Inaptitude : précisions sur le reclassement des salariés

La recherche d’un reclassement pour un salarié qui a été déclaré inapte est souvent une source de difficulté pour les entreprises et suscite de nombreux contentieux.

En effet, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Deux jurisprudences parues cet été permettent de préciser le contour de l’obligation qui pèse sur l’employeur de rechercher un reclassement au profit du salarié inapte.

1 – Une interprétation élargie des emplois qui doivent être proposés au salarié déclaré inapte dans le cadre de l’obligation de reclassement

L’employeur est présumé avoir rempli son obligation de reclassement lorsqu’il a proposé au salarié inapte un autre emploi approprié à ses capacités et conforme aux préconisations du médecin du travail (article L. 1226-2-1 du Code du travail pour une inaptitude d’origine non professionnelle et L. 1226-12 pour une inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle).

Si l’employeur n’est pas soumis à une obligation de résultat, la Cour de cassation exige néanmoins que la recherche d’une solution de reclassement soit sérieuse et loyale (Cass. soc. 26 janvier 2022, n° 20-20.369).

L’article L. 1226-10 du code du travail prévoit que l’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que des mutations, aménagements, adaptations ou transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail.

Ainsi, la jurisprudence impose déjà à l’employeur de proposer au salarié reconnu inapte un poste :

  • emportant un changement de domicile ( soc., 12 octobre 2011, n° 10-15.316) ;
  • entrainant une modification du contrat de travail ( soc., 29 janvier 2002, n° 99-45.989) ;
  • moins bien rémunéré dès lors qu’il n’est pas inférieur au Smic ( soc., 5 décembre 2012, n° 11-21.849) ;
  • plus qualifié dès lors qu’il est accessible avec une formation complémentaire ( soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.328) ;
  • momentanément disponible tel qu’un poste proposé le temps d’un congé de maternité ( soc., 5 mars 2014, n° 12-24.456) ou un CDD de remplacement (Cass. soc., 4 septembre 2019, n° 18-18.169)
  • De catégorie inférieure à celle détenue par le salarié ( soc., 17 février 2010, n° 08-44.298).

A l’occasion d’un litige relatif au licenciement d’un salarié protégé déclaré inapte, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 21 juillet 2023, va plus loin et précise désormais que l’employeur peut être tenu de proposer au salarié inapte les postes qui relèvent d’une catégorie d’emploi supérieure.

Dans cette affaire, l’inspecteur du travail puis le ministre du travail, de l’emploi et de la santé ont refusé de délivrer l’autorisation de licenciement au motif que la société Lidl n’avait pas satisfait à son obligation de recherche sérieuse de reclassement.

Un vice de procédure ayant conduit à l’annulation de ces décisions, la société Lidl a alors recherché la responsabilité de l’Etat afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’illégalité des décisions de refus d’autorisation de licenciement. C’est à cette occasion que la Cour administrative d’appel puis le Conseil d’Etat se sont prononcés sur l’étendue de l’obligation de reclassement de l’employeur.

La Cour administrative d’appel reprochait à l’employeur de ne pas avoir proposé au salarié, Responsable de magasin, les emplois de Responsable technique de magasin, Responsable expédition/transport, Responsable réception / préparation et Cadre logistique qu’elle considérait être des emplois équivalents aux fonctions exercées par le salarié.

La société Lidl soutenait au contraire que ces emplois ne pouvaient lui être proposés puisque relevant d’une catégorie d’emploi supérieure, celle de cadre.

Le Conseil d’Etat a, dans la lignée de la Cour administrative, estimé que « cette seule circonstance, alors même qu’il pouvait en être tenu compte parmi d’autres éléments, pour apprécier la comparabilité des postes disponibles aux fonctions jusqu’alors exercées ne saurait, par elle-même, faire obstacle à ce que ces postes aient été au nombre de ceux qui devaient être proposés par l’employeur au salarié au titre de ses obligations en matière de reclassement ».

Dès lors, la seule circonstance que les fiches de postes mentionnaient un statut de cadre alors que le salarié avait un statut d’agent de maîtrise ne suffisait pas pour retenir que ces emplois n’étaient pas équivalents à celui de Responsable de magasin qu’il occupait. A charge pour l’employeur de compléter sa démonstration par d’autres éléments objectifs selon laquelle ces postes n’étaient pas comparables à celui précédemment occupé.

Cet arrêt du Conseil d’Etat s’inscrit dans la droite ligne de la construction jurisprudentielle établie par la chambre sociale de la Cour de cassation relative à l’étendue de la recherche d’un reclassement du salarié : si l’employeur doit, dans un premier temps, proposer des postes aussi comparables que possible à celui jusqu’alors occupé par le salarié et n’entrainant pas de modification de son contrat de travail, il doit, à défaut, élargir sa recherche aux postes de catégorie inférieure ou supérieure, dont les fonctions seraient susceptibles d’être équivalentes à celles de l’emploi occupé. Cette comparabilité s’arrête notamment là où la formation initiale du salarié ne lui permettrait pas, moyennant une formation de courte durée, d’être à même de remplir les missions du poste proposé.

En tout état de cause, le rôle du médecin du travail reste prépondérant dans la mise en œuvre de cette obligation de recherche de reclassement puisque quelle que soit la catégorie d’emploi du poste proposé, celui-ci devra nécessairement être compatible avec les préconisations et recommandation médicales.

CE, chambres réunies, Décision n° 457196 du 21 juillet 2023

2 … mais une application stricte du périmètre du groupe de reclassement

Par un arrêt du 5 juillet 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser la notion de groupe de reclassement dans le cadre de la procédure de licenciement pour inaptitude au regard des deux critères cumulatifs suivants :

  • La notion de groupe,
  • La possibilité de permutation de tout ou partie du personnel.

Dans cette affaire, une société concessionnaire de voiture avait licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement un mécanicien en arrêt de travail pour maladie. Ce dernier contestait son licenciement devant la juridiction prud’homale et reprochait à son employeur de ne pas avoir rechercher son reclassement dans une société fille qui entrait, selon lui, dans le périmètre de reclassement du groupe.  

La Cour d’appel constatait que ladite société était incluse dans le groupe au titre des sociétés consolidées par « mise en équivalence » selon l’extrait du rapport des commissaires aux comptes de la société sur les comptes consolidés pour l’exercice comptable. L’extrait du rapport des commissaires aux comptes de la société listait la société en question parmi les filiales du groupe avec une participation de 48,66%. La Cour d’appel en déduisait que la société fille dont l’appartenance au groupe était contestée était sous le contrôle notable de la société employeur et qu’elle appartenait dès lors audit groupe en application de l’article L. 1226-2 alinéa 2 du Code du travail.

La Cour de cassation a rejeté cette analyse dans son arrêt du 5 juillet 2023.

  • Sur la notion de groupe :

La Cour de cassation rappelle tout d’abord la notion de groupe telle qu’elle a été définie dans le cadre de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 : il désigne le groupe formé par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions suivantes :

  • Soit la possession par la société mère de plus de la moitié du capital social de la fille (article L. 233-1 du Code du commerce) ;
  • Soit la détention par la société mère de la majorité des droits de votes de la fille ou à la détermination en fait, par les droits de vote dont elle dispose, des décisions des assemblées générales de cette société (article L 233-3 du Code de commerce I et II) ;
  • Soit la désignation par la société mère pendant deux exercices successifs de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance, ou à la détention de 40% des droits de vote lorsqu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient une fraction supérieure (article L. 233-3-16 du Code de commerce).

Par ailleurs, la Cour de cassation précise que les sociétés commerciales établissent et publient chaque année des comptes consolidés dès lors qu’elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises.

Il résulte de la combinaison des articles L. 233-17-2 et L. 233-18 du Code de commerce que sont comprises dans les comptes consolidés, par mise en équivalence, les entreprises pour lesquelles l’entreprise dominante exerce une influence notable.

Cependant, les hauts magistrats considèrent que l’existence de ces comptes consolidés « par mise en équivalence » n’est pas constitutive d’un contrôle au sens des articles L. 233-1, L. 233-3 I et II ou L.233-16 du Code de commerce et ne permet pas de caractériser l’existence d’un groupe de reclassement.

La Cour de cassation retient donc une interprétation restrictive de la notion de groupe, ancrée dans une définition essentiellement capitalistique et caractérisée selon les préconisations de l’avocate générale par « l’existence d’un véritable contrôle ou d’une influence dominante d’une société sur une autre, des rapports sociétaires marqués par une « idée d’un gouvernement de la société contrôlée », ce qui exclut une simple influence notable. »

Cette définition stricte permet de répondre à une réalité pratique : la recherche du reclassement du salarié est facilité au sein du groupe dès lors qu’il est pourvu d’une société dominante qui dispose d’un pouvoir de contrôle sur les filiales qui composent le groupe.

  • Sur la permutation de tout ou partie du personnel

S’agissant de la seconde condition à la caractérisation d’un groupe au sens de l’obligation de reclassement, les hauts magistrats reprochent à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché au sein de ce groupe si les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation de la filiale et de l’employeur assuraient la permutation de tout ou partie du personnel.

La Cour de cassation rappelle ainsi les deux conditions à respecter pour déterminer le périmètre du groupe :

  1. Le groupe doit être défini par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle selon les critères de contrôle strictement définis aux article L. 233-1, L. 233-3 I et II ou L.233-16 du Code de commerce ;
  2. Une fois le groupe d’entreprise reconnu, le périmètre de reclassement doit comprendre l’ensemble des entreprises sur le territoire national dont l’activité, l’organisation ou le lieu d’exploitation de la société assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

La justification d’une telle analyse restrictive de cette notion du groupe de reclassement pourrait notamment résider dans la volonté de préserver les salariés concernés de propositions de reclassement trop éloignées de leurs considérations à la fois géographique et professionnelles.

Cette interprétation stricte de la notion de groupe devrait en outre également s’appliquer dans le cadre d’un licenciement pour motif économique qui reprend la même définition du groupe issue des ordonnances de 2017.

Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 22-10.158

Nelly Pourtier
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Nelly Pourtier a intégré le Cabinet Actance en 2008 à l’issue de sa formation à l’école des avocats. Elle est titulaire d’un Master II droit et pratiques des relations de travail et d’un DU en protection sociale à l’Université de Montpellier. Elle accompagne les groupes et entreprises sur toutes les problématiques liées aux relations collectives (notamment en matière de gestion des relations avec les représentants du personnel et de transfert d’entreprise) et individuelles du travail (harcèlement, inaptitude, …). Nelly accompagne également les groupes et entreprises dans leur phase de restructuration. Elle dispose d’une expertise dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux et anime régulièrement des formations juridiques à destination de nos clients (service juridique, RH ou managers), de conseillers prud’hommes, et dans diverses écoles ou institutions.