Actu-tendance n° 738

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : l’article L 1154-1 du code du travail aménage le régime de la charge de la preuve en matière de harcèlement ; cet article prévoit en effet que  la charge de la preuve ne repose sur aucune parties particulièrement ; il appartient au salarié de présenter des  éléments  laissant supposer l’existence d’un harcèlement, à charge pour l’employeur, de prouver, au vue des éléments présentés,  que les agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Le juge, enfin, forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Considéré comme une discrimination, la compétence du Défenseur des droits a été reconnue en matière de harcèlement sexuel (loi 2011-333 du 29 mars 2011, art. 4). 
L’aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement tel que prévu par le code du travail s’applique-t-il au stade de l’enquête interne menée par l’employeur  ?

Défenseur des droits, décision 2024-105 du 11 juillet 2024

Dans cette affaire, une salariée, juriste, se disant victime de propos à connotation sexuelle ainsi que d’une agression sexuelle de la part d’un collègue exerçant, comme elle, des fonctions de représentant syndical, a signalé les faits à  son employeur qui a déclenché une enquête interne.

Au cours de l’enquête l’employeur a auditionné plusieurs témoins tandis que la salariée a, de son côté, produit un nombre d’éléments laissant  supposer l’existence d’un harcèlement, tel que des  sms, emails ou encore,  attestations de collègues et de la responsable des ressources humaines.

Enfin, le salarié mis en cause, avait également reconnu être l’auteur de propos à connotation sexuelle (sans pour autant reconnaître la réalité de l’agression sexuelle).

L’employeur a finalement  conclu à l’absence de harcèlement  « aucun des témoins et aucune des preuves transmises ne pouvant venir étayer directement les allégations  de la salariée» ;

Par une décision du 11 juillet 2024,  la Défenseure des droits, saisie de l’enquête menée par l’employeur,

  • conclut que l’employeur n’a pas respecté les règles d’aménagement de la charge de la preuve prévu à l’article L. 1154-1 du code du travail

La Défenseure des droits constate en effet que l’approche adoptée par les enquêteurs a été « d’ôter toute valeur probante aux témoignages, d’en ignorer purement et simplement certains passages, et de se focaliser sur une recherche de preuve au lieu des éléments de présomption, c’est-à-dire d’indices qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Ces indices doivent être appréciés de façon globale et non séparément »

  • constate que l’employeur a manqué à son obligation de sanction issue de l’article L. 1153-6 du code du travail ;

la Défenseure des droits  livre  également des pistes méthodologiques :

(i) Au cours de l’enquête, toutes les personnes indispensables à la manifestation de la vérité doivent être auditionnées

La Défenseure des droits rappelle que : «dès lors qu’une audition est indispensable à la manifestation de la vérité », et même si la victime ne l’a pas demandée explicitement, « l’employeur doit veiller à ce que l’enquêteur y ait procédé, l’enquête devant être effectuée loyalement ». 

(ii) L’enquête ne doit pas être prolongée sur une durée excessive

En l’espèce, l’enquête s’est étendue sur une période de 9 mois. Si l’argument tiré de la complexité des faits, du sérieux de l’enquête (qui a donné lieu à un rapport de 80 pages) et des tâches multiples auxquelles la direction de l’éthique doit faire face, est pris en considération la Défenseure des droits, invite néanmoins la société à améliorer ses pratiques compte tenu du nombre de salariés et de la gravité des faits.

(iii) Les conclusions du rapport d’enquête doivent être prioritairement adressées à la victime avant toute autre personne  ( même la référente harcèlement, celle-ci n’ayant, en l’espèce participer d’aucune façon à l’enquête).

Note : dans sa décision, la Défenseure des droits se réfère à plusieurs décisions de la Cour de cassation qui ont dégagé le principe selon lequel, « lorsque des faits de harcèlement lui sont signalés, l’employeur est dans l’obligation d’ouvrir une enquête interne. À défaut, il manque à son obligation de sécurité et engage sa responsabilité ». Or, dans un arrêt du 12 juin 2024 (Cass.Soc. 12 juin 2024, n° 23-13.975), la Chambre sociale de la Cour de cassation a semblé revenir sur sa position en considérant que l’employeur, alerté d’une situation de harcèlement, n’a pas l’obligation  de diligenter une enquête interne. En effet, la Cour avait considéré que, en l’espèce, que l’employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, et que, « nonobstant l’absence d’enquête interne, [l’employeur] n’avait pas manqué à son obligation de sécurité ».

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : aux termes de l’article L. 2142-1 du code du travail, chaque organisation syndicale qui satisfait aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance et est légalement constituée depuis au moins deux ans et dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise concernée peut constituer au sein de l’entreprise ou de l’établissement une section syndicale.
Aux termes de l’article L. 2142-1-1, alinéa premier, du code du travail, chaque syndicat qui constitue une section syndicale au sein de l’entreprise ou de l’établissement d’au moins cinquante salariés peut, s’il n’est pas représentatif dans l’entreprise ou l’établissement, désigner un représentant de la section (RSS) pour le représenter au sein de l’entreprise ou de l’établissement.
Enfin, aux termes de l’article L. 2133-3 du code du travail, les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels ;
Chaque syndicat affilié à une union syndicale est- il habilité à désigner son  propre représentant de la section syndicale ?

Cass soc 26  juillet 2024 n° 23-12.823

Dans cette affaire, l’Union des syndicats gilets jaunes (l’USGJ), a désigné un salarié en qualité de représentant de section syndicale (RSS) au sein d’un des établissements de la société.

Un RSS avait antérieurement été désigné par le Syndicat Commerce Indépendant et démocratique (CSID).

Considérant que le CSID était affilié à l’USGJ, l’employeur a saisi le Tribunal judiciaire d’une demande d’annulation de cette désignation en raison de son caractère frauduleux.

Le tribunal Judiciaire déboute la société.

L’employeur forme un pourvoi devant la Cour de cassation en soutenant que :

  • la faculté reconnue aux syndicats non-représentatifs de désigner un RSS  suppose que le syndicat soit indépendant des autres syndicats et défende une ligne syndicale propre ;
  • le seul fait d’exiger les moyens nécessaires à l’exercice d’un mandat de RSS ne suffit pas à caractériser la défense d’une ligne syndicale propre ;
  • pour dire que la fraude à la loi n’était pas caractérisée,  le tribunal a considéré que le syndicat USGJ justifiait bien de sa volonté de voir son RSS nouvellement désigné doté des moyens nécessaires pour l’exercice de sa mission (le RSS avait adressé un courrier à la DDT régionale compétente  pour lui demander d’intervenir pour entrave à l’exercice du droit syndical de la part de la société) ; or, selon l’employeur ceci ne suffit pas à établir que  chacun de ces syndicats dispose d’une ligne syndicale propre.

Par décision du  10 juillet 2024, la Cour de cassation casse la décision des premiers juges.

Elle reproche au Tribunal de ne pas avoir vérifié, dans la mesure où l’un des syndicats affiliés à l’Union syndicale avait déjà désigné un RSS, que ce   RSS désigné par l’Union avait bien été désigné pour lui permettre de préparer les élections, de développer une activité syndicale indépendante de celle du SCID et ne relevait pas de la même affiliation syndicale.

Note : pour rappel,  le principe est qu’une confédération syndicale représentative et les organisations syndicales qui lui sont affiliées ne peuvent pas, ensemble, désigner un nombre supérieur de délégués syndicaux à celui prévu par la loi ou par un accord collectif plus favorable ; il en résulte :

-d’une part, que lorsque l’organisation syndicale désigne un représentant syndical surnuméraire, cette désignation ouvre, à compter de la dernière désignation litigieuse un nouveau délai de contestation de l’ensemble des désignations en cause ;

-d’autre part, qu’il appartient alors aux syndicats de justifier des dispositions statutaires déterminant le syndicat ayant qualité pour procéder aux désignations des représentants syndicaux ou à leur remplacement.

À défaut, par application de la règle chronologique, seule la désignation notifiée en premier lieu doit être validée (Cass. soc. 2 déc. 2020 n° 19-20.762).

Législation et réglementation

La CNIL a mis en ligne sur son site, le 27 août 2024, un outil de suivi des règles à l’attention des groupes détenteurs de règles d’entreprises contraignantes ou BCR (binding corporate rules).

Les BCR désignent la politique de protections de données intra-groupe qui permet aux entités liées, de transférer des données personnelles hors de l’Union européenne.

Les groupes détenteurs ont la charge de mettre en place de manière effective les obligations issues des BCR. Les entreprises concernées sont des entreprises privées multinationales, implantées dans plusieurs pays de l’Union européenne et en dehors de celle-ci.

Afin de permettre aux groupes détenteurs de BCR de vérifier leur niveau de conformité par rapport aux exigences de ces règles, la CNIL publie un outil de suivi en français et en anglais.

En savoir plus

Dans une actualité du 7 août 2024 diffusée sur son site internet, l’URSSAF rappelle que les taux modulés d’assurance chômage seront notifiés entre le 30 août et 6 septembre 2024.

Cette modulation couvre la période septembre 2023 à septembre 2024.

Ce sont ces taux qui seront à utiliser pour le calcul des contributions dues au titre des périodes d’activité courant à compter du 1er septembre 2024.

Le site de l’URSSAF rappelle par ailleurs que  le décret qui définit les règles applicables à ce dispositif ne prévoit sa prolongation que pour deux mois à ce stade, de septembre à octobre 2024, afin de laisser le temps à un nouveau Gouvernement de plein exercice de se positionner sur les suites qu’il souhaitera lui donner.

Pour mémoire, le dispositif de « bonus-malus », applicable aux entreprises de plus de 11 salariés des seuls secteurs d’activité  concernés, peut conduire à faire varier la cotisation patronale, qui est en principe de 4,05 % :

  • à la baisse pour ceux qui sont en bonus (jusqu’à 3 %)  ;
  • à la hausse pour ceux qui sont en malus (jusqu’à 5,05 %,).

Par ailleurs, un arrêté du 22 août 2024,  fixe, pour la troisième période d’emploi, les taux de séparation médians de chaque secteur, en fonction desquels seront calculés les taux de contribution d’assurance chômage modulés des employeurs »

En savoir plus

Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

On estime que 1,3 milliard de personnes souffrent d’un handicap important mais que seulement trois personnes handicapées sur dix sont actives sur le marché du travail.

L’étude montre que les personnes handicapées sont moins susceptibles de participer au marché du travail et que, lorsqu’elles y participent, elles sont confrontées à des taux de chômage plus élevés et des rémunérations moindre que les salariés valides.

Il est par ailleurs constaté que les personnes en  situation de handicap sont plus susceptibles de prendre le statut de travailleur indépendant.

Ces disparités ne semblent pas s’expliquer uniquement par des caractéristiques individuelles telles que le niveau d’éducation, l’expérience ou la catégorie professionnelle mais plutôt par d’autres facteurs et notamment l’offre limitée d’aménagements du lieu de travail dans de nombreuses entreprises, la flexibilité potentiellement plus grande qu’offre l’activité indépendante et la discrimination à l’encontre des personnes handicapées.

Dans sa dernière partie, l’étude met en lumière les cadres juridiques établis aux niveaux international et national pour promouvoir l’égalité des chances et une rémunération équitable pour les personnes handicapées.