Affirmation par la Cour de cassation du régime probatoire en matière de discrimination liée au handicap

Le 15 mai 2024, la Cour de cassation a, par une décision publiée au bulletin, précisé pour la première fois le régime probatoire applicable à la mise en œuvre d’une discrimination en raison du handicap. Un tel degré de publicité érige comme principe la décision rendue et porte à la connaissance de tous, la position des juges de la Haute juridiction sur le sujet.

Les faits : Une salariée alors employée comme agent de nettoyage avait été reconnue comme travailleur handicapé par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées en avril 2010. Elle était ensuite déclarée inapte à son poste le 10 septembre 2015 par le médecin du travail. La salariée était licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement en novembre 2015.

Procédure : Saisine du Conseil de prud’hommes le 28 novembre 2018 d’une demande de nullité de licenciement en raison d’une discrimination liée au handicap au motif que l’employeur aurait dû prendre en compte la qualité de travailleur handicapé de sa salariée, et adopter une des mesures prévues à l’article L.5213-6 du Code du travail.

Rejet des demandes par le Conseil de prud’hommes.

Infirmation par un arrêt rendu le 9 décembre 2021 par la Cour d’appel de Paris qui retient la discrimination liée au handicap.

Pourvoi en cassation qui conduit la Cour régulatrice à préciser le régime probatoire de la discrimination en raison du handicap dans le cas d’une salariée handicapée déclarée inapte.

Principe dégagé au terme d’un attendu de principe : La Cour de cassation érige  comme principe qu’il appartient au juge saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap de rechercher :

  • En premier lieu, si le salarié présente à la juridiction des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination,
  • Puis en second lieu de rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionnée pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre

La Cour d’appel n’ayant pas respecté le régime probatoire, son arrêt est donc censuré par la Cour de cassation par sa décision rendue le 15 mai 2024.

Impacts d’une telle décision : Cet arrêt est l’occasion pour Fréderic Zunz, avocat associé, et Joana Baron, juriste au sein du cabinet Actance, d’envisager les impacts d’une telle décision sur le régime probatoire de la discrimination (I) et sur les obligations de l’employeur concernant les personnes en situations de handicaps (II).

Le régime probatoire de la discrimination : « un régime en deux volets »

L’article L. 5213-6 du Code du travail impose à l’employeur de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés en prenant « les mesures appropriées » pour leur permettre « d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée« .

Ces mesures sont prises « sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées« . Le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d’une discrimination en raison du handicap au sens de l’article L. 1133-3 du Code du travail.

L’arrêt du 15 mai 2024 apporte des précisions sur le régime probatoire applicable.

En l’espèce, la salariée n’avait formulé aucune demande d’aménagement à son employeur, et a prétendu que le licenciement pour inaptitude était discriminatoire au motif que la société aurait « omis » d’agir, d’une part et de son statut de travailleur handicapé, d’autre part.

On pouvait alors se demander si une discrimination pouvait se caractériser dès lors qu’un employeur omettait d’adopter l’une des mesures prévues à l’article L. 5213-6 du Code du travail et que le salarié était en situation d’handicap.

Si tel était le cas, les employeurs pouvaient se retrouver exposer en cas de litige.

La Cour d’appel de Paris avait en effet pris une position en leur défaveur en considérant que la simple omission de l’employeur était suffisante pour considérer le licenciement comme nul en raison d’une discrimination fondée sur le handicap.

Une telle situation aurait alors pu légitimement permettre aux prétentions d’un salarié de prospérer sur le fondement du non-respect par l’employeur d’une liberté fondamentale et du principe d’équité.

L’employeur a fort heureusement contesté ce raisonnement en saisissant la Cour de cassation en soutenant qu’il était nécessaire de caractériser un refus pour reconnaître une discrimination.

Les juges de la chambre sociale ont profité de cette procédure pour  poser comme principe que le régime probatoire en matière de discrimination est « à deux volets » comme l’a exprimé le rapporteur de cette affaire.

Selon la Cour « le juge, saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination ».

Ainsi, même si le refus implicite de l’employeur de prendre les mesures nécessaires notamment d’aménagement du poste en raison du handicap pouvait laisser supposer l’existence d’une discrimination, la Cour juge qu’il appartient bien à la salariée de présenter des éléments de fait afin de réellement caractériser cette discrimination (article L.1134-1 du Code du travail).

Si le salarié démontre que l’employeur a refusé (même implicitement) de prendre des mesures d’aménagements raisonnables sollicitées par le salarié, le CSE ou le médecin du travail ou  de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés conformément à sa demande , le juge saisi du litige pourra considérer que la discrimination est caractérisée.

Ce n’est que dans un second temps que le juge doit « rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre ».

L’articulation entre les obligations de l’employeur et les possibles abus de la notion de discrimination 

Cette décision a permis de clarifier le régime probatoire de la discrimination en raison du handicap mais aussi d’éviter les abus en précisant que le seul fait d’être en situation de handicap ne suffit pas à caractériser l’existence d’une discrimination.

Les juges sont dans l’obligation de tenir compte des obligations de l’employeur en matière de reclassement en cas d’inaptitude (le cas d’espèce) et des spécificités liées à la situation de handicap.

En l’espèce, l’employeur devait adopter une démarche en deux temps :

  • Une obligation générale de reclassement en cas d’inaptitude,
  • Une exigence spécifique aux personnes handicapées qui est de proposer des mesures appropriées tenant compte de leur situation.

Il est en revanche légitimement permis de penser que l’employeur ne sera tenu de ces obligations qu’à la seule et unique condition que le salarié l’ait préalablement informé de sa situation de travailleur handicapé, et puisse en justifier.

Il n’est pas surabondant de souligner que la chambre sociale avait d’ailleurs déjà jugé dans un arrêt du 3 juin 2020 qu’une série de refus et d’absence de recherche d’aménagements du poste au titre de l’article L. 5213-6 pouvait rendre le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, non pas sans cause réelle et sérieuse, mais nul car discriminatoire (Cass. soc., 3 juin 2020, nº 18-21.993).

La décision du 15 mai 2024 offre à la Cour de cassation l’occasion de rappeler que le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement prive seulement le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Nous constatons depuis la promulgation des ordonnances du 22 septembre 2017 une recrudescence des moyens soulevés par les justiciables pour tenter de contourner les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du travail ayant instauré ce qui est communément appelé le « barème Macron ». La discrimination constitue un de ces moyens. Cette décision marque donc i une avancée dans la protection des droits des travailleurs handicapés tout en préservant l’équilibre nécessaire dans les relations de travail en permettant aux employeurs de démontrer qu’ils exécutent de « bonne foi » le contrat de travail selon les dispositions de l’article L.1222-1 du Code du travail.

Nous ne pouvons que nous en réjouir 

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