Actu-tendance n° 749
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : l’article L. 1132-1, rappelle qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison notamment de son origine, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race.
Selon l’alinéa 3 de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, la discrimination inclut tout agissement ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
La preuve de la discrimination est aménagé par l’article L. 1134-1 du code du travail qui prévoit que lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant, selon lui, une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge peut-il écarter l’existence d’une discrimination faute pour le salarié d’avoir qualifié comme tels, les comportements litigieux qu’ils rapportent ?
Cass. Soc., 14 novembre 2024, n° 23-17.917
Un salarié engagé en qualité d’agent de sécurité prend acte de la rupture de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale aux fins de juger que la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul.
La Cour d’appel juge que la prise d’acte doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non nul. La Cour considère en effet qu’aucune pratique discriminatoire de l’employeur ne pouvait être retenue dans la mesure où le salarié n’avait pas fait mention de quelle mesure discriminatoire il aurait été victime.
Le salarié forme un pourvoi. Il soutient que :
- Le salarié qui estime avoir fait l’objet d’une discrimination doit seulement faire état d’éléments laissant supposer l’existence d’une telle discrimination,
- Qu’en l’espèce, il faisait état de l’absence de réaction de l’employeur à la suite de la dénonciation des propos racistes tenus à son égard mais également des comportements humiliants dont il avait fait l’objet (refus de le saluer, reproche par ses supérieurs, d’entretenir une relation amoureuse avec une autre salariée),
- Il appartenait, en conséquence, et sur la base de ces éléments, à la Cour d’appel de rechercher si les faits invoqués par le salarié laissaient supposer l’existence d’une discrimination.
Par un arrêt publié au bulletin du 14 novembre 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel et reprend les arguments développés par le salarié : la Chambre sociale constate en effet, que dès lors que le salarié présentait des éléments de fait relatifs à des agissements discriminatoires, il appartenait au juge de rechercher, comme l’article L. 1134-1 du code du travail l’y invite, si l’employeur prouvait que lesdits agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Note : La Cour de cassation considère que la remise d’éléments, même peu précis, était suffisante pour laisser supposer l’existence d’une discrimination. La prise d’acte reconnue fondée produit donc les effets d’un licenciement nul (et non sans cause réelle et sérieuse), avec les conséquences associées, notamment en termes indemnitaires (non application du barème Macron).
Rappel : l’Article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 disposait que « toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (…) ».
L’article L. 1234-20 du code du travail dispose, quant à lui, que le solde de tout compte établi par l’employeur peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l’employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.
Quelles sont les conséquences de l’absence de signature du solde de tout compte d’une part, sur les sommes qui y sont mentionnées et d’autre part, sur le délai de prescription pour les contester?
Cass. Soc., 14 novembre 2024, n° 21-22.540
Dans cette affaire, un salarié, ajusteur mécanicien machine est licencié pour motif disciplinaire par lettre du 11 avril 2013 avec dispense d’exécution de son préavis de deux mois.
Le 7 décembre 2017, soit plus de trois ans plus tard, il saisit la juridiction prud’homale de diverses sommes et notamment, de sommes figurant sur son solde de tout compte.
La Cour d’appel juge les demandes recevables et ordonne la remise des documents de fin de contrat ainsi que le paiement de sommes figurant au solde de tout compte.
Elle constate en effet que le solde de tout compte n’ayant jamais été signé par le salarié – compte tenu d’une incarcération du 25 juin 2013 au 22 juin 2017 – il était dénué d’effet libératoire de sorte que la prescription n’avait jamais commencé à courir.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
Il soutient que l’action tendant au paiement de l’indemnité de licenciement et à la remise des documents de fin de contrat est relative à la rupture du contrat de travail et se prescrit conformément à l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version alors applicable (deux ans), et ce, peu important que le salarié ait ou non signé le reçu pour solde de tout compte.
Or, en l’espèce, le salarié avait été licencié par un courrier du 11 avril 2013 et son solde de tout compte établi le 13 juin 2013, soit, à l’issue du préavis de sorte que la saisine du conseil de prud’hommes le 7 décembre 2017 était irrecevable comme prescrite.
L’employeur considère qu’en faisant une confusion entre l’effet libératoire du solde de tout compte et la prescription des sommes qui y étaient mentionnées, la Cour d’appel a violé les articles L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et L. 1234-20 du même code.
Par décision du 14 novembre 2024 publiée au bulletin, la Cour de cassation casse l’arrêt des juges du fond et énonce le principe selon lequel, le reçu pour solde de tout compte non signé par le salarié n’a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées, et n’a aucun effet sur le délai de prescription sauf à caractériser une cause d’interruption ou de suspension.
En l’espèce, il appartiendra donc à la Cour d’appel de renvoi de déterminer si une cause d’interruption ou de suspension existe, faute de quoi la prescription de deux ans devrait être considérée comme acquise.
Note : Rappelons que si le reçu pour solde de tout compte n’est pas signé par le salarié, il ne fait pas preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées et il appartient alors à l’employeur de justifier de ce paiement (Cass. Soc., 27 mars 2019,n°18-12.792).
Rappel : – Dans sa version antérieure à l’ordonnance du 24 septembre 2017, l’article L. 1225-71 prévoyait explicitement qu’en cas de nullité du licenciement en raison d’une violation des règles relatives à la protection de la grossesse et de la maternité, l’employeur devait verser le montant du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité.
La version postérieure à l’ordonnance ne prévoit plus cette sanction, se contentant d’un renvoi à L’article L. 1235-3-1, dont il résulte qu’en cas de nullité du licenciement prononcé, le salarié qui ne demande pas sa réintégration a droit outre les indemnités de rupture, à :
une indemnité d’un minimum de six mois de salaire,
à laquelle peut s’ajouter le paiement du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité, lorsqu’il est dû notamment « en application des dispositions de l’article L. 1225-71 du code du travail ».
Ce jeu de renvoi et la modification du texte de l’article L. 1225-71, qui ne prévoit plus expressément le paiement des salaires, ont conduit à la question suivante :
La salariée qui ne demande pas sa réintégration à la suite du prononcé de la nullité de son licenciement, peut-elle demander paiement des salaires correspondant à la période couverte par la nullité, en plus d’une indemnité équivalente à 6 mois de salaires ?
Cass. Soc., 6 novembre 2024 n° 23-14.706
Dans cette affaire, une salariée est licenciée pour faute grave alors qu’elle est enceinte.
Elle porte son affaire devant les juridictions prud’homales.
La Cour d’appel juge son licenciement nul car prononcé en lien avec sa grossesse et condamne l’employeur à payer à la salariée, outre une indemnité équivalente à six mois de salaire, une somme équivalente aux salaires dus pendant la période de protection.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
Il reproche à la Cour d’appel de l’avoir condamné au paiement des salaires alors que, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L. 1225-71 dans sa nouvelle rédaction ne prévoit plus cette possibilité.
Par un arrêt du 6 novembre 2024 publié au bulletin, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Par une longue motivation, la Cour de cassation fait une interprétation des articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail « à la lumière» de dispositions de droit communautaire interprétées par la CJUE :
- D’une part, l’article 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992, qui prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal ;
Et :
- D’autre part, de l’article 18 de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, qui prévoit que les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi.
Pour en conclure que la salariée, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à 6 mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.
Note : la Cour de cassation confirme que la salariée peut prétendre au paiement des salaires dus au titre de la période couverte par la nullité, outre l’indemnisation de son préjudice. Au-delà de la solution en elle-même, la motivation par référence aux dispositions communautaires et à la jurisprudence de la CJUE (référence qui ne s’imposait pas a priori) est susceptible de donner une portée plus large à la solution, qui pourrait s’étendre à toute situation de discrimination fondée sur le sexe.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : l’article L. 2511-1 du code du travail dispose que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié (…). Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit».
La simple évocation, par un salarié, de l’organisation d’un mouvement de grève suffit-il à justifier la nullité du licenciement dont il a fait l’objet ?
Cass. Soc., 14 novembre 2024 n° 23-17.787
Un conflit oppose des salariés à leur employeur au sujet de la mise à leur disposition d’un véhicule de service.
Un salarié, occupant en dernier lieu les fonctions d’opérateur de fabrication est convoqué à un entretien préalable puis licencié pour faute grave.
Il saisit la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, action à laquelle le syndicat CGT des personnels du site chimique intervient volontairement pour solliciter des dommages-intérêts en raison de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
La Cour d’appel fait droit aux demandes du salarié et déclare le licenciement nul.
la Cour d’appel constate que les faits fautifs reprochés au salarié ont été commis à l’occasion de l’exercice du droit de grève en retenant que le jour des faits litigieux, il existait une revendication collective et avait été évoquée la planification d’un mouvement de grève pour que l’employeur satisfasse à leur revendication.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
Il soutient que :
- la nullité du licenciement prévue à l’article L. 2511-1 du code du travail n’est encourue que lorsque celui-ci a été prononcé à raison d’un fait commis au cours ou à l’occasion de l’exercice effectif du droit de grève ;
- que la seule menace d’une grève hypothétique proférée par le salarié ne saurait lui conférer la protection édictée par ces dispositions ; au surplus, la menace d’une grève ne s’était finalement pas concrétisée.
Par un arrêt du 14 novembre 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle considère que la seule circonstance que les faits motivant le licenciement avaient été commis à l’occasion d’une revendication collective au cours de laquelle le salarié avait annoncé l’intention des salariés de faire grève et de mettre à l’arrêt l’atelier entrait dans les prévisions de l’article L. 2511-1 du code du travail de sorte qu’en l’absence de faute lourde, la nullité du licenciement était encourue.
Note : La Cour de cassation fait ici une interprétation large de la notion de faits commis à l’occasion d’une grève. Elle avait déjà, par le passé, considéré que la protection prévue à l’article L. 2511-1 du code du travail s’appliquait à des salariés licenciés pour avoir manifesté leur soutien à leurs collègues en grève sans avoir eux-mêmes participé à la grève (Cass. Soc., 5 juillet 2018 n° 16-21.563).
Législation et réglementation
Les partenaires sociaux dont on attendait l’accord sur l’emploi des séniors et sur les modalités de prise en charge par l’assurance chômage, ont conclu, le 14 novembre, un troisième accord, relatif celui-là à l’évolution du dialogue social.
Cet accord entérine d’une part, l’ouverture de négociations, en 2025, et conformément à l’agenda social, sur la valorisation des parcours syndicaux et d’autre part, la suppression, dans le Code du travail, de la limite à trois, du nombre de mandats successifs des membres de la délégation du personnel du comité social et économique appelant le législateur à transposer cette suppression dans une loi.
L’accord, comme les deux autres, est ouvert à la signature des organisations syndicales.
Protection sociale complémentaire
Jurisprudence – Protection sociale
Le contrat d’assurance qui se borne, concernant les règles de prescription, à renvoyer à l’article L. 114-1 du code des assurances ne satisfait pas aux obligations d’informations en la matière. La prescription est alors inopposable à l’assuré. Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence (Cass.Soc., 7 novembre 2024 n° 23.12-427) :
Dans le cadre d’un contrat de prévoyance, le médiateur invite l’assureur à mentionner dans les documents contractuels, en caractères apparents, les modalités d’augmentation des primes, notamment dans le cas d’une aggravation du risque, ainsi que les indices de référence appliqués.
Législation et réglementation
L’article 58 du PLF pour 2025 prévoit un nouveau délai pour l’entrée en vigueur des premiers contrats santé dans les ministères qui peuvent prolonger le terme de leur référencement en cours « dans la limite d’une année supplémentaire sans que celui-ci dépasse le 31 décembre 2026 ».
L’article R. 871-2 du code de la sécurité sociale, qui fixe les garanties devant être respectées par un contrat d’assurance santé pour être qualifié de responsable est modifié afin de prendre en compte les apports du décret du 15 novembre 2024 relatif à la prise en charge et au remboursement des parcours coordonnés renforcés.
Cette recommandation s’inscrit dans la continuité de la recommandation 2024-R-01 du 28 juin 2024 sur la mise en œuvre de certaines dispositions issues de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances, qu’elle complète sur l’exercice du devoir de conseil et la fourniture d’un service de recommandation personnalisée. L’ACPR exclut du champ de cette recommandation les contrats souscrits par les employeurs à destination des salariés et anciens salariés.
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Un rapport sur « les violences sexistes ou sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir », commandé par lettre de mission interministérielle du 22 mars 2024 a été remis au gouvernement le 18 novembre.
L’enjeu était de faire un état des lieux et d’établir des recommandations.
Ce rapport a donné lieu à 41 mesures à mettre en œuvre pour construire une chaîne vertueuse de prévention, de repérage, de sanction, d’accompagnement et de réparation.
En savoir plus
Après les propositions de moratoire sur la CSRD (voir actu tendance n° 748), c’est au tour de la directive sur le devoir de vigilance d’être critiquée.
25 associations européennes de lobbyisme représentant les intérêts des entreprises, dont Business Europe, association patronale européenne considéré comme le Medef européen, appellent la Commission européenne à des actions visant à « alléger la charge » des obligations de vigilance et à en décaler l’application (source : Novethic).
Pour rappel, la directive sur le devoir de vigilance européen, votée par le Parlement Européen en avril dernier, instaure une obligation, pour les entreprises d’une certaine dimension, de mettre en place des dispositifs visant à identifier et prévenir les atteintes aux droits humains et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur.