salariés et même qu’elle a soutenu la salariée quand celle-ci se disait en souffrance. Ce n’est que lorsque la situation au sein de l’école s’est dégradée en raison de leur attitude, qu’elle a pris la décision de se rendre à deux reprises afin d’y diligenter une enquête […] l’ambiance au sein de l’école suffit à caractériser une cause réelle et sérieuse au licenciement de sa salariée. » (CA Lyon 27 mai 2022, nº 19/02221).

  • La Cour de cassation a récemment rendu une décision dont les faits et l’attendu ont été largement relayés, car elle mettait en jeu la relation personnelle et intime que deux salariés avait dissimulée pendant plusieurs années alors qu’ils occupaient respectivement des fonctions de Responsable des Ressources Humaines (RRH) et de représentante du personnel (Cass. Soc. 29 mai 2024, F-B, n° 22-16.218).

La particularité de cette affaire résidait dans les fonctions clairement antagonistes des deux salariés :

Membre de la direction, chargé de la gestion des ressources humaines qui présidait, de manière permanente, les institutions représentatives du personnel.

Il avait représenté la direction aux réunions au cours desquelles avaient été abordés des sujets sensibles relatifs à des plans sociaux.

 

 

Salariée, exerçant des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel, investie dans des mouvements de grève.

Elle avait participé dans ses fonctions de représentation syndicale aux réunions avec la Direction dans ce cadre.

La Cour retient qu’en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi.

L’éventualité du préjudice pour l’employeur suffit à valider le licenciement. Cette position est cohérente au regard des conséquences potentielles négatives que peut avoir une liaison entre deux salariés dont les interactions, du fait des fonctions et mandats occupés, peuvent générer des conflits d’intérêts.

Compte tenu de ce qui précède, les salariés en couple dans la même entreprise et en situation d’interaction professionnelle doivent porter cette situation à la connaissance de leur employeur afin que ce dernier puisse prendre les actions nécessaires permettant d’assurer une totale impartialité et le bon fonctionnement de la structure. Ces actions peuvent être de diverses natures : proposition de mutation dans un autre service ou département, transfert de la gestion RH du salarié au N+2, création d’une zone de confidentialité renforcée, etc.

Si l’on imagine combien une telle annonce peut s’avérer difficile pour des salariés, elle est néanmoins indispensable si l’on veut respecter l’obligation de loyauté due par tout salarié vis-à-vis de son employeur.

En conclusion, pour vivre heureux en entreprise, un couple ne doit pas vivre caché.

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Les avocats du cabinet Actance sont à votre disposition pour vous conseiller et vous accompagner dans la mise en place et la sécurisation de règles internes relatives aux relations entre collaborateurs et l’appréhension de situations individuelles au sein de votre Société.  

Lucie Vincens
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Lucie est titulaire d’un master II et du Diplôme de Juriste Conseil d’Entreprise (DJCE).
Elle travaille quotidiennement en Anglais et en Français.
Elle a pratiqué 2 années au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé en juin 2005 à la création du cabinet Actance.
Lucie accompagne notamment des groupes de dimension nationale et internationale à l’occasion de phases d’acquisition, de cession et de réorganisation. Elle les assiste également sur toutes les questions relevant des relations collectives et individuelles de travail.
Avocate, spécialiste en droit du travail, elle intervient dans le cadre de l’enseignement en droit social au sein du Master II DPRT de l’Université de Montpellier.