Loi Evin : d’heureuses précisions jurisprudentielles en cas de succession de contrats de prévoyance collective Loi Evin : d’heureuses précisions jurisprudentielles en cas de succession de contrats de prévoyance collective
Par Laurence Chrébor, avocate associée et Louise Gatier, avocate collaboratrice. Dans deux récentes décisions, la Cour de cassation a précisé les contours de la loi n°89-1009 du 31 décembre 1989 dite « Loi Evin », en cas de succession de contrats de prévoyance collective.
Ces décisions dépassent les conflits entre organismes assureurs successifs de telles opérations : elles ont une incidence directe sur le coût des dispositifs de prévoyance collective pour les employeurs et leurs salariés. En effet, les contrats auxquels ils sont adossés génèrent à la charge des organismes assureurs une obligation de provisionner leurs engagements en vue de consolider leur solvabilité sur le long terme, quel que soit le sort du contrat d’assurance. Mais au-delà de la seule écriture comptable, ils sont tenus de disposer en contrepartie d’actifs équivalents.
Schématiquement, les provisions étant financées par les cotisations et les résultats du contrat, toute obligation supplémentaire se reporte sur le montant des cotisations ou primes à la charge des employeurs et des salariés.
En matière de prévoyance collective des salariés, la « loi Evin » limitant considérablement la possibilité pour les organismes assureurs de sélectionner les risques, et leur imposant de poursuivre le paiement des prestations à exécution successive quel que soit le sort du contrat d’assurance, ont donné lieu à un abondant contentieux. L’année 2023 a apporté sa pierre à l’édifice.
Il est important de connaître ces règles et leurs traductions dans les contrats et les comptes de résultats, pour piloter efficacement les régimes de prévoyance et les contrats d’assurance sur lesquels ils sont adossés.
- Les principes issus de la « loi Evin »
a) imitation stricte des effets de la sélection médicale (article 2)
Lors de la mise en place du contrat, l’organisme assureur peut, afin de déterminer l’assurabilité du groupe et le coût de la couverture notamment s’il est de taille réduite, poser des questions d’ordre médical ou du moins connaître les salariés en arrêt de travail et en invalidité, ou l’existence de rentes de conjoint ou d’éducation en cours de service. En revanche, lorsqu’il accepte un groupe, il doit prendre en charge les suites des états pathologiques antérieurs à la prise d’effet du contrat d’assurance. Aussi, lors de la tarification d’un nouveau contrat, les organismes assureurs appliquent des majorations dites « de reprise des sinistres en cours », qui sont mises à la charge des employeurs et des salariés. Cela peut, dans certaines hypothèses, rendre le coût de la couverture prohibitif.
b) Maintien des prestations après la résiliation du contrat de prévoyance (article 7)
L’organisme assureur est tenu, en cas de résiliation du contrat collectif, de maintenir les « prestations immédiates ou différées, acquises ou nées » à la date de la résiliation du contrat collectif. Ainsi, un salarié en arrêt de travail à la date de la résiliation devra, sauf cas particuliers, continuer à percevoir des indemnités journalières complémentaires au titre du contrat résilié, pendant toute la durée de son arrêt de travail puis, en cas d’aggravation de son état, conduisant à son classement en invalidité ou en incapacité permanente, jusqu’à la cessation de son droit contractuel à prestations.
c) Maintien des garanties décès
Depuis le 1er janvier 2002, à la seule condition que les salariés soient également couverts au titre des risques arrêt de travail et invalidité, l’organisme assureur du risque décès est tenu d’organiser le maintien du bénéfice des garanties en cas de décès aux salariés en arrêt de travail ou en invalidité, même après la résiliation du contrat d’assurance de groupe.
2. Evolutions jurisprudentielles
La portée de ces obligations a progressivement été dessinée par la jurisprudence, qui a jugé que l’invalidité faisant suite à un arrêt de travail et trouvant son origine dans la même pathologie constituait au regard de cette loi un seul et même sinistre, devant être indemnisé par l’organisme assureur dont le contrat était en cours lors de sa survenance[1].
De même, un arrêt de la Cour de cassation est à l’origine de l’ajout de l’article 7-1 dans la « loi Evin »[2]. En effet, la Haute juridiction avait dû préciser que la prestation décès ne constituait pas une prestation différée au sens de l’article 7, que l’organisme assureur résilié aurait été tenu de maintenir après la résiliation de son contrat de prévoyance, au profit d’un salarié en arrêt de travail à cette date[3]. Elle vient de préciser les contours de cette obligation.
a) Articulation des contrats successifs
Restait posée une question essentielle, de l’articulation entre l’article 2 et l’article 7 que la Cour de cassation vient de trancher dans un arrêt du 25 mai 2023[4] : l’ancien assureur restant tenu de poursuivre la prise en charge des arrêts de travail et invalidités survenus avant la résiliation de son contrat de prévoyance en application de l’article 7, son successeur doit-il couvrir les salariés en incapacité de travail ou en invalidité lors de la reprise du groupe ?
Dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a répondu par la négative, déclarant la primauté de l’article 7 sur l’article 2, pour déterminer l’organisme assureur débiteur des prestations en cas de succession de contrats d’assurance.
Dans cette espèce, un salarié couvert par plusieurs contrats de prévoyance collective successifs souscrits par ses différents employeurs, a été classé en invalidité de première catégorie sous l’empire du premier contrat, puis deuxième et enfin troisième catégorie dans le cadre de l’exécution du troisième contrat. Considérant que la complémentarité des articles 2 et 7 l’autorisaient à choisir d’activer le contrat de son choix, il a sollicité le versement des prestations relatives à la reconnaissance de son invalidité de troisième catégorie auprès de son dernier organisme assureur qui lui a opposé un refus.
Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour de cassation a confirmé que la prestation pour invalidité de troisième catégorie devait être prise en charge au titre du contrat d’assurance qui était en vigueur à la date de l’arrêt de travail initial, prescrit pour la pathologie à l’origine de son invalidité. La rente d’invalidité réclamée devait donc être considérée comme une prestation différée du premier contrat.
Les termes de la décision soulignent la volonté pédagogique de la Haute juridiction :
« Si, par application des dispositions d’ordre public du premier des textes précités, l’organisme qui délivre sa garantie ne peut opérer une sélection médicale en refusant d’assurer une personne du groupe ou de prendre en charge des risques dont la réalisation trouvait son origine dans l’état de santé antérieur de l’assuré, […) en cas de succession de contrats de prévoyance, il appartient à l’organisme, dont le contrat était en cours à la date où s’est produit l’événement ouvrant droit aux prestations, de verser celles-ci, qu’elles soient immédiates ou différées. »
Par cette décision qu’elle justifie également par le principe de la force obligatoire des contrats en citant les jurisprudences de 2008 sur le maintien des prestations en cours au-delà de la cessation du contrat de travail[5], la Cour de cassation a très clairement fait primer le principe de maintien des prestations au-delà de la résiliation du contrat d’assurance, sur celui de la délivrance d’une garantie sans restriction liée à l’antériorité d’une pathologie.
Elle insiste également sur l’importance de la datation de l’origine de la pathologie dont la charge de la preuve appartient en principe, au salarié-assuré. Toutefois, en pratique, comme dans la présente espèce, une expertise amiable est souvent diligentée par les organismes assureurs pour établir la date à laquelle l’évènement à l’origine de l’invalidité est survenu et ainsi déterminer au titre de quel contrat d’assurance les prestations sont dues.
b) Maintien de la garantie décès en cas de pluralité de contrats d’assurances
Dans un arrêt du 21 septembre 2023 (n°21-22.197), la Cour de cassation a explicité l’application de l’article 7-1, lorsque les garanties arrêt de travail et/ou invalidité sont souscrites auprès d’un ou plusieurs organismes assureurs différents de celui couvrant le risque décès. La solution était prévisible, le texte lui-même édictant le principe applicable que les garanties soient assurées par un ou plusieurs contrats.
Dans cette affaire, l’employeur avait souscrit en premier lieu deux contrats d’assurance auprès de deux organismes assureurs distincts, couvrant d’une part les risques décès et perte totale et irréversible d’autonomie et d’autre part les risques incapacité de travail et invalidité. L’employeur a résilié le contrat d’assurance décès pour en souscrire un nouveau auprès d’un autre organisme assureur. Or, un salarié placé en arrêt de travail sous l’empire du premier contrat décès, est ensuite décédé après la résiliation de celui-ci. L’organisme assureur de la garantie décès résiliée soutenait que son successeur au titre de la garantie décès était seul tenu de verser les prestations dues en cas de décès. Il justifiait son approche par le fait qu’il n’avait jamais assuré la garantie arrêt de travail.
La Cour de cassation fait prévaloir une application littérale du texte et consacre l’autonomie du principe de maintien de la garantie décès en cas de résiliation du contrat d’assurance, dès lors que les salariés étaient couverts, par ailleurs, pour les risques arrêt de travail et invalidité :
« 7. Il en résulte [de l’article 7-1], d’une part, que la garantie décès ne peut être suspendue en cas d’incapacité de travail ou d’invalidité du salarié, d’autre part, que la résiliation du contrat collectif de prévoyance est sans effet sur le maintien de cette garantie lorsque le décès survient alors que le salarié se trouvait en incapacité de travail ou en invalidité.
- Le maintien de la garantie décès, qui présente un caractère autonome, s’impose à l’assureur, y compris lorsque les garanties incapacité de travail et invalidité ont été souscrites par l’employeur auprès d’un autre assureur. »
En d’autres termes, le maintien de la garantie décès incombe à l’organisme assureur du risque décès sous lequel le salarié a été placé en arrêt de travail ou en invalidité, même s’il ne couvrait pas les risques incapacité de travail et invalidité. L’application de ce texte n’est en effet, soumise qu’à trois conditions :
- les salariés doivent être couverts pour les risques décès, incapacité de travail et invalidité, par un seul ou plusieurs contrats,
- le maintien s’applique aux salariés en arrêt de travail ou en invalidité, y compris en cas de résiliation de la couverture décès, et qui le restent jusqu’à la date du décès,
- le texte n’exigeant pas qu’il soient pris en charge par le régime de prévoyance.
***
Il résulte de ces deux décisions qu’en cas de succession de contrats de prévoyance collective, même si l’organisme assureur qui délivre sa garantie ne peut opérer de sélection médicale à la souscription du contrat, l’organisme assureur dont le contrat est résilié doit :
- poursuivre le versement des prestations en cours de service à la date de résiliation du contrat,
- prendre en charge les prestations différées en découlant, et notamment le classement en invalidité postérieur du salarié ;
- maintenir la couverture décès du salarié-assuré qui était en incapacité ou en invalidité à la date de la résiliation de son contrat, même s’il n’a versé aucune prestation avant celle-ci ou si le salarié était indemnisé par un autre organisme assureur.
Ces arrêts, auxquels la Cour de cassation a entendu conférer une large portée en décidant leur publication au bulletin, ne se limitent pas à la détermination du partage des obligations entre organismes assureurs successifs : en augmentant les engagements des organismes assureurs, ils ont une incidence directe sur le coût des garanties de prévoyance collective.
Ils devraient mettre un terme à la pratique actuelle consistant, pour l’organisme assureur qui succède à un autre pour les mêmes risques, à solliciter de la part de l’employeur la déclaration des arrêts de travail et des invalidités des salariés en cours à la date de la résiliation, afin de calculer le coût des prestations qu’il pourrait être amené à verser au titre de ces « sinistres en cours ». Ce calcul n’apparaît plus nécessaire puisqu’il est désormais clair que l’organisme assureur résilié reste tenu vis-à-vis de ces salariés.
On doit ajouter à ces arrêts une solution plus ancienne, qui vient conforter la situation des salariés en arrêt de travail ou en invalidité lors de la résiliation d’un contrat collectif : lors de l’entrée en vigueur de la « loi Evin », la doctrine a considéré que l’article 7 imposait à l’assureur résilié de maintenir les prestations à exécution successive (indemnités journalières, rentes d’invalidité, de conjoint ou d’éducation) à leur niveau atteint, son successeur devant assumer la charge de leurs revalorisations. Même si la portée de cette décision est relativisée par les organismes assureurs, on notera que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt également publié au bulletin, que l’organisme assureur résilié doit maintenir les prestations en cours de service au profit des salariés en arrêt de travail ou en invalidité, ainsi que les revalorisations de ces prestations (Civ. 2°, 16 juillet 2020, n° 18-14.351). Cette décision devrait également mettre un terme à la pratique de la tarification par le nouvel organisme assureur, du coût des revalorisations à venir sur les prestations servies par le précédent assureur.
[1] Cass. Soc. 16 janvier 2007, n°05-43.434, Cass. Civ.2ème, 17 avril 2008, n°06-45.137, Cass. Civ. 2ème, 5 juin 2008 n°07-15.090
[2] Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001
[3] Civ. 1°, 22 mai 2001, n° 98-17.935
[4] Cass. Civ. 2°, 23 mai 2023, n°21-22.158
[5] Cass.2ème Civ. 17 avril 2008, 07-12.064 et 07-12.088