Actu-tendance n° 717

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : L’employeur commet une faute inexcusable lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-11.793).
En cas d’agression d’un médecin par une patiente aux urgences d’un hôpital, la faute inexcusable de l’employeur peut-elle être reconnue ? 

Cass. 2e civ., 29 février 2024, n° 22-18.868

Dans la nuit du 8 au 9 janvier 2017, une salariée engagée en qualité de médecin urgentiste a été victime d’une agression de la part d’une patiente alors qu’elle se trouvait dans l’espace ambulatoire.

La patiente s’est jetée sur elle et l’a agrippée par les cheveux avant de la frapper à plusieurs reprises à coups de poing et de pied.

Cette agression a été prise en charge au titre des accidents du travail.

La victime a saisi le Tribunal judiciaire sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

La Cour d’appel a fait droit aux demandes de la salariée après avoir constaté que :

  • la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital avait été évoquée dès 2015, en raison, notamment, de l’engorgement des services générant l’insatisfaction des usagers, l’altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins ;
  • une réunion de service du 17 novembre 2011 évoquait très précisément le risque d’agression de nuit des infirmières d’accueil et d’orientation.

Elle en déduit que l’employeur ne pouvait ignorer le risque d’agression encouru par son personnel soignant, médecins compris.

L’employeur s’est pourvu en cassation soutenant que :

  • des dispositifs ont été mis en place afin de sécuriser les locaux, tels que des portes sécurisées badgées, un système de sonnerie et d’interphone à l’entrée et un interphone vidéophonique ;
  • l’hôpital avait organisé régulièrement des formations sur la gestion de la violence et les situations traumatisantes et aucun dispositif de sécurité supplémentaire n’aurait pu empêcher l’accident, dû au comportement imprévisible de la patiente.

Ces arguments ne convainquent pas la Cour de cassation, qui confirme l’arrêt d’appel.

Elle retient que la Cour d’appel, qui a fait une appréciation souveraine des faits qui lui ont été présentés, a légalement justifié sa décision. 

Note : Cette solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a tendance à reconnaître le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur à l’égard de salariés victimes d’agressions sur le lieu de travail (ex : Cass. soc., 8 juillet 2021, n° 19-25.550)

Rappel : Licencier un salarié en arrêt maladie est possible si ses absences répétées ou prolongées perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise et nécessite de le remplacer de manière définitive ( Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110  ; Cass. soc., 5 mai 2009, n° 07-45.713 ).
Néanmoins, la jurisprudence admet la possibilité pour les CCN de limiter le droit de licencier des employeurs (Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748). 
En l’espèce, l’article 16 de la convention collective nationale (CCN) des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 prévoit que les absences relevant de maladie ou d’accident, y compris les accidents du travail, font l’objet d’une indemnisation à plein tarif pendant une durée de trois mois pour un salarié ayant une à cinq années d’ancienneté et, à l’issue de cette période, le contrat de travail peut être rompu en cas de nécessité de remplacement effectif du salarié. 
La question était la suivante : que se passe-t-il en cas de violation de cette clause de garantie d’emploi par l’employeur ?

Cass. soc., 14 février 2024, n° 20-20.601

Dans cette affaire, une salariée était placée en arrêt de travail pour maladie depuis le 5 janvier 2016.

Licenciée en février 2016, elle a saisi le CPH en contestation de son licenciement. Elle soutenait que la CCN applicable prévoyait qu’un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour raison de santé, ne peut être licencié avant l’expiration d’un délai précis, de trois mois la concernant. Elle sollicitait donc à titre de dommages-intérêts, deux mois de salaire puisque l’employeur a engagé une procédure de licenciement un mois après le début de son arrêt-maladie.

La Cour d’appel a débouté la salariée de ses demandes considérant que les « dispositions conventionnelles apparaissent applicables au seul licenciement prononcé pour absences prolongées rendant nécessaire le remplacement définitif du salarié et donc inapplicables au licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle, comme en l’espèce ».

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.

Elle juge qu’il résultait des faits que « l’employeur n’avait pas respecté la période de garantie d’emploi de trois mois à laquelle la salariée pouvait prétendre ». Celle-ci était donc bien fondée en sa demande de dommages-intérêts équivalents aux deux mois de salaire qu’elle aurait perçus jusqu’au terme de la période de garantie.

Elle rappelle également que la violation d’une clause de garantie d’emploi oblige l’employeur à indemniser le salarié du solde des salaires restant dû jusqu’au terme de la période garantie.

Note : Cette décision est intéressante car elle permet de rappeler l’importance de vérifier si une garantie d’emploi est prévue par la convention collective applicable avant d’engager une procédure de licenciement.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : Une Unité Economique et Sociale (UES) est reconnue entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes par accord collectif ou par décision de justice (C. trav., art. L. 2313-8).
Le Code du travail n’apporte pas de précision sur la nature de cet accord collectif.
La Cour de cassation a déjà précisé que la reconnaissance ou la modification conventionnelle d’une UES ne relève pas du protocole d’accord préélectoral, mais d’un accord signé, aux conditions de droit commun, par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette UES (Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 13-12.712).
Cet accord de reconnaissance ou de modification d’une UES peut-il être un accord interentreprises ? 

Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-13.672

A la suite de l’acquisition d’un groupe de sociétés (groupe B) au sein d’un groupe de sociétés (groupe A), regroupées en UES, des négociations ont été engagées pour envisager l’extension de cette UES.

Seuls les syndicats représentatifs au niveau des sociétés du groupe A et du groupe B ont été invités à la table des négociations, c’est-à-dire ceux qui atteignaient le seuil de 10% des suffrages au niveau des deux groupes.

Un syndicat, pourtant représentatif au sein du groupe A, n’a pas été convié à cette négociation car il atteignait le score de 8,73 % après la prise en compte du groupe B.

Le syndicat a saisi le Tribunal judiciaire afin d’ordonner à la société France du groupe A de l’inviter à la négociation portant sur la modification du périmètre de l’UES.

La Cour d’appel a rejeté sa demande en se fondant sur les articles L. 2232-36 et L. 2232-37 du Code du travail relatifs à l’accord interentreprises.

Pour les juges, l’accord négocié entre le groupe A et le groupe B pour éventuellement étendre le périmètre de l’UES est un accord interentreprises, dans la mesure où il est négocié entre des entreprises distinctes.

Pour être convié aux négociations, un syndicat doit être représentatif à l’échelle des 2 groupes pris dans leur ensemble, en application de l’article L. 2232-37 du Code du travail. Or, le syndicat ne totalise qu’un score de 8,73 % à ce niveau.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure la décision d’appel considérant que l’accord collectif portant reconnaissance d’une UES ne constitue pas un accord interentreprises.

Les Hauts magistrats rappellent, par la même occasion, qu’il existe 2 catégories d’accord interentreprises :

  • celui qui permet la mise en place d’un comité social et économique spécifique entre des entreprises d’un même site ou d’une même zone (C. trav. art. L. 2313-9) ;
  • celui qui permet de définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises (C. trav. art. 2232-36 à L. 2232-37).

L’accord collectif portant reconnaissance d’une UES ne peut être assimilé à l’un de ces deux accords.

Une fois ce constat établi. Qui doit être invité à négocier un accord de modification du périmètre de l’UES ?

La Cour de cassation rappelle qu’une UES ne pouvant être reconnue qu’entre des entités juridiques distinctes prises dans l’ensemble de leurs établissements et de leur personnel, toutes les organisations syndicales représentatives présentes dans ces entités doivent être invitées à la négociation portant sur la reconnaissance entre elles d’une UES (Cass. soc., 10 novembre 2010, pourvoi n° 09-60.451).

Ainsi, dès lors qu’un syndicat est représentatif dans l’une des sociétés de l’UES, il doit être convié à la négociation.

Il en résulte que le syndicat, étant représentatif dans le groupe A, devait être invité à la négociation de l’accord portant sur la révision de l’UES. L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel.

Autrement dit, un accord qui reconnaît ou modifie le périmètre d’une UES est un accord collectif de droit commun, et non un accord interentreprises

Note : Pour rappel, l’accord interentreprises est conclu entre des entreprises distinctes (C. trav. art. L. 2232-36). La représentativité des organisations syndicales dans le périmètre de l’accord interentreprises est appréciée conformément aux règles définies aux articles L. 2122-1 à L. 2122-3 relatives à la représentativité syndicale au niveau de l’entreprise, par addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l’ouverture de la première réunion de négociation (C. trav. art. L. 2232-37).

Législation et réglementation

Pour mémoire, la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 portant réforme des retraites a introduit la possibilité d’utiliser le compte professionnel de prévention (C2P) pour financer un congé de reconversion.

L’arrêté du 30 décembre 2015 fixant les modalités de la demande d’utilisation des points du C2P est modifié par un arrêté du 2 février 2024 pour intégrer cette nouveauté.

L’arrêté actualise aussi la liste des mentions devant figurer dans la demande.

Un second arrêté du 2 février 2024 liste les informations devant être transmises par les commissions paritaires interprofessionnelles régionales trimestriellement à la Caisse nationale d’assurance afin de mettre à jour les droits inscrits au C2P des bénéficiaires à l’issue de leur projet de reconversion professionnelle.

Un arrêté du 7 mars 2024 modifie le calendrier initialement prévu par un arrêté du 19 janvier 2024 (voir actu tendance n° 712) pour le scrutin destiné à mesurer l’audience des organisations de travailleurs des plateformes.

Le nouveau calendrier est le suivant :

 

 

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence

Cass. 2e civ., 14 février 2024, n° 21-25.616

L’avis à tiers détenteur notifié par le comptable public chargé du recouvrement, saisit la valeur de rachat des droits résultant du contrat d’assurance-vie rachetable auquel le redevable a souscrit ou dont il est adhérent, quand bien même cette valeur serait supérieure au montant cumulé des versements effectués par le redevable.

Législation et réglementation

La DGCCRF a prononcé une amende administrative d’un montant de 125 000 € à l’encontre d’un courtier en assurance  pour non-respect des règles liées au démarchage téléphonique (absence de vérification de la conformité des fichiers de prospection commerciale avec la liste d’opposition au démarchage téléphonique (BLOCTEL), absence d’indication lors de la conversation téléphonique de la possibilité de s’inscrire gratuitement à la liste BLOCTEL).

Pour en savoir plus

À l’issue d’une enquête menée en 2023 auprès d’organismes d’assurance sur leur gestion des garanties implicites couvrant le risque cyber, l’ACPR appelle les organismes assureurs à :

  • identifier l’ensemble des couvertures cyber et, le cas échéant, clarifier les clauses contractuelles afin d’éliminer l’ambiguïté juridique ;
  • vérifier que le maintien de couvertures implicites représente un risque maîtrisé ;
  • faire une évaluation financière exhaustive des risques portés, y compris en cas d’événement systémique, par l’ensemble des garanties cyber, qu’elles soient implicites ou explicites, accessoires ou principales, optionnelles ou non.

Pour en savoir plus

La CNIL a sanctionné une filiale d’un groupe d’assurances d’une amende de 310 000 € pour avoir utilisé à des fins de prospection commerciale des données fournies par des courtiers en données, sans s’assurer que les personnes concernées avaient valablement consenti à être démarchées.

Pour en savoir plus

Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

Selon l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), environ 10% des femmes sont atteintes d’endométriose en France.

Cette maladie peut avoir des impacts dans le monde du travail aussi bien pour la salariée concernée (douleurs liées à des changements de position ou à des positions tenues dans la durée, baisse de la capacité de concentration, diminution de la capacité de travail etc.) que pour l’entreprise (désorganisation du travail due à la gestion de l’absentéisme et à la variabilité de l’état de santé de la salariée, baisse de la performance etc.).

Le 7 mars dernier, l’ANACT a publié un guide à destination des entreprises pour une meilleure prise en compte de l’endométriose au travail.

L’objectif est d’informer les managers sur les impacts de la maladie au travail et de donner des pistes d’action pour faciliter l’activité et le maintien en emploi des femmes concernées.