Le big bang de la Cour de cassation en matière de congés payés Le big bang de la Cour de cassation en matière de congés payés

Dans plusieurs arrêts rendus le 13 septembre 2023, la Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit de l’Union Européenne en matière de congés payés (Cass. Soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340 à 22-17.342 ; 22-17.638 ; 22-10.529, 22-11.106 et n° 22-14.043).
La Cour considère que :
  • les salariés en arrêt maladie font l’acquisition de droits à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ; 
  • en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congés payés n’est pas limité à la première année de l’arrêt de travail ;
  • la prescription ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer ses droits à congés payés en temps utile;
  • le salarié peut reporter à la fin du congé parental d’éducation des congés payés qu’il avait acquis avant son départ et n’avait pas pris.
Les compteurs de congés payés de vos salariés et, en conséquence, les provisions comptables en la matière devraient donc être revisités en considération de ces arrêts.

Droits à congés payés des salariés en arrêt maladie d’origine non professionnelle (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340)

Dans cette affaire, trois salariés en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle saisissent la juridiction prud’homale de demandes de rappels de congés payés au motif qu’en vertu du droit de l’UE ils auraient continué à acquérir des droits à congés pendant la période de suspension de leur contrat de travail.

Selon le droit de l’UE, lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, situation indépendante de sa volonté, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congés payés (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

En revanche, selon le droit français, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle n’acquiert pas de jours de congés payés pendant le temps de son arrêt de travail. En effet, les dispositions du 5° de l’article L. 3141-5 du Code du travail n’assimilent à une période de travail effectif pour l’acquisition de droits à congés que « les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ».

La Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, décide d’écarter les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. Elle considère que les salariés avaient acquis des droits à congés payés pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.

Autrement dit, les salariés placés en arrêt de travail pour maladie ou accident de nature professionnelle ou non professionnelle acquièrent des droits à congés payés pendant cette période.

Les compteurs de congés payés de ces salariés devraient donc être revisités en application de cet arrêt dans la limite de la prescription légale.

L’acquisition de droits à congés payés n’est pas limitée à un an en cas d’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (Cass. Soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638)

Dans la deuxième affaire, un conducteur d’une société de transport est en arrêt de travail en raison d’un accident du travail du 21 février 2014 au 8 octobre 2015. Déclaré inapte par le médecin du travail, il a été licencié le 19 novembre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Il demande en justice que ses droits à congés payés soient calculés en incluant toute la période au cours de laquelle il se trouvait en arrêt de travail conformément au droit de l’UE.

Selon le droit français, l’acquisition de droit à congés payés est limitée à une année de suspension du contrat de travail en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle (art. L. 3141-5 du Code du travail). La Cour d’appel applique cette règle et limite le montant de l’indemnité compensatrice de congés payés du salarié en conséquence.

Le salarié se pourvoit en cassation sur le fondement du droit de l’UE, qui prévoit que le salarié victime d’un accident de travail peut bénéficier de droit à congés payés couvrant l’intégralité de son arrêt de travail et non dans la limite d’un an.

La Cour de cassation censure la décision et écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’UE. La Cour juge qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an.

Les compteurs de congés payés des salariés ayant été en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle d’au moins un an devrait être revisités en application de cet arrêt dans la limite de la prescription légale.

Report des congés payés acquis à la fin du congé parental (Cass. Soc., 13 septembre 2023, n° 22-14.043).

Dans cette affaire, le contrat de travail d’une salariée est suspendu pour cause de maladie, puis de congé pathologique et prénatal du 1er au 19 août 2018. La salariée a ensuite été en congé de maternité du 20 août 2018 au 16 février 2019, puis en congé parental à compter du 17 février 2019.

A la suite de la rupture de son contrat de travail, la salariée a saisi la justice pour solliciter le paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés correspondant aux 43 jours qu’elle n’a pas pris avant son congé parental.

Sa demande a été rejetée. Le jugement retient que les congés payés acquis par la salariée avant le début de son congé parental ne pouvaient être reportés à l’issue de ce congé au motif que la salariée n’avait pas été empêchée de les prendre à l’issue de la période de référence, ayant elle-même choisi sa date de départ en congé parental. 

En effet, auparavant, la Cour considérait que :

  • la décision du salarié de bénéficier d’un congé parental d’éducation s’impose à l’employeur,
  • il en résulte que l’intéressé a lui-même rendu impossible l’exercice de son droit à congés payés
  • il ne peut, dès lors, prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés non pris, ces derniers étant perdus (Soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.314, Bull. V, n° 32).

La Cour admettait, toutefois, une exception lorsque l’employeur avait mis le salarié dans l’impossibilité de prendre le solde de ses congés payés après son congé de maternité et avant son départ en congé parental (Cass. Soc., 2 juin 2004, n° 02-42.405).

Bien entendu, la mise en place d’un CET aurait également pu permettre d’éviter la perte de tout ou partie des droits à congés payés.

Par l’arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation se met en conformité avec le droit de l’Union Européenne.

En effet, aux termes de la clause 5, point 2, de l’accord-cadre révisé sur le congé parental figurant à l’annexe de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus en l’état jusqu’à la fin du congé parental et s’appliquent à l’issue de ce congé.

La cour censure le jugement et considère « qu’il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail ».

Par conséquent, elle condamne la société a versé à la salariée une indemnité compensatrice de congés payés de 2 722,04€ bruts, correspondant aux 43 jours de congés payés acquis lors de la prise de son congé parental.

Cette jurisprudence devrait conduire à réviser les droits à congés payés des intéressés et les provisions comptables afférentes dans la limite de la prescription légale.

Point de départ du délai de prescription du droit à l’indemnité de congés payés (Cass. Soc., 13 septembre 2023, n°22-10.529 et 22-11.106)

Dans cette dernière affaire, une enseignante a réalisé une prestation de travail auprès d’un institut de formation pendant plus de dix ans. Elle a obtenu en justice que cette relation contractuelle soit requalifiée de contrat de travail. Elle demande, en outre, à être indemnisée au titre des congés payés qu’elle n’a pas pris pendant ces dix années.

La Cour d’appel estime que l’enseignante doit être indemnisée, mais uniquement sur la base des trois années ayant précédé la reconnaissance par la justice de son contrat de travail, le reste de ses droits à congés payés étant prescrit.

Dans cette affaire, se pose la question du point de départ du délai de prescription dont dispose le salarié pour demander une indemnité de congés payés.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure la décision d’appel.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés, qui est de nature salariale, doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271).

Toutefois, en application du droit de l’UE, la Cour de cassation considère que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés (CJUE, 22 septembre 2022, LB, C-120/21).

En l’espèce, l’enseignante n’a pas été en mesure de prendre des congés payés au cours de ses dix années d’activité au sein de l’institut de formation, puisque l’employeur n’avait pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Dès lors, le délai de prescription n’avait pas commencé à courir selon la Cour.

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