Concurrence déloyale : détenir un fichier client d’un ancien employeur constitue un acte de concurrence déloyale

Par un arrêt en date du 7 décembre 2022 (n°21-19.860), la Chambre Commerciale de la Cour de cassation rappelle l’exigence du principe de loyauté tout au long de la collaboration entre un salarié et son employeur et que tout acte de concurrence constitue un manquement à celui-ci. Elle précise sa jurisprudence par cet arrêt en considérant que la seule détention d’un fichier client d’un ancien employeur était constitutive d’un acte de concurrence déloyale.
Nelly Pourtier et Cédric Martins, avocats au sein du cabinet Actance, reviennent sur cette décision importante qui sera publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

Rappel des faits et des termes du débat

Dans cette affaire, une Société X qui exerce une activité d’administration d’immeubles va assigner une Société Y, créée par deux de ses anciens salariés, pour concurrence déloyale en lui reprochant d’avoir illicitement démarché sa clientèle.

Deux questions sont posées à la Cour de cassation :

  • Une première question plus évidente tenant à la potentielle concurrence déloyale tirée de l’envoi, par la nouvelle Société des salariés, d’une proposition de contrat à un client de leur ancien employeur et ce, avant même la cessation de leur contrat de travail.

Sur ce point, et dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation a rappelé qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher si l’envoi, par la société des anciens salariés, d’une proposition de contrat de syndic à un membre d’une copropriété cliente de leur ancien employeur, avant la fin de leur contrat de travail, constituait un acte de concurrence déloyale.

La Haute juridiction considère en l’espèce que constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d’une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci.

  • Une seconde question, laissant davantage de marge de manœuvre au juge du fond, s’agissant de la détention par des anciens salariés d’informations confidentielles relatives à l’activité de leur ancien employeur obtenues pendant l’exécution du contrat de travail.

La Cour d’appel avait jugé que cette détention d’informations confidentielles par des anciens salariés – en l’espèce par un transfert alors qu’ils étaient encore salariés de la Société sur leur boite mail personnelle de données dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions – « ne saurait être jugé comme fautive en l’absence de preuve de leur exploitation par un moyen fautif de la part des anciens salariés ». La Cour d’appel faisait donc la distinction entre la détention et l’exploitation de ces données confidentielles.

La Cour de cassation n’a, sur cette question, laissé place à aucun doute puisqu’il ressort de son attendu de principe que « le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyale ».

Partant, la Cour de cassation fait preuve d’une explicite intransigeance quant à la simple détention de données confidentielles par un ancien salarié ayant créé une société concurrente peu important la preuve de l’utilisation ou non de ces données à des fins concurrentielles.

Quelles sont les conséquences pratiques de cet arrêt ?

Il est fréquent pour un employeur de constater que son salarié, à quelques jours de son départ, effectue un transfert important de données confidentielles (ou non) appartenant à l’entreprise.

Avant cette jurisprudence, les employeurs attendaient le plus souvent qu’un acte de concurrence déloyale ait lieu pour engager une action.   

Désormais et sur la base de cet arrêt de la Cour de cassation, les entreprises peuvent agir sans avoir à attendre d’avoir la preuve d’une exploitation des données indument transférées et d’éventuelles conséquences en matière de concurrence et notamment de détournement de clientèle.

A noter que si des difficultés probatoires existent, l’article 145 du code de procédure civile permet d’y remédier, dans certaines limites. En effet, cet article autorise toute personne qui envisage d’engager une procédure au fond de requérir des mesures avant dire droit afin d’établir ou de conserver tout élément de preuve. Cette action préalable, effectuée ex parte, permet dans ce cadre à l’huissier d’appréhender tout document permettant d’établir les faits allégués par le requérant.

Pour aller plus loin

Au-delà des questions posées à la Cour de cassation dans l’arrêt du 7 décembre 2022, l’employeur peut, en pratique, également être confronté à d’autres questions de même espèce auxquelles la Cour de cassation a déjà répondu :

  • Un salarié peut-il créer une activité concurrente après le terme de son contrat de travail:

Oui, s’il n’est pas soumis à une clause de non concurrence (Cass. soc., 6 janvier 2011, n°09-65.158) .

  • Un salarié peut-il préparer la création d’une société concurrente avant même la cessation de son contrat de travail :

Oui, à la condition que l’activité de la société concurrente ne soit pas effective avant la cessation du contrat de travail et que le salarié n’ait pas utilisé les moyens de son employeur (Cass. soc., 5 mai 2009, n°07-45.331).

  • Un salarié détenant des parts d’une société concurrente est-il fautif ?

 Non, dès lors qu’il ne s’agit que d’un investissement financier et que le salarié ne participe à la gestion de la société ou ne l’aide d’aucune façon (Cass. soc., 4 avril 2006, n°04-43.454).

Nelly Pourtier
Avocate associée | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Nelly Pourtier a intégré le Cabinet Actance en 2008 à l’issue de sa formation à l’école des avocats. Elle est titulaire d’un Master II droit et pratiques des relations de travail et d’un DU en protection sociale à l’Université de Montpellier. Elle accompagne les groupes et entreprises sur toutes les problématiques liées aux relations collectives (notamment en matière de gestion des relations avec les représentants du personnel et de transfert d’entreprise) et individuelles du travail (harcèlement, inaptitude, …). Nelly accompagne également les groupes et entreprises dans leur phase de restructuration. Elle dispose d’une expertise dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux et anime régulièrement des formations juridiques à destination de nos clients (service juridique, RH ou managers), de conseillers prud’hommes, et dans diverses écoles ou institutions.

Cédric Martins
Avocat | +33 (0)144 94 96 00 | societe@actanceavocats.com | + posts

Master 2 Droit des contrats internes et internationaux de l’Université Paris XI (Sceaux)