Agissements sexistes et propos à connotation sexuelle : affirmation, par la Cour de cassation, de leur caractère fautif Agissements sexistes et propos à connotation sexuelle : affirmation, par la Cour de cassation, de leur caractère fautif
Pour la première fois, la Cour de cassation a jugé, au visa des textes relatifs à l’obligation de sécurité et à l’interdiction des agissements sexistes, que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié ayant tenu des propos répétés à connotation sexuelle, insultants et dégradants – et ce nonobstant le fait que de tels propos n’aient pas été sanctionnés par le passé (Cass. soc. 12 juin 2024 n°23-14.292).
Lou Patez et Aymeric de Lamarzelle, avocats au sein du Cabinet Actance avocats vous proposent d’analyser cette décision. Ils profitent de cette actualité judiciaire pour revenir sur le cadre juridique des agissements sexistes.
Le cadre juridique des agissements sexistes
La notion d’agissement sexiste a été introduite pour la première fois en 2015 dans le Code du travail par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.
L’article L.1142-2-1 issu de cette loi a été inséré dans le Titre IV relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes et indique que « nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Cette disposition a été introduite « afin de combattre le sexisme ordinaire dans les entreprises, suivant les préconisation du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. »[1]
En 2016, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a cette fois introduit, à l’article L. 4121-2, 7° du Code du travail, l’obligation de prévention des agissements sexistes.
Aux termes de ce texte, il est fait obligation à l’employeur de planifier la prévention en y intégrant notamment les risques « liés aux agissements sexistes », au même titre que les risques liés au harcèlement moral ou sexuel.
De même, depuis 2016, le Règlement intérieur doit désormais comporter les dispositions relatives aux agissements sexistes (C. trav. art. L. 1321-2).
On précisera enfin que la loi n°2021-1018 du 2 août 2021 a élargi la notion de harcèlement sexuel en y incluant, depuis le 31 mars 2022, les actes ou propos à connotation sexiste.
Le harcèlement sexuel est en effet désormais constitué « par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (C. trav. art. L. 1153-1).[2]
Mais, alors que le Code du travail qualifie expressément les faits de harcèlement sexuel de faits fautifs – faits que l’employeur est tenu de sanctionner disciplinairement (C. trav. art. L. 1153-5[3] et L. 1153-6[4]), il n’en est rien des agissements sexistes qui ne sont envisagés, par la loi, que sous l’angle de la prévention.
Restait donc à connaitre la position des juges s’agissant de la sanction de tels agissements.
Le temps judiciaire étant nécessairement un temps long, ce n’est qu’en 2024 – soit presque 10 ans après son entrée en vigueur – que la Cour de cassation a été amenée, semble-t-il pour la première fois, à rendre un arrêt sur le fondement de l’article L. 1142-2-1 du Code du travail relatif aux agissements sexistes.
La portée de l’arrêt du 12 juin 2024
Rappel des faits et de la procédure
En l’espèce, l’affaire concernait un salarié embauché le 21 septembre 1993 en qualité de Technicien supérieur, licencié pour faute simple le 11 octobre 2016 pour avoir adopté, à l’égard de plusieurs de ses collègues de sexe féminin, en particulier les 2 et 3 juillet 2016, des propos répétés à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants ou dégradants.
Il ressortait en outre des éléments du dossier que des propos similaires avaient déjà été tenus par l’intéressé dans le passé mais qu’il n’avait, pour autant, pas été sanctionné.
Dans la lettre de licenciement, l’employeur s’était placé sur le terrain non pas du harcèlement sexuel mais des agissements sexistes.
Contestant ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud’homale.
La question ne portait pas tant sur la matérialité des faits (semble t-il ici reconnus par le salarié) mais sur la possibilité, pour l’employeur, de notifier un licenciement fautif pour des agissements qu’il avait pourtant précédemment toléré ou, en tout cas, simplement « sermonnés ».
Il s’agissait donc de savoir si les propos à connotation sexuelle et sexistes constituaient une cause suffisante pour prononcer le licenciement d’un salarié dont « l’humour franchouillard », « provocateur » ou « emprunt de second degré » avait été toléré par le passé par ses supérieurs hiérarchiques.
Par une décision en date du 2 février 2023, la Cour d’appel de Grenoble a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse considérant celui-ci disproportionné aux motifs que :
- l’employeur avait initialement envisagé non pas un licenciement mais une simple mise à pied disciplinaire d’un mois ;
- aucune sanction antérieure n’avait été prononcée pour des faits similaires, alors que l’employeur en avait connaissance et qu’il avait, au demeurant, envisagé initialement une sanction moindre au titre des nouveaux faits ;
- le supérieur hiérarchique du salarié avait indiqué l’avoir « sermonné », sans avoir déclenché de procédure de disciplinaire.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation faisant notamment valoir que :
- L’employeur a pour obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements dégradants à connotation sexuelle et attentatoires à la dignité, au besoin en procédant au licenciement du salarié auteur de tels agissements ;
- Les propos à connotation sexuelle, sexistes, insultants, humiliants et dégradants d’un salarié à l’égard de collègues féminines – et ce de manière répétée pendant plusieurs années – constituent une faute justifiant le licenciement, nonobstant le fait que ce comportement réitéré n’ait pas immédiatement été sanctionné ou qu’il ait pu être toléré dans un premier temps par ses supérieurs ;
- le fait pour l’employeur de ne pas avoir immédiatement licencié le salarié fautif et de l’avoir uniquement « sermonné » ne lui conférait pas une immunité pour l’avenir contre toute mesure de licenciement et ne privait pas l’employeur de sa faculté de le licencier, par la suite, du fait de la réitération de ces manquements.
Décision de la Cour de cassation
C’est au visa de plusieurs textes que la Cour de cassation rend sa décision et notamment :
- de l’article L. 1142-2-1 du Code du travail qui, on l’a dit, définit et prohibe les agissements sexistes ;
- des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail, desquels il résulte que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs « et faire cesser notamment les agissements sexistes ».
Aux termes de son arrêt, la Cour de cassation censure la décision de la Cour d’appel relevant qu’elle a violé les textes précités en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations.
En effet, « en statuant ainsi alors qu’elle avait constaté que le salarié avait tenu envers deux de ses collègues, de manière répétée, des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, ce qui était de nature à caractériser, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse fondant le licenciement décidé par l’employeur, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés. ».
Portée
Cet arrêt, quoique rendu pour la première fois au visa de l’article L. 1142-2-1 du Code du travail, s’inscrit en réalité dans une tendance jurisprudentielle antérieure.
En effet, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger que sont de nature à justifier le licenciement :
- des « propos dégradants à caractère sexuel » tenus par un salarié à l’encontre de l’une de ses collègues de travail (Cass. soc., 27 mai 2020, n° 18-21.877) ;
- des « propos blessants à connotation raciste et sexiste, tenus par le salarié vis à vis de ses subordonnés les plus vulnérables de nature à les impressionner et nuire à leur santé » (Cass. soc., 8 novembre 2023, n° 22-19.049).
De la même manière, si en principe la tolérance de l’employeur l’empêche de prononcer ultérieurement un licenciement pour faute grave (voire même pour faute simple[5]), la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’admettre, en matière de harcèlement (notamment sexuel), le licenciement d’un salarié en dépit de la tolérance antérieure de son employeur (Cass. soc., 1 décembre 2011, n° 10-18.920, Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-17.557).
Cette solution, admise donc pour le harcèlement sexuel, semble ici s’étendre aux agissements sexistes.
On le comprend : la nature des faits reprochés au salarié, lesquels mettent en cause l’obligation de sécurité de l’employeur et, partant, d’autres salariées dans l’entreprise justifie son licenciement ; la tolérance antérieure de l’employeur ne pouvant y faire obstacle.
En d’autres termes, l’obligation pour l’employeur de sanctionner les propos à connotation sexuelle est rattachée à son obligation de sécurité qui lui impose, en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail, de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. ».
Cette décision – qui s’inscrit ainsi dans une tendance juridique en faveur non seulement de l’élargissement de la notion de harcèlement sexuel mais également de la prévention des agissements sexistes – apparait la bienvenue.
Elle doit en tout cas inviter les employeurs à mettre en place des actions de prévention et de sensibilisation en la matière et, si le cas échéant de tels agissements sont identifiés, prendre toute mesure utile au regard des circonstances particulières dans lesquelles les faits ont été commis.
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Le Cabinet Actance Avocats demeure naturellement à votre disposition afin de vous accompagner sur ces sujets et répondre à vos interrogations.
[1] Rapport de M. BARINCOU, Conseiller à la Cour de cassation
[2] Notons que cette nouvelle définition du harcèlement sexuel n’était cependant pas applicable aux faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté.
[3] Art. L. 1153-5, al.1, du Code du travail : « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner ».
[4] Art. L. 1153-6 du Code du travail : « Tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire. »
[5] Cass. soc., 22 mai 2002, n° 00-42.305 ; Cass soc., 10 novembre 2016, n° 15-18.697.