Actu-tendance n° 703
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Les éléments déterminant la part variable de la rémunération du salarié peuvent être définis unilatéralement par l’employeur (Cass. soc., 2 mars 2011, n°08-44.977).
Pour être valable, le dispositif de rémunération variable (Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-43.696) :
doit être fondé sur des éléments objectifs et indépendants de la volonté de l’employeur ;
ne doit pas faire porter le risque de l’entreprise sur le salarié ;
ne doit pas avoir pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.
Les objectifs doivent être réalisables, raisonnables, et compatibles avec le marché (Cass. soc., 13 janvier 2009, n°06-46.208).
Ils doivent être portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Cass. soc., 2 mars 2011, n°08-44.977) sauf si des circonstances particulières rendent impossible la fixation de ces objectifs à cette date (Cass. soc., 21 septembre 2017, n°16-20.426).
À qui incombe la charge de la preuve que les objectifs fixés sont réalisables ?
Cass. soc., 15 novembre 2023, n° 22-11.442
Un salarié a sollicité auprès du Conseil de prud’hommes des rappels de salaire au titre de sa rémunération variable pour les années 2012 et 2014. Il invoquait notamment l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés par l’employeur au regard de la perte d’un client important de l’entreprise et compte tenu de la politique commerciale pratiquée par l’entreprise avec ce client.
La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes considérant que :
- il ne démontrait pas que ce client était un de ses objectifs contractuellement prévus ;
- sans ledit client, il dépassait ses objectifs sur les années précédentes.
La Cour de cassation censure cette décision sur le fondement des articles L. 1221-1 du code du travail, 1134 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 1353 (ancien article 1315) du même code :
- « lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice ».
- « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
La Cour de cassation en déduit qu’il « incombe à l’employeur de rapporter la preuve de ce que les objectifs qu’il fixe unilatéralement sont réalisables ». Elle reproche aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si les objectifs fixés par l’employeur au salarié pour les années 2012 et 2014 étaient réalisables compte tenu de sa politique commerciale.
Note : À défaut de prouver le caractère réalisable des objectifs, l’employeur était en l’espèce, tenu de verser la rémunération variable convenue au salarié.
Il est donc recommandé à l’employeur, lors de la fixation des objectifs, de s’assurer que ces derniers sont réalistes. Ils doivent être mesurés et ne doivent être ni dérisoires, ni excessifs.
Rappel : Le salarié dispose d’une liberté d’expression au sein et hors de l’entreprise, sauf abus (Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.012).
L’abus est notamment caractérisé lorsque les termes utilisés par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.
Le fait pour un salarié de tenir des propos blessants à connotation raciste et sexiste justifie-t-il un licenciement pour faute grave ?
Cass. soc., 8 novembre 2023, n° 22-19.049
Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir tenu des propos à connotation raciste et sexiste vis-à-vis de ses collègues.
La Cour d’appel a écarté la faute grave considérant que « les reproches formulés par l’employeur sont établis en ce qui concerne les propos à connotation sexiste et raciste et la passation des commandes non validées par les clients et justifiaient le licenciement sans toutefois rendre immédiatement impossible la poursuite des relations contractuelles ».
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Elle juge que « les propos blessants à connotation raciste et sexiste, tenus par le salarié vis à vis de ses subordonnés les plus vulnérables de nature à les impressionner et nuire à leur santé, constituaient une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ».
Note : L’abus dans l’exercice de la liberté d’expression s’apprécie notamment au regard de la teneur des propos, de leur degré de diffusion (publique ou privée), des fonctions exercées par l’intéressé, ou encore des répercussions sur l’entreprise.
Rappel : Les télétravailleurs doivent bénéficier des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise ( C. trav. art. L. 1222-9).
Les salariés placés en télétravail et bénéficiant d’un restaurant d’entreprise, peuvent-ils bénéficier des titres-restaurant ?
CA Paris., 16 novembre 2023, n° 22/12401
En l’espèce, les salariés de cette entreprise ont été placés en télétravail au cours du confinement intervenu en raison de la pandémie de covid-19. Un syndicat a assigné la société devant le tribunal judiciaire de Paris afin de faire déclarer illicite la privation de titres-restaurant à certains des salariés, considérant qu’il s’agissait d’une inégalité de traitement avec d’autres en bénéficiant.
Lors de la mise en place des titres-restaurant, l’employeur avait laissé le choix aux salariés ne bénéficiant pas d’un restaurant d’entreprise, d’opter pour l’accès à un restaurant inter-entreprises (RIE) ou bénéficier de titres-restaurant.
Dans ce cadre, lors du confinement, l’employeur avait refusé d’attribuer des titres-restaurant aux salariés bénéficiant d’un restaurant d’entreprise sur site ou ayant opté pour le RIE malgré leur placement en télétravail.
Le tribunal et la Cour d’appel ont débouté le syndicat de l’intégralité de ses demandes considérant que celui-ci n’apportait pas la preuve du non-respect par l’employeur de ses obligations légales et du principe d’égalité de traitement du salarié en télétravail.
Après avoir rappelé le principe selon lequel le « télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise » (art. L. 1222-9 du code du travail), la Cour d’appel considère que « le principe d’égalité de traitement du salarié en télétravail ne peut entraîner l’octroi d’un avantage supplémentaire mais uniquement le maintien d’un avantage dont le salarié bénéficierait s’il exerçait ses fonctions sur site ».
Elle ajoute que la situation des télétravailleurs et celle des salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise et auxquels sont remis des titres-restaurant, n’est pas comparable.
Elle conclut que :
- le syndicat ne justifie pas d’une atteinte au principe d’égalité de traitement ;
- il n’est justifié d’aucune obligation légale imposant la prise en charge financière des frais de restauration des salariés en position de télétravail, étant observé que de tels frais n’ont pu être engagés par les télétravailleurs pendant la période de confinement.
Note : Précisons qu’à ce jour, la question de l’octroi des titres-restaurants aux télétravailleurs à domicile pendant la période de Covid-19 n’est pas clairement tranchée.
Les premières décisions des juridictions judiciaires n’ont pas permis aux employeurs de se positionner clairement sur le sujet. Déjà en mars 2021, deux juridictions du fond ont eu des interprétations divergentes :
– le Tribunal judiciaire de Nanterre considère que les télétravailleurs n’ont pas le droit au bénéfice des titres-restaurant dans la mesure où ils ne sont pas confrontés à un surcoût lié à la restauration hors du domicile (TJ Nanterre., 10 mars 2021, n° 20/09616).
– le Tribunal judiciaire de Paris juge au contraire que les titres-restaurant doivent être accordés aux télétravailleurs dès lors qu’ils ont pour « principe directeur » de permettre aux salariés de se restaurer lorsque leur temps de travail comprend un repas (TJ Paris., 30 mars 2021, n°20/09805).
En dehors des hypothèses de période de crise sanitaire, en juillet 2022, le Conseil d’État a retenu à propos des agents publics que dès lors qu’un agent pouvait bénéficier sur son lieu de travail de l’accès à un dispositif de restauration collective, excluant l’attribution des titres-restaurant, le salarié n’avait pas davantage droit aux titres-restaurant pour les jours effectués à son domicile (CE., 7 juillet 2022, n° 457140).
Nous attendons la position de la Cour de cassation sur le sujet.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : L’article L. 2315-21 du code du travail dispose que : « Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont reçus collectivement par l’employeur ou son représentant au moins une fois par mois. En cas d’urgence, ils sont reçus sur leur demande.
L’employeur peut se faire assister par des collaborateurs. Ensemble, ils ne peuvent être en nombre supérieur à celui des représentants du personnel titulaires.
Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont également reçus par l’employeur, sur leur demande, soit individuellement, soit par catégorie, soit par atelier, service ou spécialité professionnelle selon les questions qu’ils ont à traiter ».
Le manquement de l’employeur à son obligation de réunion des représentants du personnel constitue-t-il un préjudice réparable pour le salarié ?
Cass. soc., 22 novembre 2023, n° 20-23.640
À la suite de la liquidation judiciaire d’une société, un salarié saisit le Conseil de prud’hommes contestant le bienfondé de son licenciement. Il sollicite notamment des dommages-intérêts pour atteinte à son droit de participer à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de ses représentants, reprochant à son employeur de n’avoir pas réuni chaque mois les représentants du personnel alors que l’entreprise traversait des difficultés.
La Cour d’appel a fait droit aux demandes du salarié après avoir constaté que :
- seules trois réunions des représentants du personnel se sont tenues entre septembre 2015 et février 2016, quand la situation de l’entreprise et les questions de l’ensemble du personnel sur son devenir justifiaient a minima la tenue chaque mois d’une réunion (conformément à l’article L. 2315-8 du code du travail devenu L. 2315-21 s’agissant des nouvelles instances) ;
- les interrogations du personnel sont restées pour partie sans réponse, tandis que la société a été placée en liquidation judiciaire dès le mois de mars 2016 et que le salarié a finalement été licencié pour motif économique le 31 mars 2016.
Elle en a déduit que le salarié a été privé d’une possibilité de représentation et de défense de ses intérêts et a subi, du fait du non-respect par son employeur de ses obligations à l’égard des institutions représentatives du personnel, un préjudice propre et direct qui justifie l’allocation de dommages-intérêts.
La Cour de cassation n’a pas été du même avis et a jugé que « le manquement de l’employeur à l’obligation d’information et de consultation des instances représentatives du personnel n’est pas de nature à causer au salarié, agissant à titre individuel, un préjudice personnel et direct ».
Note : Cette décision s’appuie sur le principe dégagé par la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle les salariés sans mandat de représentant du personnel ne disposent pas, en cas d’entrave, du droit de se constituer partie civile, dans la mesure où le délit d’entrave n’entraîne pas un préjudice direct et personnel aux salariés eux-mêmes (Cass. crim., 3 décembre 1996, n°95-84.647 ; confirmé par cass. crim., 17 octobre 2017, n°16-84.541).
Ainsi, la position de la Cour de cassation peut être résumée ainsi :
- Elle reconnait le droit pour les salariés de demander réparation du préjudice que leur cause nécessairement le défaut de mise en place d’institutions représentatives du personnel en l’absence d’établissement d’un procès-verbal de carence, les privant ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts à l’occasion de la mise en œuvre d’une procédure de licenciement économique (Cass. soc., 17 octobre 2018, n°17-14.392).
- En revanche, elle ne reconnait pas aux salariés l’existence d’un préjudice personnel direct résultant du défaut de réunion et de consultation des institutions représentatives du personnel.
Ce n’est que collectivement via leurs syndicats qui sont leurs représentants, que les salariés peuvent obtenir indirectement réparation du défaut de réunion des institutions représentatives du personnel, ce délit d’entrave ne portant atteinte qu’aux droits et attributions de ces institutions et ne causant donc un préjudice direct qu’à elles et à la profession à laquelle appartient le personnel de l’entreprise (Cass. crim., 3 décembre 1996, n°95-84.647), sans d’ailleurs qu’un préjudice personnel ne soit reconnu aux élus eux-mêmes (Cass. soc., 25 novembre 2015, n°14-16.067).
Législation et réglementation
Pour rappel, le code du travail interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine. Le salarié a droit à 24 heures de repos consécutif, qui est en général donné le dimanche (C. trav. art. L. 3132-1 à L. 3132-3).
Par exception, l’article L. 3132-5 du code du travail précise que : « dans certaines industries traitant des matières périssables ou ayant à répondre à certains moments à un surcroît extraordinaire de travail, le repos hebdomadaire des salariés peut être suspendu deux fois au plus par mois, sans que le nombre de ces suspensions dans l’année soit supérieur à six ».
Dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) qui se tiendront en France en 2024, le décret n° 2023-1078 du 23 novembre 2023 étend temporairement la dérogation au repos hebdomadaire prévue à l’article L. 3132-5 du code du travail « aux établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de captation, de transmission, de diffusion et de retransmission des compétitions organisées dans le cadre des jeux Olympiques de 2024 ainsi que pour assurer les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l’organisation et au déroulement des jeux Olympiques ».
Ainsi, le repos hebdomadaire pourra être suspendu dans ces établissements du 18 juillet au 14 août 2024.
En contrepartie, l’employeur devra accorder aux salariés concernés, un repos compensateur au moins égal à la durée du repos suspendu, immédiatement après la période concernée et ce, sans préjudice des règles de droit commun sur les contreparties obligatoires en repos.
Dans une lettre-circulaire publiée le 27 novembre 2023, le réseau des Urssaf donne des précisions sur le taux de versement mobilité à compter du 1er janvier 2024.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Jurisprudence – Protection sociale
Cass. 2e civ., 16 novembre 2023, n° 21-25.534
La Cour de cassation juge que la convention par laquelle le directeur d’un organisme local ou régional délègue la réalisation des missions ou activités liées à la gestion des organismes, au service des prestations, au recouvrement et à la gestion des activités de trésorerie, prend effet dès son approbation par le directeur de l’organisme national de la branche concernée, sans devoir attendre d’être publiée au bulletin officiel. L’organisme délégataire est en conséquence habilité à exercer les pouvoirs résultant de cette délégation à compter de la décision d’approbation.
Législation et réglementation
Dans un communiqué publié le 20 novembre 2023, la CNIL dresse un bilan des sanctions rendues sur l’année 2023, notamment dans le cadre de sa nouvelle procédure de sanction simplifiée mise en place en 2022. Les principaux manquements justifiant ces sanctions sont les suivants :
- défaut de coopération avec la CNIL ;
- non-respect du principe de minimisation des données (en particulier la géolocalisation des véhicules et la vidéosurveillance continue et permanente des salariés) ;
- manquements liés à l’information sur le traitement mis en œuvre, ses finalités et à la durée de conservation ;
- manquements à l’obligation de respecter les droits des personnes, et notamment de répondre à une demande d’opposition.
La CNIL indique que « dans le cadre d’une politique répressive dissuasive et proportionnée, dans des délais plus resserrés », elle prononcera régulièrement des sanctions en suivant la procédure simplifiée et en rendra compte sur son site web.
La branche des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil (Syntec) a signé le 24 octobre 2023, un accord unanime élargissant les garanties du régime de protection sociale complémentaire des cadres à certaines catégories de non-cadres à compter du 1er janvier 2025. L’extension aux salariés non-cadres et non-assimilés aux cadres visés à l’article 1.3 de l’accord ne pourra s’appliquer qu’à compter de l’agrément de celui-ci par la commission dédiée de l’APEC.
La circulaire CNAV n° 2023/22 publiée le 20 novembre 2023, donne des précisions sur les modalités d’application du nouveau dispositif de retraites anticipées au profit des assurés inaptes au travail. Elle annule et remplace la circulaire du 16 février 2015.
Le BOSS précise qu’un accord de branche ne peut légalement inciter les entreprises à adhérer à un ou plusieurs organismes assureurs en dehors de la procédure de recommandation prévue par l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale, et ce peu importe le nom que les parties entendent donner au dispositif (labellisation par exemple) » (BOSS, Protection sociale complémentaire, § 545).
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Conformément aux annonces du Gouvernement, une proposition de loi, votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 23 novembre 2023, prévoit de reconduire sur l’année 2024, le régime dérogatoire issu de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et permettant l’utilisation des titres-restaurant pour l’achat de tout produit alimentaire, qu’il soit ou non directement consommable.