Charge de la preuve en matière de respect des durées maximales de travail : application au cas du salarié en télétravail Charge de la preuve en matière de respect des durées maximales de travail : application au cas du salarié en télétravail
La Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative à la charge de la preuve en matière de respect des durées maximales de travail et l’étend aux périodes durant lesquelles le salarié exerce son activité en télétravail (Cass. soc., 14 déc. 2022, n° 21-18.139).
Chloé Bouchez avocate associée et Louis Mellone avocat collaborateur au sein du cabinet Actance reviennent sur les implications de cette nouvelle décision.
Focus sur les règles applicables en la matière
Il est de jurisprudence constante que la charge de la preuve du respect des durées maximales de travail hebdomadaire fixées par le droit européen et plus précisément par la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003, et par le droit interne, incombe strictement à l’employeur (Cass. soc., 17 oct. 2012, n° 10-17.370 ; Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 12-13.267).
Contrairement au cas de la sollicitation par un salarié du versement d’heures supplémentaires, ce dernier n’a donc pas à communiquer à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures qu’il prétend avoir réalisées.
Application de la règle aux périodes de télétravail
L’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2022 vient préciser, avec cohérence, le régime de la charge de la preuve lorsque le salarié est amené à exercer une partie de son activité en télétravail.
En l’espèce, le salarié sollicitait, outre un rappel d’heures supplémentaires conséquent, une indemnisation de son préjudice occasionné par la violation alléguée de son droit au repos.
Retour sur la motivation de la décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel avait considéré que, même s’il était avéré que le salarié « travaillait beaucoup », il n’était pas démontré que l’employeur n’avait pas respecté la législation afférente au droit au repos. La Cour d’appel ajoutait sur ce point, que le salarié effectuait deux jours de télétravail à son domicile par semaine et qu’il conservait donc une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements.
La Cour d’appel avait, semble-t-il, considéré que le fait pour le salarié de bénéficier de deux jours de travail, lui garantissait une autonomie dans son organisation, le prémunissant, contre le risque de dépassement des durées maximales de travail.
La Cour avait par ailleurs achevé son raisonnement en soulignant que l’amplitude entre le premier et le dernier mail envoyé par le collaborateur n’était pas de nature à démontrer qu’il ne bénéficiait pas de ses repos quotidiens, pour la simple et bonne raison que cela ne démontrait pas que le salarié était en permanence à son poste de travail.
Motivation de la décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle tout d’abord au visa de l’article L. 3131-1 du Code du travail (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088), que chaque salarié bénéficie d’un repos minimum quotidien d’une durée de 11 heures consécutives.
La Cour précise, simplement au visa de l’ancien article 1315 devenu 1353 du Code civil, qu’il appartient à celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en justifier le paiement ou le fait qui en a produit l’extinction.
En conséquence de quoi la Cour affirme que :
« la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur »
Conséquences pratiques d’une telle position
Si cette décision nous semble cohérente en ce qu’elle s’inscrit dans la droite lignée d’une jurisprudence bien établie en matière de charge de la preuve du respect des durées maximales de travail, il n’en demeure pas moins que son application pratique soulève de nombreuses difficultés.
En effet si l’employeur doit s’assurer que le salarié respecte les durées maximales de travail, les moyens lui permettant de procéder en ce sens s’en trouvent d’autant plus limités lorsque ce dernier exerce son activité depuis son domicile.
Compte tenu de la multiplication des demandes afférentes à la durée du travail devant les juridictions prud’homales, il convient nécessairement pour chaque employeur de prévoir un dispositif lui permettant de démontrer que chaque salarié respecte les durées maximales de travail, y compris durant les jours de télétravail.
Ce dispositif devra faire l’objet d’adaptations au regard des besoins de l’activité et de la nature des postes concernés par le télétravail.
Les avocats du cabinet Actance se tiennent à votre disposition pour échanger autour de vos pratiques, évaluer ensemble les risques et y apporter des solutions juridiques et concrètes.
Chloé Bouchez
Chloé BOUCHEZ a exercé 1 an au sein du cabinet Barthélémy & Associés et a participé à la création du cabinet Actance. Elle est titulaire du Master II en Droit social de l’Université Panthéon-Assas et du Certificat de spécialisation en droit du travail. Elle accompagne les groupes et entreprises de dimension nationale et internationale sur toutes les problématiques liées aux relations collectives et individuelles du travail, et anime régulièrement des formations. Elle est amenée à travailler en Français et en Anglais. Elle dispose également d’une forte expérience dans la gestion des pré-contentieux et des contentieux à risque.