Actu-tendance n° 746

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : l’article L. 1235-3-1 du code du travail dispose que lorsque le licenciement est entaché de nullité ( …) et lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d’une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral sexuel (..);
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits (..) » 
Les revenus de remplacements perçus par la salariée pendant la période d’éviction ainsi que l’indemnité compensatrice de préavis qui lui a été versée viennent-ils en déduction de l’indemnité d’éviction qui lui est due en conséquence de la nullité de son licenciement ?

Cass. Soc. 23 octobre  2024, n° 23-16.479

Dans cette affaire, une salariée, responsable administratif et comptable, est licenciée par son employeur, le syndicat de la Fédération des entreprises de propreté. Il lui est reproché d’avoir transmis, à l’appui de revendications tendant au paiement d’un 13ème mois et d’une prime assise sur un usage interne, des données personnelles ayant trait à la rémunération de certains de ses collègues.

Son licenciement est annulé et sa réintégration prononcée.

L’employeur forme un pourvoi en cassation.

Il considère que :

  • le salarié a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’écoule jusqu’à sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé  de sorte que l’indemnité d’éviction doit être déduite des revenus de remplacement perçus pendant cette période
  • L’indemnité équivalente aux salaires que la salariée doit percevoir se calcule à compter de l’issue de son préavis, la salariée ayant perçu une indemnité compensatrice de préavis.

Par décision du 23 octobre 2024, publiée au bulletin, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la décision des juges d’appel qui rappellent le principe selon lequel, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

S’agissant du deuxième moyen, il est jugé irrecevable pour des motifs de forme.

Note : il s’agit d’une confirmation de jurisprudence ; pour rappel, la Cour de cassation reconnaît la possibilité de déduire de l’indemnité d’éviction, les revenus de remplacement perçus lorsque la nullité n’est pas fondée sur la violation d’une liberté fondamentale garantie par la constitution comme c’est le cas, par exemple, en cas de nullité d’un licenciement prononcé à raison de l’âge.

S’agissant de la déduction de l’indemnité compensatrice de préavis, il convient de noter que l’avocat général concluait à la cassation au motif que : « lorsque le licenciement est annulé et que le salarié obtient sa réintégration, il ne peut pas prétendre au paiement d’indemnités de rupture qui viendraient s’ajouter à l’indemnité d’éviction ; de la même manière on ne voit pas ce qui justifierait qu’il puisse cumuler, pour la même période, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité d’éviction ».

Rappel : La Cour de cassation a jugé dès 2006, que le non-respect de l’exigence de précision des offres constitue une méconnaissance, par l’employeur, de son obligation individuelle de reclassement. Ce manquement  n’est sanctionné ni par la nullité de la procédure de licenciement ni par l’allocation de dommages-intérêts, mais par le licenciement privé de cause réelle et sérieuse (Cass.Soc., 20 septembre 2006, n° 04-45.703).
L’article L. 1233-4 du code du travail impose que les offres de reclassement qui doivent être proposées au salarié dont le licenciement pour motif économique est envisagé, doivent être écrites et précises.  
L’article D. 1233-2-1, alinéa II, du même code, précise que ces offres doivent mentionner :
  • l’intitulé du poste et son descriptif,
  • le nom de l’employeur,
  • la nature du contrat de travail,
  • la localisation du poste,
  • le niveau de rémunération
  • la classification du poste. 
Quel degré de précision doivent revêtir les offres de reclassements formulées en  application des articles D 1233-2-1 du code du travail? Et quelle est la sanction applicable en cas de non-respect ?

Cass.Soc., 23 octobre 2024 n° 23-19.629

Dans cette affaire, une salariée se voit proposer une offre de reclassement à l’occasion d’une réorganisation de l’entreprise.

Cette offre est rédigée comme suit : « un poste de magasinière à [Localité] avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération ».

Son contrat de travail est rompu à la suite du refus de l’offre et de l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.

Elle conteste la rupture de son contrat de travail devant le Conseil de Prud’hommes.

La Cour d’appel fait droit à sa demande et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’offre de reclassement ne précisait ni l’activité, ni l’adresse de l’entreprise au sein de laquelle le poste de reclassement était proposé. De même, la mention « au même niveau de rémunération » était insuffisante pour permettre à la salariée de répondre valablement à l’offre.

L’employeur forme un pourvoi et soutient que :

  • en exigeant que l’offre de reclassement fasse figurer l’activité et l’adresse de l’entreprise au sein de laquelle le poste de reclassement est proposé, les juges du fond ont ajouté une condition à l’article D1233-2-1 du code du travail qui n’y figure pas.

Et en tout état de cause que :

  • dès lors que la localisation du poste et le niveau de rémunération proposé sont précisés, l’absence de mention du nom de l’employeur et de la classification du poste ne constitue qu’une irrégularité de procédure ne suffisant pas, en soi, à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ;
  • le courrier de refus de la salariée ne comportait aucune réserve ni demande de précision des caractéristiques du poste proposé de sorte qu’il en ressort qu’elle s’estimait suffisamment informée pour pouvoir décliner l’offre qui lui était faite.

Par décision du 23 octobre  2024 publiée au bulletin, la Cour de cassation, rejette le pourvoi.

Elle pose le principe selon lequel le défaut de l’une des mentions figurant à l’article D 1233-2-1 du code du travail a pour conséquence que l’offre doit être considérée comme imprécise, caractérisant un manquement à l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Pour la Cour de cassation, le simple constat que l’offre de reclassement ne comportait ni le nom de l’employeur, ni la classification du poste, ni la nature du contrat suffisait à caractériser l’imprécision de l’offre de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Note : S’agissant du degré de précision, la chambre sociale avait déjà eu l’occasion de juger que l’offre de reclassement devait indiquer le montant exact de la rémunération et non une fourchette de rémunération (Cass.Soc., 28 septembre 2022 n° 21-13.064), pas plus qu’une mention relative au niveau de rémunération du poste (Cass.Soc., 15 juin 2022, n° 21-10.641) :

De même, avait-il déjà été jugé que le fait d’indiquer la localisation de l’emploi d’une offre de reclassement par la mention d’une région ne conférait pas à cette offre la précision exigée par l’article L. 1233-4 du code du travail (Cass.Soc., 28 septembre 2022, n° 21-13.064)

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : l’article L. 1321-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 dispose que le règlement intérieur ne peut être introduit qu’après avoir été soumis à l’avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel (…). Il doit par ailleurs être communiqué à l’inspecteur du travail.
Le règlement intérieur indique la date de son entrée en vigueur qui doit être postérieure d’un mois à l’accomplissement des formalités de dépôt et de publicité.
L’article L. 2132-3  dispose que les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Un syndicat peut-il solliciter l’inopposabilité d’un règlement intérieur dans le cadre d’un litige au fond ?

Cass. Soc. 23 octobre 2024 n° 22-19.726 

Dans cette affaire, le syndicat CGT intervient volontairement à l’instance  à l’occasion de l’action d’un salarié tendant à voir prononcer la nullité de la mise à pied dont il a fait l’objet. Le syndicat conteste l’application du règlement intérieur qui a fondé la sanction au motif que l’employeur a maintenu affiché dans ses locaux,  une ancienne version du règlement intérieur alors même que celui-ci avait fait l’objet d’une modification ultérieure, consécutives à une mise en demeure de l’inspection du travail.

La Cour d’appel déboute le syndicat au motif :

D’une part, qu’il n’est pas établi par les éléments versés aux débats que ce règlement n’était pas affiché à la date de notification de l’avertissement au salarié.

D’autre part, que les modifications avaient bien été prises en compte dans le corps du règlement affiché.

Le syndicat forme un pourvoi.

Par décision du 23 octobre 2024 publiée au bulletin, la Cour de cassation rejette le pourvoi du syndicat.

La Cour de cassation rappelle que :

  • les règles applicables à l’entrée en vigueur du règlement intérieur s’appliquent de la même manière en cas de modification ou de retrait de certaines clauses,
  • ces formalités, protectrices de l’intérêt des salariés, sont substantielles et conditionnent leur opposabilité au salarié

Toutefois, et sur le fondement de l’article L. 2132-3 du code du travail la Cour juge que :

  • si le syndicat est recevable à demander en référé, la suspension du règlement intérieur en raison du défaut d’accomplissement de l’une des formalités substantielles, dès lors que le non-respect d’une telle formalité porte préjudice à l’intérêt collectif de la profession, il ne peut en revanche, dans un litige au fond, demander la nullité de l’ensemble du règlement ou son inopposabilité à tous les salariés de l’entreprise sur le fondement du défaut d’accomplissement de ces formalités.

La Cour de cassation retient que le règlement intérieur de la société est régulier et opposable aux salariés de l’entreprise.

Note : il s’agit de la confirmation d’une décision rendue le 21 septembre 2022 (n° 21-10.718). Dans cette décision, la Cour de cassation avait admis qu’en l’absence de consultation des institutions représentatives du personnel, un syndicat est recevable à demander en référé la suspension du règlement intérieur dans la mesure où le non-respect de ces formalités porte un préjudice à l’intérêt collectif de la profession que le syndicat représente mais qu’en revanche, il n’était pas recevable à formuler, par voie d’action au fond, une demande de nullité de l’ensemble du règlement intérieur ou son inopposabilité à tous les salariés de l’entreprise.

Rappel :  quand un accord collectif qui est conclu à durée déterminée arrive à expiration, il cesse de produire ses effets (C. trav., art. L. 2222-4).  
L’accord prévoit les formes et le délai dans lesquels l’accord peut être renouvelé ou révisé (article L. 2222-5 du code du travail) ainsi que les modalités dans lesquelles il peut être dénoncé (article L. 2222-6 du code du travail).
Enfin, l’article L . 2261-9 du code du travail prévoit que la convention et l’accord à durée indéterminée peuvent être dénoncés par les parties signataires.
En revanche, aucune disposition spécifique n’existe pour la dénonciation d’un accord à durée déterminée. 
Un accord collectif conclu à durée déterminée peut-il prévoir une clause de reconduction tacite ainsi que les conditions de sa dénonciation avant le terme fixé ?  

Cass. Soc. 23 octobre 2024 n° 23-17.460

Dans cette affaire, un accord portant sur la mise en place d’un CSE conclu au sein d’une UES a été signé le 22 février 2019 à effet au 7 juin 2019, jour de la proclamation définitive des résultats des élections au CSE.

L’accord précise que :

  • il est conclu pour une durée déterminée de quatre ans soit, jusqu’en juin 2023,
  • il sera reconduit par tacite reconduction si l’accord n’est pas révisé ou dénoncé,
  • il pourra être dénoncé, en totalité ou partiellement, par l’une ou l’autre des parties signataires en respectant un délai de préavis de trois mois.

Par lettre recommandée AR du 3 mars 2023 réceptionnée le 7 mars 2023 par le syndicat CFDT, l’UES dénonce l’accord.

Le syndicat saisit le Tribunal judiciaire aux fins de faire constater la tacite reconduction de l’accord pour une nouvelle période de quatre ans pour dénonciation tardive de l’accord.

Le syndicat est débouté.

Le tribunal juge que l’accord a cessé de produire ses effets le 7 juin 2023 au motif que la procédure de dénonciation est seulement applicable à l’accord collectif à durée indéterminée et que l’accord avait cessé de produire ses effets au terme du délai de quatre ans.

Le syndicat forme un pourvoi en cassation. Il soutient qu’un accord collectif de travail conclu pour une durée déterminée peut fixer les modalités de sa tacite reconduction.

Par décision du 23 octobre 2024 publiée au bulletin, la Cour de cassation, par substitution de motif, rejette le pourvoi.

La Cour de cassation juge qu’un accord collectif à durée déterminée peut prévoir qu’il sera reconduit par tacite reconduction, sauf dénonciation de l’accord produisant ses effets au terme de celui-ci, sous la condition de respecter le délai de préavis fixé par l’accord avant l’expiration du terme. »

Or, à partir du moment où l’on admet qu’un accord à durée déterminée peut être reconduit tacitement, il faut prévoir un moyen de mettre fin à cette reconduction tacite. Et ce moyen, c’est la dénonciation. La cour de cassation constate que les conditions de la dénonciation telles qu’elles figuraient dans l’accord, ont bien été respectées. 

Note : la Cour de cassation considérait, initialement, que le code du travail ne prévoyant pas la possibilité de dénoncer une convention ou un accord collectif conclu pour une  durée déterminée, il n’était, dès lors, pas possible de dénoncer unilatéralement ce type d’accord (Cass.Soc., 26 mai 1983 n° 81-15.262). Elle a pourtant   admis par la suite, la possibilité de dénoncer un accord à durée déterminée, dans le respect du préavis, d’un accord à durée déterminée qui comportait, à son échéance, une faculté de résiliation annuelle en cas de reconduction (Cass. Soc., 13 février 2013 n° 11-23.531). Le présent arrêt s’inscrit dans la continuité de cette jurisprudence. La dénonciation unilatérale d’un accord collectif à durée déterminée est possible lorsque cet accord  prévoit une clause de reconduction ou de renouvellement tacite. Ainsi, il appartient à la partie qui souhaite empêcher la poursuite de termes de l’accord de prendre l’initiative de le dénoncer moyennant le délai du préavis fixé, afin qu’à son échéance l’accord ne soit pas renouvelé.

Législation et réglementation

Un décret n° 2024-951 revalorise le SMIC de 2% à compter du 1er novembre 2024. Le salaire minimum s’élèvera donc à 1 801, 80 euros bruts mensuels (contre 1 766,92 euros bruts mensuels) et 11,88 euros bruts par heure (au lieu de 11,65 euros bruts).

Protection sociale complémentaire

Jurisprudence – Protection sociale

Le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse fait naître, au profit du salarié un droit à être indemnisé au titre de la perte de chance de lever les options de souscription des actions attribuées. Le préjudice ne consistant qu’en une perte de chance de réaliser une plus-value, il appartient aux juges d’apprécier souverainement le montant du préjudice (CA Paris 17 octobre 2024 n° 22/03984)

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) s’est déclarée conforme aux orientations de l’Autorité bancaire européenne relatives à l’évaluation comparative des pratiques en matière de diversité, y compris les politiques de diversité et l’écart de rémunération entre les genres, au titre de la directive 2013/36/UE et de la directive 2019/2031/UE , à l’exception des dispositions de ces orientations prévoyant la communication à l’ACPR d’informations relatives au genre « non binaire », du fait de l’absence de reconnaissance de cette catégorie en droit français.

En savoir plus

Législation et réglementation

L’exécutif envisage de porter le délai de carence de 1 à 3 jours et réduire à 90 % l’indemnisation des arrêts courts pour les agents publics ; cette réforme pourrait générer 1,2 Md€  d’économie en 2025 selon Bercy.

La rémunération des supports en euros des contrats d’assurance vie se fait par la participation aux bénéfices, qui peut être bonifiée selon le taux d’investissement sur les unités de compte au sein du même contrat au jour de l’inscription en compte des intérêts, sans être discriminatoire.

Le médiateur de l’assurance recommande :

  • Aux organismes assureurs d’informer ses assurés préalablement à la mise en place d’un système de bonification de la participation aux bénéfices pour qu’ils soient en mesure d’en bénéficier s’ils le souhaitent ;
  • Aux assurés de vérifier que leur investissement en assurance-vie respecte les conditions définies par l’assureur tout en prenant en compte leur appétence au risque ;
  • Aux organismes assureurs de se tenir disponibles pour conseiller au mieux ses assurés.

Pour en savoir plus

Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

Dans une optique de simplification réglementaire, le Premier ministre Michel Barnier a évoqué l’hypothèse d’un “moratoire” en reportant de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de certaines réglementations, dont la CSRD qui instaure un reporting de durabilité pour des milliers d’entreprises européennes ou encore le devoir de vigilance.

S’agissant du CSRD, le premier Ministre estime que «cette directive a été transposée vite et un peu surtransposée, notamment sur le volet des sanctions pénales ».

Pour rappel, la directive CSRD sur le reporting de durabilité des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive) a été transposée en droit français en décembre 2023. Cette nouvelle réglementation qui vise à renforcer la qualité et la comparabilité des reportings de durabilité est entrée en vigueur en 2024 pour les grandes entreprises cotées.

Un tel moratoire, s’il devait être décidé, interviendrait en contravention avec le Green Deal qui placerait la France en dehors du droit européen.