Licenciement concomitant à la dénonciation d’un harcèlement : de nouvelles précisions bienvenues sur le régime probatoire

Dans un arrêt du 18 octobre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que le licenciement concomitant à la dénonciation d’un harcèlement n’est pas automatiquement  frappé de nullité. Par ailleurs, la haute juridiction précise le régime probatoire applicable en l’absence de référence à la dénonciation du harcèlement dans la lettre de licenciement. 
Chloé Bouchez & Paul Coulaud décryptent cette décision venant clarifier le régime probatoire de la nullité du licenciement prononcé concomitamment à la dénonciation d’un harcèlement.

La référence ou non à la dénonciation de faits de harcèlement dans la lettre de licenciement : un élément déterminant

Il résulte de la combinaison des articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 1153-2, L. 1153-4 et L. 1121-2 du Code du travail que le licenciement motivé par la dénonciation de bonne foi de faits de harcèlement moral ou sexuel est frappé de nullité.   

Par ailleurs, il a été plusieurs fois jugé par la Cour de cassation que le simple fait que la lettre de licenciement fasse référence à la dénonciation de faits de harcèlement, suffit à emporter la nullité du licenciement, dès lors que la mauvaise foi du salarié n’est pas démontrée (Cass. soc., 25 septembre 2012, n°11-18.352 ; Cass. soc., 12 juin 2014, n°12-28.944).

En l’espèce, la salariée avait été licenciée pour faute grave par courrier du 18 novembre 2019, à la suite de plusieurs départs prématurés sans justification, de refus d’exécuter des tâches relevant de ses fonctions et de divers actes d’insubordination.

Alors que la lettre de licenciement ne faisait pas référence à la dénonciation de faits de harcèlement, la salariée avait saisi le juge prud’homal afin de solliciter la nullité de la rupture de son contrat travail, soutenant que son congédiement était une mesure de rétorsion à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement sexuel.

La cour d’appel d’Amiens avait donné raison à la salariée en retenant que son licenciement était « concomitant » à la dénonciation par cette dernière de faits de harcèlement sexuel et que cette dénonciation avait « manifestement pesé sur la décision de l’employeur » (CA Amiens, 5e chambre, 11 mai 2022, n°21/03533).  

Or, dans son arrêt du 18 octobre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et vient préciser que le licenciement concomitant à la dénonciation d’un harcèlement n’est pas automatiquement nul dès lors que la lettre de licenciement ne fait pas référence à ladite dénonciation.

La Cour précise en effet qu’en l’absence de référence à la dénonciation du harcèlement dans la lettre de licenciement, la nullité de la rupture ne peut résulter que de l’existence d’un lien de causalité entre la dénonciation et le licenciement.

Le régime probatoire applicable en l’absence de référence à la dénonciation du harcèlement dans la lettre de licenciement

Dans son arrêt du 18 octobre 2023, la Cour de cassation établit le régime probatoire applicable pour la caractérisation du lien entre la dénonciation du harcèlement et le licenciement, en distinguant deux hypothèses :

  • Les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement => le salarié doit prouver que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel ;
  • Les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement => l’employeur doit prouver l’absence de lien de causalité entre la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement.

Selon la Cour de cassation, lorsque la lettre de licenciement ne fait pas référence à la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement, les juges du fond doivent d’abord apprécier le bien-fondé du licenciement afin ensuite de déterminer sur quelle partie repose la charge de la preuve.

La preuve de l’existence ou non d’un lien de causalité entre la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement dépend donc du caractère justifié ou non du licenciement. 

A travers cette décision, la Cour de cassation fait en effet le choix d’adosser la charge de la preuve du lien entre la dénonciation du harcèlement et le licenciement à la question du bien-fondé de la rupture du contrat de travail.

La position de la haute juridiction est intéressante dans la mesure où lorsque les faits rapportés dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail, il paraît légitime que la charge de la preuve de l’existence d’un lien entre la dénonciation de faits de harcèlement et le licenciement repose sur le salarié.

En effet, le caractère justifié du licenciement rend nécessairement moins plausible l’existence d’un lien de causalité entre la dénonciation de faits de harcèlement et le licenciement. 

Les implications pratiques de cette position

Cet arrêt a d’abord pour effet de rappeler aux employeurs la nécessité d’être particulièrement vigilants quant à la rédaction de la lettre de licenciement lorsque celui-ci survient concomitamment à la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement.

En effet, comme rappelé précédemment, le simple fait que la lettre de licenciement mentionne une dénonciation de harcèlement moral ou sexuel suffit à entrainer la nullité de plein droit du licenciement.

Par ailleurs, à travers cette décision, la Cour de cassation établit une marche à suivre à l’attention des juges du fond lorsque la lettre de licenciement ne fait pas référence à la dénonciation de faits de harcèlement.

Elle les invite en effet à, dans un premier temps, s’interroger sur le bien-fondé du licenciement, pour dans un second temps, déterminer sur quelle partie pèse la charge de la preuve de l’existence ou non d’un lien de causalité entre la dénonciation de faits de harcèlement et le licenciement.

Au cas d’espèce, l’affaire est renvoyée devant une cour d’appel de renvoi et il appartiendra à la juridiction du fond d’appliquer la méthodologie énoncée par la haute juridiction.  

Cour de cassation, chambre sociale, 18 octobre 2023, n°22618.678.

Chloé Bouchez
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.