Accident survenu en télétravail : accident domestique ou accident du travail ? Accident survenu en télétravail : accident domestique ou accident du travail ?

Ces deux dernières années, plusieurs Cours d’appel se sont prononcées sur le caractère professionnel ou non d’accidents survenus en télétravail. 
Les décisions rendues à ce sujet témoignent tant de la difficulté des juges du fond d’appréhender les différentes situations qui leur sont soumises, que de l’intérêt certain pour l’employeur de les circonscrire.
Lorry Mongilardi et Laure Mercier, avocates au sein du Cabinet Actance, reviennent sur les règles qui s’appliquent et les premières décisions rendues en la matière.

1. Une présomption légale d’imputabilité au travail

L’article L. 411-1 du code de la sécurité social érige une présomption d’accident du travail à tout accident survenu au temps et au lieu de travail, en ces termes : « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne mentionnée à l’article L. 311-2. »

Cette présomption a été adaptée par les dispositions de l’article L. 1222-9 du code du travail, concernant la situation des télétravailleurs. Ainsi, « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale. »

Cette présomption d’imputabilité de l’accident au travail a pour effet de dispenser le télétravailleur d’établir la preuve du lien de causalité entre l’accident et le contexte professionnel, dès lors que cet accident survient pendant l’exercice de son activité professionnelle.

Il appartient, ensuite, à l’employeur de renverser la présomption en démontrant que l’accident est intervenu en dehors du lieu du télétravail et / ou en dehors de toute activité professionnelle.

2. Une application plutôt stricte de la présomption légale d’imputabilité au travail par les juges du fond

A la lecture des premières décisions des Cours d’appel, l’on peut constater que cette présomption est appréciée strictement par les juges du fond et qu’elle est, ainsi, écartée dès lors que l’accident survient hors du lieu de télétravail et/ ou en dehors de l’activité professionnelle du télétravailleur.

En ce sens, le 26 avril dernier, la Cour d’appel de Rouen a refusé d’appliquer la présomption d’imputabilité à une salariée, victime d’un accident après sa pause déjeuner, aux motifs qu’elle n’établissait pas s’être reconnectée, ou avoir accompli une quelconque tâche sous l’autorité de l’employeur après sa pause déjeuner et que, par conséquent, elle n’était plus placée sous l’autorité, la surveillance ou le contrôle de son employeur. Dans cette affaire, les attestations des collègues de travail de la salariée alléguant d’une surcharge de travail avaient été jugés insuffisantes pour démontrer que l’accident était intervenu aux horaires de travail de la salariée (CA Rouen, 26 avril 2024, n° 23/00840).

De même, dans une décision du 15 juin 2023, la Cour d’appel d’Amiens a écarté la présomption concernant la chute d’une salariée dans l’escalier de son domicile une minute après la fin de sa journée de télétravail. Dans cette affaire, la salariée avait effectué son pointage de fin de journée (déconnexion) à 16h01 et son accident était intervenu à 16h02. Les juges du fond ont donc jugé que la salariée n’était plus sous la subordination de son employeur (CA Amiens 15 juin 2023, n°22/00474).

Enfin, le 4 mai 2023, la Cour d’appel Saint-Denis de la Réunion a également écarté la présomption d’imputabilité au travail dans une affaire où l’accident du salarié était survenu sur la voie publique et alors que le salarié n’était plus sous l’autorité de l’employeur (CA Saint-Denis de la Réunion, 4 mai 2023, n° 22/00884). En l’espèce, le salarié était sorti de son domicile, après avoir entendu un choc à la suite duquel la connexion internet de son domicile s’était interrompue. Arrivé sur le trottoir, il avait été blessé par la chute d’un poteau téléphonique qui avait été heurté par un véhicule.

Les juges du fond ont considéré qu’en sortant de son domicile pour constater l’origine de sa déconnexion internet, le salarié avait cessé sa mission pour un motif personnel et qu’une telle action ne relevant pas de la mission inhérente à son contrat de travail, il n’était donc pas sous l’autorité de son employeur au moment de l’accident.

En revanche, il a, très récemment, été jugé que l’accident survenu au domicile du télétravailleur pendant sa pause déjeuner est présumé être d’origine professionnelle (CA Amiens, 2 septembre 2024, n°23/00964). Dans cette affaire, une salariée avait chuté en descendant les escaliers de sa maison pour prendre sa pause déjeuner dans sa cuisine.

La Cour d’appel d’Amiens a confirmé la décision de première instance et fait application de la présomption d’imputabilité au motif que « si l’évènement était survenu pendant la pause méridienne, il n’en demeurait pas moins que cette période constituait une interruption de courte durée du travail, légalement prévue, assimilable au temps de l’exercice de l’activité professionnelle tel que prévu par le dernier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail. ». 

Pour justifier leur décision, les juges du fond ont, notamment, relevé que :

  • La matérialité de l’accident ainsi que son horaire n’avaient pas été remis en cause par l’employeur, lequel n’avait émis aucune réserve sur la déclaration d’accident du travail ;
  • La plage horaire méridienne constituait une interruption de courte durée du travail, légalement prévue, assimilable au temps de l’exercice de l’activité professionnelle au sens de l’article L 1222-9, III du Code du travail ;
  • La salariée n’avait pas interrompu son travail pour un motif personnel.

La Cour d’appel semble donc ici  raisonner par analogie avec les accidents du travail des salariés sur site en reprenant la jurisprudence classique de la Cour de cassation selon laquelle l’accident survenu pendant la pause déjeuner du salarié est présumé être un accident du travail s’il survient dans l’entreprise (Civ. 2e, 6 juill. 2017, no 16-20.119 ;  Civ. 2e, 29 mai 2019, no 18-16.183), y compris dans la cantine ou le réfectoire (Cass. soc. 5 janvier 1995 n° 93-11.500 ; Cass. soc. 10 décembre 1998 n° 96-13.588).

3. Les difficultés probatoires liées à la survenance d’un accident en télétravail 

Pour pouvoir faire une juste application de la présomption d’imputabilité au travail, encore faut-il être certain que l’accident du télétravailleur soit intervenu au lieu du télétravail et dans le cadre de son activité professionnelle, ce qui n’est pas sans soulever des difficultés probatoires au regard du contrôle restreint opéré par l’employeur sur l’organisation et le temps de travail du télétravailleur…

A cet égard, trois situations peuvent être distinguées :

  • Celle au terme de laquelle l’accident survient en dehors du domicile du salarié et en dehors de l’exercice de son activité professionnelle ;
  • Celle au terme de laquelle l’accident survient au domicile du salarié ;
  • Et celle au terme de laquelle l’accident survient en dehors du domicile du salarié dans le cadre de son activité professionnelle.

a) L’accident survient en dehors du domicile du salarié et en dehors de l’exercice de son activité professionnelle 

Cette situation sera la plus aisée à appréhender par les juges. En effet, dès lors que l’accident du télétravailleur se produit en dehors de son domicile et de toute activité professionnelle, la présomption d’imputabilité n’a pas vocation à s’appliquer.

C’est en ce sens que la Cour d’appel Saint-Denis de la Réunion avait statué concernant l’accident du salarié intervenu sur la voie publique alors qu’il avait interrompu son travail (CA Saint-Denis de la Réunion, 4 mai 2023, n° 22/00884). Dans cette affaire, rappelons que le salarié était descendu en bas de chez lui, après avoir entendu un bruit dans la rue, concomitant à l’interruption de sa connexion internet.

Ainsi, cette décision permet de mettre en exergue le constat suivant : dès lors que le salarié quitte son domicile (lieu du télétravail) pour un motif personnel sans lien avec les obligations qu’il a envers son employeur, alors l’accident n’est pas survenu sur le lieu du télétravail et ce, même s’il existe un lien entre la raison pour laquelle le salarié a cessé son activité et l’accident. Dans cette situation, la présomption d’imputabilité ne joue pas.

b) L’accident survient au domicile du salarié

Alors que l’accident survenu dans les locaux de l’entreprise, est a priori visible et connu dès sa survenance dans l’entreprise et par-delà, présumé et reconnu comme accident du travail, l’accident survenu en télétravail est, par définition, plus difficile à appréhender pour l’employeur puisqu’il se produit au domicile du télétravailleur.

Il sera, alors, nécessaire, de démontrer que l’accident est survenu, non seulement au domicile du salarié mais encore dans le cadre de son activité professionnelle. Cette démonstration sera souvent périlleuse et conduira (i) le télétravailleur à produire un certificat médical et des témoignages de proches, pour attester de l’heure à laquelle s’est produit l’accident et (ii) l’employeur à tenter de démontrer que le salarié n’exerçait pas d’activité professionnelle à l’heure mentionnée.

Se pose, alors, la question de la recevabilité des attestations de proches de la victime, éventuellement présents lors de l’accident du télétravailleur et qui attestent que l’accident est survenu au domicile du salarié et dans le cadre de son activité professionnelle.

L’on peut relever, à cet égard, que dans une décision du 25 avril 2024, les juges ont écarté la présomption d’imputabilité, notamment, en raison des incohérences pointées entre le témoignage du conjoint de la salariée (qui la décrivait en pleurs au moment de l’accident) et les captures d’écran de discussions de la salariée avec ses collèges (au cours desquelles la salariée plaisantait sur le sujet et décrivait des circonstances d’accident différentes) (CA Nîmes, 25 avril 2024, n° 23/01750).

Aussi, en matière probatoire, la preuve « technique » apparaît comme étant la plus fiable. C’est, en effet, celle-ci qui a permis aux juges du fond, dans la décision du 15 juin 2023, d’écarter la présomption d’accident du travail, le télétravailleur ayant effectué son pointage de fin de journée avant la survenance de son accident (CA Amiens, 15 juin 2023, n°22/00474).

C’est encore celle-ci qui a permis, a contrario, aux juges du fond de présumer le caractère professionnel de l’accident, dans une décision du 2 mai 2024, ces derniers s’étant appuyés, notamment, sur le dernier courriel envoyé par le salarié et qui correspondait précisément à l’horaire auquel avait débuté son malaise ayant conduit à son infarctus, pour en déduire que l’accident était survenu pendant ses horaires de télétravail (CA Nîmes, 2 mai 2024, n° 23/00507).

c) L’accident survient en dehors du domicile du salarié dans le cadre de son activité professionnelle

D’autres situations, qui n’ont pas encore été appréciées par les juges du fond, pourraient poser difficultés. Par exemple, quel sort réserver à l’accident survenu, pendant l’exercice de l’activité professionnelle dans des maisons secondaires ou des lieux de villégiature, lesquels ne constituent pas le domicile principal du salarié ?  

Plus généralement, doit-on appliquer la présomption aux accidents survenus à tout lieu où s’exerce le télétravail et résultant d’actes de la vie courante qui ne correspondent pas à l’exécution d’un acte professionnel (ex :  chuter en allant chercher le courrier, se blesser en cuisine hors pause déjeuner) ?

Concernant les salariés en mission, la Haute Juridiction considère que tout accident survenu lors de la mission d’un salarié est présumé être un accident du travail, peu important qu’il survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l’employeur ou la caisse de rapporter la preuve que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel (Cass. 2e civ. 12-10-2017 n° 16-22.481).

Nous serions tentés de ne pas appliquer, par analogie, la position de la Cour de cassation concernant les salariés en mission aux télétravailleurs, dans la mesure où le télétravail relève d’un accord commun des parties, là où la mission professionnelle résulte d’une obligation professionnelle à la demande de l’employeur.

En tout état de cause, dès lors qu’il peut être démontré que le télétravailleur a interrompu son activité professionnelle pour un motif personnel, l’accident n’est pas reconnu comme un accident du travail.

4. Enjeux et recommandations pour l’employeur

Si les décisions des Cour d’appel, relatives à la reconnaissance du caractère professionnel ou non de l’accident, intéressent, au premier rang, la CPAM, elles comportent aussi plusieurs enjeux pour l’employeur.

Rappelons, tout d’abord, qu’un salarié victime d’un accident du travail bénéficie d’une protection légale contre le licenciement. Ainsi, pendant toute la durée de son arrêt de travail, il ne peut être licencié, sauf en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir son contrat de travail pour un motif étranger à l’accident (article L. 1226-9 du code du travail).

Il peut, également, percevoir, sous certaines conditions, une indemnité complémentaire versée par l’employeur dès le premier jour de son absence – et donc sans délai de carence contrairement au salarié victime d’un accident non professionnel (articles L. 1226-1 et D. 1226-1 du code du travail).

Rappelons, ensuite, que la qualification d’accident du travail, peut entraîner une éventuelle action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, laquelle, si elle prospère, pourra contraindre l’employeur à réparer tous les chefs de préjudice qui n’ont pas été pris en compte par l’assurance maladie, et permettre ainsi à la victime ou à ses ayants droit de bénéficier d’une réparation quasi-intégrale de leur préjudice (article L. 452-1 du code de la sécurité sociale).

Enfin, il convient de relever qu’est mise à la charge de l’employeur une cotisation « accident du travail / maladie professionnelle » dont le taux varie, notamment, en fonction du nombre d’accidents du travail survenus dans l’entreprise (article L. 242-5 du code de la sécurité sociale).

Au regard des difficultés probatoires et des possibilités restreintes de l’employeur de contrôler l’activité et les horaires du salarié télétravailleur, il est notamment recommandé, lorsque l’entreprise a recours au télétravail :

  • d’adopter une rédaction précise de la charte ou de l’accord télétravail afin d’encadrer ses situations (ex : limiter l’espace professionnel, définir précisément le lieu d’exercice du travail, prévoir des plages horaires de disponibilité pour les salariés en forfait jours en télétravail etc.) ;
  • de mettre en place un système de traçage de l’activité professionnelle du salarié et un dispositif de pointage des heures de travail via une authentification informatique ;
  • en cas d’accident survenu, d’émettre des réserves sur la déclaration d’accident du travail dès lors que l’employeur estime que la matérialité ou l’horaire de travail de l’accident est contestable.

Le Cabinet Actance se tient à votre disposition pour vous accompagner sur les problématiques que vous rencontrez.

Laure Mercier
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