Actu-tendance n° 710

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : Auparavant, les juges civils et notamment la Cour de cassation considéraient irrecevable la production d’une preuve obtenue déloyalement, c’est-à-dire recueillie à l’insu d’une personne ou grâce à une manœuvre ou un stratagème (Cass. soc., 7 janvier 2011, n° 09-14.667). Seul, le juge pénal faisait exception.
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en admettant, depuis un arrêt du 22 décembre 2023, la production de preuves déloyales devant les juridictions civiles (Cass. Soc., 22 décembre 2023, n° 20-20.648).
La Cour admet la recevabilité d’une telle preuve, à la double condition :
  • d’une part, que cette production soit indispensable à son exercice, à savoir la preuve doit être la seule possible pour établir la vérité et
  • d’autre part, que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Un salarié peut-il produire en justice un enregistrement clandestin d’un entretien avec un membre du CHSCT pour prouver un harcèlement moral alors que d’autres preuves existent ?

Cass. soc., 17 janvier 2024, n° 22-17.474

Un salarié a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant un harcèlement moral de son employeur.

Une enquête sur l’existence du harcèlement moral a été menée dans l’entreprise par les membres du CHSCT (instance existante à l’époque des faits, et remplacée désormais par le CSE), à laquelle le médecin du travail et l’inspecteur du travail avaient participé.

Pour prouver devant les juges l’existence du harcèlement moral, le salarié avait produit un enregistrement clandestin de l’entretien qu’il avait eu avec les membres du CHSCT désignés pour réaliser l’enquête.

Constituant une preuve déloyale, les juges d’appel l’ont déclarée irrecevable au motif qu’elle « n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié ».

Saisie du litige, la Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

En l’espèce, la Cour a considéré que la Cour d’appel avait légalement justifié sa décision dans la mesure où :

  • d’une part, l’enquête sur le harcèlement moral menée par le CHSCT avait associé le médecin du travail et l’inspecteur du travail et le constat établi par le CHSCT dans son rapport d’enquête avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail ;
  • d’autre part, le salarié avait produit d’autres éléments de preuve laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Il en résulte que la production de l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT n’était pas indispensable au soutien de la demande du salarié. C’est à bon droit que cette preuve a été écartée des débats.

Note : Il s’agit d’une des premières applications de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 22 décembre 2023, n° 20-20.648). Le salarié et l’employeur peuvent produire en justice des preuves obtenues de manière déloyale. Leur admission ne sera pas pour autant automatique, il reviendra aux juges de vérifier si cette preuve est indispensable et si elle porte une atteinte aux autres droits qui soit proportionnée au but poursuivi.

Rappel : L’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat (C. trav, art. L. 3243-3). 
La mention sur les bulletins de paie de jours de RTT pris suffit-elle à prouver que le salarié a effectivement pris ses JRTT ?

Cass. soc., 10 janvier 2024, n° 22-17.917

Un salarié, embauché en 2008, comme directeur du bureau de représentation au sein d’une banque a pris acte de la rupture de son contrat de travail en 2017, reprochant notamment à son employeur le non-paiement d’heures supplémentaires.

Le salarié sollicitait également un rappel de salaires lié à 76,89 jours de RTT.

La Cour d’appel a, pour débouter le salarié de cette dernière demande, relevé que :

  • si le bulletin de paie de juillet 2016 mentionnait un nombre de RTT de 76,89 jours, ce solde a été ramené à zéro sur le bulletin de paie d’août 2016,
  • la mention « pris » apparaissait bien sur le bulletin de paie de juillet.

Saisie d’un pourvoi formé par le salarié, la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement des juges du fond et rappelle sur le fondement de :

  • l’article 1353 du Code civil, que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ;
  • l’article L. 3243-3 du Code du travail, que l’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paye par le travailleur ne peut valoir, de sa part, renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en vertu de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat.

La Cour de cassation en conclut que « la mention sur les bulletins de paie des jours pris au titre de la réduction du temps de travail n’a qu’une valeur informative, la charge de la preuve de leur octroi effectif incombant, en cas de contestation, à l’employeur ».

Note : Lorsqu’un salarié réclame en justice le paiement de JRTT non pris, l’employeur doit prouver que le salarié a effectivement pris ses JRTT, même s’il a délivré le bulletin de paie le mentionnant.

Plus généralement, les mentions indiquées sur le bulletin de salaire ne suffisent pas à démontrer que le salaire a bien été payé ou que les congés payés ou JRTT ont été effectivement pris par le salarié. L’employeur doit être en mesure, notamment à propos de la prise de congés ou JRTT, de rapporter la preuve de leur prise effective par exemple en établissant et en conservant la demande de prise des JRTT.

Rappel : Les dispositions des conventions collectives nationales (CCN) et accords collectifs doivent être interprétées strictement.
Ainsi, la jurisprudence admet la possibilité pour les CCN de limiter le droit de licencier des employeurs (Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748).
La question qui s’est posée en l’espèce était de savoir si un employeur peut prononcer un licenciement pour insuffisance professionnelle alors que ce motif ne figure pas dans la liste des motifs limitativement prévus par la CCN. 

Cass. soc., 10 janvier 2024, n° 22-19.857

Une responsable d’unité de production d’une entreprise relevant de la CCN des réseaux de transports publics urbains de voyageurs a été licenciée pour insuffisance professionnelle en janvier 2018.

Elle a saisi le Conseil de prud‘hommes en contestation de son licenciement en soutenant que celui-ci était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En effet, l’article 17 de la CCN précisait que « les agents titulaires ne peuvent être licenciés que pour faute grave et sur avis motivé du conseil de discipline ». 

La CCN énumérait également au titre des motifs de licenciements : le motif économique, l’inaptitude, la rupture par suite de réforme et l’invalidité.

La salariée soutenait que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où celui-ci a été prononcé en violation de l’article 17 de la CCN, qui ne prévoit pas l’insuffisance professionnelle au titre des motifs de licenciement.

La Cour d’appel a fait droit à ses demandes considérant que la CCN n’envisageait pas de rupture du contrat de travail pour une insuffisance professionnelle.

L’employeur s’est pourvu en cassation mais n’obtint pas gain de cause.

La Cour de cassation déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse après avoir constaté que l’insuffisance professionnelle ne faisait pas partie des motifs énoncés par les dispositions conventionnelles applicables.

Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence : lorsque la Convention collective impose une procédure spécifique en matière disciplinaire (ex. intervention d’une commission disciplinaire), le respect de cette procédure s’impose   ; à défaut,  le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 26 septembre 2012, n°11-18.783).

Précisons que si les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement de l’employeur à des causes qu’ils déterminent, le licenciement prononcé pour un motif autre que ceux conventionnellement prévus n’est pas nul mais seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l’absence de dispositions conventionnelles prévoyant expressément la nullité dans une telle hypothèse.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : L‘article L. 2314-30 du Code du travail prévoit que pour chaque collège électoral, les listes de candidats aux élections professionnelles qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la proportion de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale.
Néanmoins, la Cour de cassation a jugé que les dispositions de cet article s’appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour (pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats) et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes mais ne s’appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles (Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 19-60.222 ; Cass. soc., 5 janvier 2022, n° 20-17.227).
L‘article L. 2314-30 du Code du travail, tel qu’interprété par la Cour de cassation, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à la liberté syndicale, au droit à l’éligibilité aux institutions représentatives du personnel et au principe d’égalité, en ce qu’il interdit aux seules organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles, lorsqu’au moins deux sièges sont à pourvoir au sein d’un collège électoral, une liste comportant un candidat unique

Cass. soc. QPC, 17 janv. 2024, n° 23-40.014 

En vue du renouvellement de la délégation du personnel au CSE, une société a conclu un protocole préélectoral en mars 2023 dont il résultait que le collège employés et ouvriers était composé de 14,14 % de femmes et de 85,86 % d’hommes, 5 sièges étant à pourvoir.

Le quorum n’ayant pas été atteint lors du premier tour, en vue du second tour, le syndicat FO a présenté dans le collège « employés et ouvriers » une liste incomplète (tant pour les titulaires que pour les suppléants) comportant une seule candidature féminine, laquelle a été déclarée élue en qualité de titulaire.

Un syndicat a saisi le tribunal judiciaire d’une demande d’annulation de l’élection de l’élue, au motif que, s’agissant d’une liste présentée par une organisation syndicale, la liste sur laquelle elle figurait aurait dû comporter au moins un représentant de chaque sexe.

La société a sollicité la transmission d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

La Cour de cassation a jugé que « la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ».

Elle ajoute que la QPC ne précise pas en quoi les dispositions de l’article L. 2314-30 du Code du travail, telles qu’interprétées de façon constante par la Cour de cassation (en ce qu’elles ne sont pas applicables aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles) affecteraient en elles-mêmes la liberté syndicale ou le principe de participation des travailleurs.

Elle en déduit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

Législation et réglementation

Les prochaines élections des représentants des travailleurs des plateformes se dérouleront du 22 au 30 mai 2024.

Un arrêté du 8 janvier 2024, publié au Journal Officiel du 12 janvier 2024, vient préciser les règles de traitement automatisé de données à caractère personnel aux fins de préparer ces élections. Il abroge ainsi le précédent arrêté du 27 décembre 2021.

L’arrêté précise la liste des données à caractère personnel des travailleurs indépendants à enregistrer dans le traitement automatisé. Ces données doivent être transmises à l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) par les plateformes dans un délai maximal de 14 jours calendaires à compter du 1er jour du 4ème  mois précédant l’organisation du scrutin.

Il précise en outre :

  • les conditions dans lesquelles les travailleurs peuvent exercer leurs droits d’accès et de rectification auprès de l’ARPE ;
  • et les modalités de déroulement du vote électronique.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence

Décision du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2024

L’article L. 3326-1 du Code du travail qui prévoit une interdiction de contester le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes, à l’occasion d’un litige sur la participation aux résultats de l’entreprise, est déclaré conforme à la Constitution.

Selon le Conseil constitutionnel, ce texte ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, eu égard à son objet d’éviter que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale soient remis en cause par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt et à la possibilité pour l’administration fiscale, éventuellement sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, de contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise.

Pour en savoir plus

Législation et réglementation

Le Gouvernement annonce une revalorisation des montants des franchises et des participations forfaitaires pour certains actes :

  • la franchise sur les boîtes de médicaments et les actes paramédicaux passera à 1 € et celle sur les transports sanitaires à 4€ ;
  • la participation forfaitaire appliquée aux actes et consultations réalisés par un médecin, et aux examens et analyses de biologie médicale, passera à 2 € ;
  • le plafond annuel fixé à 50 € sera maintenu.

L’ensemble de ces mesures devrait entrer en vigueur entre fin mars et début juin.

Pour en savoir plus

L’ACPR a fixé quatre grands axes de travail pour l’année 2024 :

  • maintenir et renforcer la sécurité et la solidité des secteurs de la banque et de l’assurance face aux risques macroéconomiques, financiers et géopolitiques ;
  • remédier aux vulnérabilités structurelles et être proactif dans l’identification, la prévention et la supervision des risques nouveaux et en développement ;
  • identifier et remédier aux risques d’inconduite et maintenir les dispositifs LCB-FT à un niveau de haute qualité ;
  • poursuivre la modernisation et accroître l’efficacité de l’ACPR et contribuer au plan stratégique de la Banque de France.

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Le CCSF a adopté une recommandation visant à la mise en place d’un financement de la dépendance selon trois axes :

  • la mise en place d’un contrat d’assurance obligatoire, le Contrat Dépendance Solidaire, automatiquement adossé aux contrats complémentaire santé responsables pour permettre une large mutualisation (96% des foyers français disposant d’une complémentaire santé). Le contrat prévoirait une grille tarifaire et des prestations identiques pour l’ensemble des assurés, avec une portabilité des droits ;
  • une gouvernance collégiale du contrat par les partenaires sociaux, des représentants d’associations, des représentants de l’État et des professionnels de l’assurance ;
  • un pool d’organismes assureurs, opérateurs industriels, assurant la bonne exécution de l’ensemble du dispositif.

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Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

Le 11 janvier 2024, l’ADEME a publié le résultat d’une étude menée en 2023 sur la mobilisation écologique des salariés.

Cette étude répond à la question suivante : comment des dispositifs externes à l’entreprise sont-ils en capacité de mobiliser les salariés sur l’écologie et de produire des changements dans les organisations ?

Elle rappelle que « le succès de la mobilisation écologique dépend d’une part des caractéristiques de l’entreprise et d’autre part de la trajectoire de développement propre à chaque dispositif » mis en place.

Elle met en lumière les freins à cette mobilisation :

  • seule une minorité d’entreprises, et des salariés appartenant à certaines catégories sont concernés par la mobilisation (les cadres dans des grandes entreprises) ;
  • les initiatives des transformations des salariés sont confrontées à l’inertie de l’entreprise vis-à-vis du changement, qui n’est pas propre aux sujets écologiques ;
  • la mobilisation écologique des salariés se heurte au plafond de verre du modèle d’activité de l’entreprise qui reste le pré-carré des dirigeants.

Elle propose :

  • une typologie des dispositifs de mobilisation ;
  • des modalités d’insertion des dispositifs dans les entreprises.

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