Actu-tendance n° 706
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception (LRAR). Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Elle ne peut pas être envoyée moins de 2 jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué (c. trav. art. L. 1232-6).
Si l’employeur manifeste sa volonté de rompre le contrat de travail avant la notification écrite du licenciement, il s’agit d’un licenciement verbal. Ce licenciement est alors dépourvu de cause réelle et sérieuse, et l’employeur ne peut régulariser la situation par l’envoi de la lettre de licenciement (Cass. soc. 13 juin 2018 n° 17-14.216).
Un échange d’e-mails entre des salariés du service des ressources humaines, survenu avant la notification du licenciement et relatif au calcul du solde de tout compte, constitue-t-il un licenciement verbal ?
Cass. soc., 6 décembre 2023, n° 22-20.414
Dans cette affaire, un employeur a notifié à un salarié son licenciement pour faute le 5 octobre 2018 par LRAR.
S’estimant victime d’un licenciement verbal, le salarié a saisi la justice prud’homale. Il sollicitait que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel a fait droit à sa demande après avoir constaté que dans le cadre d’un échange d’e-mails daté du 1er octobre 2018, entre des salariés de la direction des ressources humaines, il était évoqué la possibilité de récupérer un somme indue perçue par le salarié, sur son « STC », acronyme du solde de tout compte.
Pour les juges, le solde de tout compte n’a lieu d’être que lorsque le contrat de travail est rompu. Dès lors, le courriel ne laissait planer aucun doute quant au fait que la décision de licencier le salarié était déjà prise le 1er octobre 2018 (soit 4 jours avant la notification écrite de licenciement).
La Cour d’appel en a conclu que ce courriel constituait un licenciement verbal, qui devait donc être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
À tort selon la Cour de cassation, qui casse cette décision en rappelant que « la rupture du contrat de travail, en l’absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail ».
Or, en l’espèce, les propos tenus dans le courriel du 1er octobre 2018 émanaient d’un employé du service RH et non de l’employeur (titulaire du pouvoir de licencier).
Il en résulte que l’employeur n’avait pas manifesté la volonté de mettre fin au contrat de travail du salarié. Dès lors, les juges ne pouvaient considérer que le courriel litigieux constituait un licenciement verbal.
Note : À titre d’exemple, constitue un licenciement verbal, le courrier de l’employeur envoyé aux collègues du salarié les informant qu’il a mis fin à sa collaboration (Cass. soc. 1er février 2012 n° 10-20.893). Dans cette dernière affaire, le courrier avait été envoyé par l’employeur, ce qui diffère de la présente espèce.
Rappel : Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur doit rechercher à le reclasser avant d’envisager son licenciement (c. trav. Art. L. 1226-2 et L. 1226-10).
L’employeur est dispensé de toute recherche de reclassement lorsque le médecin du travail indique dans son avis (c. trav. Art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12) :
que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;
ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L’employeur est-il dispensé de rechercher un poste de reclassement lorsque l’avis d’inaptitude mentionne que l’état de santé du salarié fait obstacle « sur le site » à tout reclassement ?
Cass. Soc., 13 décembre 2023, n° 22-19.603
Un salarié travaillant sur un site situé en Mayenne avait été déclaré inapte.
Le médecin du travail avait coché, dans l’avis d’inaptitude, la case mentionnant que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Mais il avait précisé, dans ce même document, que l’inaptitude faisait obstacle « sur le site » à tout reclassement dans un emploi.
Estimant être dispensé de toute recherche de reclassement, l’employeur a licencié le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
A tort selon la Cour d’appel, qui déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse, après avoir considéré que « l’avis ne vaut que pour le site de Mayenne » où est employé le salarié.
Par conséquent, il fallait en déduire que « l’employeur n’était pas dispensé, par un avis d’inaptitude du médecin du travail limité à un seul site, de rechercher un reclassement hors de l’établissement auquel le salarié était affecté et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement ».
La Cour de cassation confirme cette analyse et par conséquent la décision d’appel.
Note : Pour rappel, l’employeur est dispensé de rechercher un poste de reclassement uniquement lorsque l’avis d’inaptitude mentionne l’une des 2 situations suivantes :
- tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé;
- l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
En pratique, dans l’avis d’inaptitude, ces 2 hypothèses sont précédées d’une case à cocher. Il suffit donc en principe au médecin du travail de cocher la case appropriée. Toutefois, il peut arriver que le médecin du travail s’écarte de cette formulation et apporte des précisions supplémentaires sur l’étendue de la dispense de reclassement.
Tel est le cas en l’espèce, où la dispense de reclassement était limitée au site du salarié. Il ne s’agissait donc pas d’une dispense totale de reclassement.
Dans le même sens, la Cour de cassation a estimé qu’en présence d’un avis d’inaptitude indiquant que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement « dans cette entreprise », il fallait considérer que la dispense de reclassement n’était pas totale et que l’employeur devait rechercher des solutions en dehors de l’entreprise (Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-12.970).
Il est recommandé d’être prudent dans l’interprétation de l’avis d’inaptitude et de solliciter des précisions auprès du médecin du travail en cas de doute sur la nécessité de rechercher une solution de reclassement ou sur le périmètre de celle-ci, avant d’engager une procédure de licenciement.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : Le CSE central est composé d’un nombre égal de délégués titulaires et de suppléants, élus, pour chaque établissement, par le CSE d’établissement parmi ses membres (c. trav., art. L. 2316-4).
Sauf accord conclu entre l’employeur et l’ensemble des organisations syndicales représentatives, le nombre des membres du CSE central ne peut dépasser 25 titulaires et 25 suppléants.
Sauf stipulation de l’accord et dans ces limites, chaque établissement peut être représenté au CSE central soit par un seul délégué, titulaire ou suppléant, soit par un ou 2 délégués titulaires et un ou 2 délégués suppléants (c. trav. art. R. 2316-1).
Le Code du travail ne fixe pas les règles de remplacement des membres du CSE central lorsqu’ils cessent d’exercer leur mandat.
Les règles de remplacement applicable au CSE sont-elles transposables au CSE central ?
Cass. soc., 6 décembre 2023, n° 22-21.239
Dans cette affaire, la société était divisée en plusieurs établissements distincts, dotés de CSE d’établissement, et d’un CSE central.
Deux salariés du même établissement, respectivement membres titulaire et suppléant du CSE central, ont quitté l’entreprise et donc cessé d’exercer leurs mandats.
En l’absence de dispositions spécifiques prévoyant les modalités de remplacement dans l’accord régissant le CSE central, le CSE d’établissement avait désigné deux nouveaux membres titulaire et suppléant au sein du CSE central.
La société a saisi le Tribunal judiciaire pour contester ces désignations.
Le Tribunal a suivi l’argumentaire développé par l’employeur et a annulé les désignations au motif que la loi n’a pas prévu les modalités de remplacement des membres au CSE central, qui seraient appelés à quitter leurs fonctions.
Le CSE de l’établissement et un syndicat se sont pourvus en cassation.
La Cour de cassation casse partiellement le jugement rendu considérant qu’« en l’absence de disposition contraire, au comité social et économique central, que, lorsqu’un membre titulaire du comité social et économique central cesse ses fonctions par suite de son décès, d’une démission, de la rupture du contrat de travail ou de la perte des conditions requises pour être éligible, il est remplacé dans les conditions» prévues par l’article L. 2314-37 du Code du travail relatif aux règles de remplacement d’un titulaire au CSE.
Par conséquent, lorsqu’un membre titulaire du CSE central cesse ses fonctions en raison de la rupture de son contrat de travail, il est remplacé, en l’absence d’accord collectif, par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle du titulaire.
La Tribunal ne pouvait donc pas rejeter la demande de remplacement d’un membre titulaire au CSE central.
En revanche, la Cour de cassation valide l’annulation de la désignation du membre suppléant au motif que :
- le code du travail n’a pas prévu les modalités de remplacement des membres suppléants composant le CSE central ;
- ce remplacement n’est pas non plus prévu par un accord collectif ou une convention collective applicable au sein de l’entreprise.
Note : Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle également que les contestations relatives aux conditions de désignation des membres du CSE central relèvent de la compétence du Tribunal judiciaire du lieu où la désignation est destinée à prendre effet, peu important les modalités de désignation. En l’occurrence, il s’agissait du TJ du siège social de l’entreprise où est situé le CSE central.
Législation et réglementation
La loi pour le plein emploi a été publiée au Journal officiel du 19 décembre 2023.
Préalablement, le Conseil constitutionnel avait validé, par une décision du 14 décembre 2023, les principales mesures de la loi dont notamment :
- le changement de dénomination de Pôle emploi pour celui de France Travail à compter du 1er janvier 2024 ;
- la signature d’un contrat d’engagement pour les personnes sans emploi, qui remplace le projet personnalisé d’accès à l’emploi.
Ce contrat d’engagement comporte un plan d’actions précisant les objectifs d’insertion sociale et professionnelle et une obligation d’au moins 15 heures d’activité par semaine (actions de formation…) pour les demandeurs d’emploi. Le Conseil constitutionnel a formulé des réserves d’interprétation quant à cette durée d’activité de 15 heures. Les Sages ont estimé que « cette durée devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis, sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée ».
Une autre réserve d’interprétation a été émise s’agissant des sanctions qui pourront être prises à l’encontre des demandeurs d’emploi qui ne respectent pas les obligations découlant de leur contrat d’engagement. Les Sages imposent au pouvoir réglementaire de respecter le principe de proportionnalité des peines.
Par ailleurs, des dispositions ont été censurées dont celles visant à organiser l’échange d’informations à caractère personnel entre les membres de France Travail. Ces dispositions ont été jugées comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
A l’issue de plusieurs mois de négociation, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont parvenus à un accord, le 14 décembre 2023, sur un projet de directive relatif au devoir de vigilance des grandes entreprises.
L’objectif est d’imposer à ces entreprises de veiller à ce que leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs respectent les droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne le travail des enfants, l’esclavage, l’exploitation du travail.
Ce texte s’appliquerait aux entreprises de l’UE de plus de 500 salariés ayant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 150 millions d’euros, ainsi qu’aux entreprises de plus de 250 salariés, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros si au moins 20 millions sont générés dans certains secteurs d’activité à risque (fabrication et commerce de gros de textiles, habillement et chaussures, agriculture, etc.).
Le champs d’application de cette directive serait donc plus large que ce que prévoit la loi française du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance.
Pour mémoire, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre instaure notamment la mise en place d’un plan de vigilance dans les entreprises françaises d’au moins 5000 salariés et les entreprises d’au moins 10000 salariés ayant leur siège social à l’étranger.
Le projet de directive prévoit en outre :
- la possibilité de poursuivre en justice les entreprises qui ne respectent pas leur devoir de vigilance. Le texte prévoit notamment un délai de cinq ans pour le dépôt de plaintes par les personnes concernées par les effets négatifs (y compris les syndicats ou les organisations de la société civile) ;
- la création, par chaque État membre, d’une autorité de contrôle chargée de vérifier si les entreprises respectent leurs obligations, ce qui n’est actuellement pas prévu dans le Code de commerce. Cette autorité serait dotée d’un pouvoir d’inspection et d’enquête et pourrait prononcer des sanctions.
Si la directive est publiée, chaque État devrait la transposer dans un délai de deux ans suivant sa publication.
Des modifications de la législation française seraient nécessaires pour adapter le devoir de vigilance au nouveau cadre européen.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Législation et réglementation
La CNIL a mis en ligne le 14 décembre 2023 « Les Tables Informatique et Libertés ». Elles recensent les décisions importantes de la CNIL et l’essentiel de la jurisprudence nationale et européenne.
L’ensemble des décisions est présenté selon un plan thématique et le document sera mis à jour régulièrement.
Les contrats d’assurance en unités de compte doivent proposer au moins une unité de compte respectant des modalités fixées par l’article L. 131-1-2 du code des assurances. Au nombre de ces modalités se trouvent les actifs labellisés. Le décret du 13 décembre 2023, applicable à compter du 1er janvier 2024, apporte des précisions sur ces labels qui sont:
- le label Investissement Socialement Responsable (ISR), dont un nouveau référentiel est applicable à compter du 1er mars 2024,
- le label Greenfin.
Les contrats dont l’exécution est liée à la cessation d’activité professionnelle sont exclus de cette obligation.
Un projet de décret clarifiant le montant net social a été soumis aux partenaires sociaux le 7 décembre 2023. Il modifierait le code du travail pour y prévoir l’ajout du montant net social à la liste des mentions obligatoires du bulletin de paie.
Il précise également les revenus professionnels à prendre en compte au titre d’une activité salariée et les cotisations qui en sont déductibles, confirmant la doctrine publiée au BOSS le 14 novembre 2023 et détaillée dans l’actu tendance n° 701.
Une circulaire CNAV du 12 décembre 2023 actualise le barème d’assujettissement et d’exonérations à la CSG, la CRDS et la CASA des pensions de retraite pour 2024.
A compter du 1er janvier 2024, le décret porte le SMIC horaire à 11.65€ (augmentation de 1.13%), soit un montant mensuel brut de 1766.92€ sur la base de la durée légale du travail de 35h hebdomadaire.
Le minimum garanti s’établira, quant à lui, à 4.15€.
Le ministère du Travail a publié son rapport sur la négociation collective sur l’année 2022. Il revient notamment sur la négociation des régimes de protection sociale et d’épargne salariale avec une hausse de 40% au niveau des branches par rapport à 2021.
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
L’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023, relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales, a été publiée au Journal Officiel du 7 décembre 2023.
Cette ordonnance vient renforcer les exigences relatives à la publication d’informations en matière de durabilité, appelée aussi « reporting extra-financier », par les grandes entreprises et sociétés cotées.
Elle transpose en droit français, la directive européenne sur le reporting de durabilité du 14 décembre 2022 (dir. (UE) 2022/2464 du Parlement européen) (Cf. News du 22 mars 2023 : Enjeux sociaux de la directive européenne sur le reporting de durabilité).
L’ordonnance simplifie et harmonise plusieurs dispositifs du code de commerce existant en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
L’ordonnance entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2024 et progressivement en fonction de la taille des entreprises.
Seront concernées par le rapport de durabilité, les grandes entreprises (cotées ou non cotées), les PME cotées sur un marché réglementé et les entreprises de pays tiers disposant d’une succursale ou d’une filiale en France.
Les informations contenues dans le rapport devront permettre de comprendre les incidences de l’activité de la société sur les enjeux de durabilité, ainsi que la manière dont ces enjeux influent sur l’évolution de ses affaires, de ses résultats et de sa situation. Il est précisé que les enjeux de durabilité comprennent aussi les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise.
En outre, les informations contenues dans le rapport de durabilité devront être certifiées par un commissaire aux comptes ou par un organisme tiers indépendant accrédité.
Pour inciter les entreprises concernées à respecter ce nouveau cadre juridique, l’ordonnance prévoit un mécanisme de sanctions (exclusion des marchés publics, sanctions pénales). À titre d’exemple, à compter du 1er janvier 2026, ces dernières pourront être exclues d’un marché public ou d’un contrat de concession.