Actu-tendance n° 697
DROIT DU TRAVAIL
Jurisprudence – Relations individuelles
Rappel : Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers (art. L. 1321-6 du Code du travail).
Le document fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable d’un salarié, embauché en France par la filiale d’une société américaine, peut-il être rédigé en anglais ?
Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 22-13.770
Un salarié, chef de projet avant-vente d’une société internationale, a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappels de rémunération variable.
Il reprochait notamment à son employeur d’avoir fixé ses objectifs pour le calcul de sa rémunération variable en anglais. Pour le salarié, ses objectifs ne lui étaient donc pas opposables.
La Cour d’appel a rejeté sa demande, estimant que l’anglais était la langue utilisée au sein de l’entreprise (filiale d’une société américaine). Cette circonstance ne suffisait pas à rendre inopposables au salarié les plans de rémunération.
Saisie du pourvoi, la Cour de cassation n’est pas de cet avis et rappelle les dispositions de l’article L. 1321-6 du Code du travail.
« Tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français. Cette règle n’est pas applicable aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers ».
En l’espèce, le salarié n’était pas de nationalité étrangère et la Cour d’appel n’avait pas constaté que les documents avaient été reçus de l’étranger.
Selon les Hauts magistrats, la Cour ne pouvait donc pas rejeter la demande du salarié après avoir relevé que les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle n’étaient pas rédigés en français.
Autrement dit, l’utilisation de la langue anglaise au sein de l’entreprise n’exonère pas l’employeur d’adresser au salarié ses objectifs de rémunération en français.
Note : Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence. La Cour a jugé récemment qu’à moins de provenir de l’étranger ou d’être destinés à un étranger, les objectifs doivent être rédigés en français sous peine d’inopposabilité, même si le salarié est bilingue et même si l’activité de l’entreprise a un caractère international (Cass. soc., 7 juin 2023, n° 21-20.322
En revanche, il a été jugé qu’un employeur peut adresser un plan de rémunération variable rédigé en anglais à une salariée citoyenne américaine (Cass. soc. 24 juin 2015, n° 14-13.829).
La Cour a admis la possibilité de fixer des objectifs dans une langue étrangère, si une traduction française des documents est accessible au salarié (Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-20.426).
Rappel : Aucune modification du contrat de travail ou aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé (à propos d’une mutation prononcée à titre disciplinaire : Cass. Soc. 25 novembre 1997, n° 94-42.727).
En cas de refus du salarié, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’administration d’une demande d’autorisation de licenciement (Cass. soc. 21 novembre 2006, n° 04-47.068).
L’employeur peut-il imposer une mutation disciplinaire à un salarié candidat aux élections professionnelles sans son accord, alors qu’il a connaissance de cette candidature au moment où il impose ce changement ?
Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 22-12.922
Le 28 novembre 2016, une salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
Postérieurement à cet entretien, la salariée s’est portée candidate aux élections des délégués du personnel (devenu le CSE) en qualité de suppléante. Le 28 décembre 2016, l’employeur lui a notifié sa mutation disciplinaire.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale afin de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur et le condamner à lui verser diverses sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle reprochait à son employeur de l’avoir sanctionnée sans autorisation de l’inspection du travail.
La Cour d’appel a fait droit à sa demande. L’employeur s’est alors pourvu en cassation. Il soutenait que la salariée n’était pas une salariée protégée. Selon lui, il fallait se placer à la date de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable.
En l’espèce, la salariée ne pouvait pas bénéficier de la protection puisque, à la date de la convocation à l’entretien préalable (le 28 novembre 2016), l’employeur n’avait pas connaissance de sa candidature. La salariée s’était portée candidate aux élections que le 12 décembre 2016.
Néanmoins, la Cour de cassation rejette cet argument et confirme la décision des juges d’appel considérant « qu’aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé. En cas de refus par celui-ci de cette modification ou de ce changement, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’autorité administrative d’une demande d’autorisation de licenciement ».
En l’espèce, la Cour d’appel a constaté qu’au moment où il avait imposé une mutation disciplinaire à la salariée, l’employeur avait connaissance de sa candidature.
La Cour de cassation considère que la cour d’appel a jugé, à bon droit, « que l’employeur ne pouvait lui imposer de modification de ses conditions de travail sans son accord, peu important que cette candidature [aux élections] soit postérieure à la convocation de la salariée à l’entretien préalable à la sanction disciplinaire ».
Pour savoir si la salariée bénéficiait du statut de salarié protégé, les juges se sont donc placés au moment où l’employeur a imposé la mutation, et non à la date d’envoi de la convocation à l’entretien préalable.
Autrement dit, l’employeur ne peut pas imposer une mutation disciplinaire à un salarié candidat aux élections dès lors qu’il a connaissance de sa candidature à la date de la mutation.
Note : Par conséquent, il convient de distinguer deux situations :
- La protection d’un candidat aux élections professionnelles contre le licenciement: dans ce cas, on vérifie si l’employeur avait connaissance de la candidature (ou de son imminence) au moment de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable (Cass. soc. 6 décembre 2011 n° 10-18.440 ; C. trav. art. L. 2411-7, al. 2).
- La protection d’un candidat aux élections professionnelles en cas de modification du contrat ou de changement des conditions de travail: dans ce cas, on vérifie si l’employeur avait connaissance de la candidature du salarié au moment où il a notifié sa décision, y compris s’il s’agit d’une mesure disciplinaire ayant donné lieu à un entretien préalable.
Jurisprudence – Relations collectives
Rappel : L’article L. 2312-21 du Code du travail prévoit que la BDESE (son organisation, son architecture, son contenu, ses modalités de fonctionnement) est définie par accord d’entreprise majoritaire ou, en l’absence de délégué syndical, par accord entre l’employeur et le CSE adopté à la majorité des élus titulaires.
Lorsqu’aucun accord n’a été conclu, les dispositions supplétives du code du travail sont applicables (C. trav. art. L. 2312-23 et L. 2312-36).
L’employeur a-t-il l’obligation d’engager une négociation sur la BDESE, avant d’appliquer les dispositions supplétives ?
Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.748
A l’occasion d’un recours visant à obtenir la suspension d’une opération de cession pour défaut de consultation du CSE, un syndicat et plusieurs membres du comité ont sollicité, en référé, la suspension de la mise en place de la BDESE par l’employeur.
Ils estimaient que l’employeur aurait dû engager au préalable une négociation avec les organisations syndicales représentatives, sur l’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de fonctionnement de la BDESE.
Les juges du fond n’étaient pas de cet avis, estimant qu’un accord fixant le contenu de la BDESE n’était pas obligatoire, de sorte qu’en s’abstenant d’engager des négociations avec les organisations syndicales en vue de la conclusion d’un accord sur l’organisation, l’architecture, le contenu et les modalités de la BDESE, l’employeur n’avait commis aucun manquement.
Contestant cette décision, les élus du CSE et le syndicat se sont pourvus en cassation.
La Cour de cassation rejette leur pourvoi et approuve la décision de la Cour d’appel.
Elle considère que le contenu de la BDESE étant, en l’absence d’accord, déterminé par les règles supplétives légales, il en ressort que la négociation préalable d’un accord sur la BDESE « ne présente pas de caractère obligatoire ».
Note : L’employeur peut donc mettre en place la BDESE en appliquant directement les dispositions supplétives du Code du travail, sans être tenu au préalable d’ouvrir une négociation avec les organisations syndicales sur le contenu de la BDESE.
La négociation avec les syndicats d’un accord sur la BDESE présente toutefois un intérêt certain, celui d’adapter la BDESE au besoin de l’entreprise.
Législation et réglementation
Le décret du 14 octobre 2023 précité crée, pour le régime général de la sécurité sociale, un nouveau tableau des maladies professionnelles (MP) relatif aux cancers du larynx et de l’ovaire provoqués par l’inhalation de poussières d’amiante.
Ce décret détermine :
- les maladies prises en charge:
- Cancer primitif du larynx, Dysplasie primitive de haut grade du larynx ;
- Cancer primitif de l’ovaire à localisation : ovarienne, séreuse tubaire, séreuse péritonéale
- la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces pathologies:
- Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l’amiante ;
- Travaux nécessitant l’utilisation d’amiante en vrac ;
- Travaux d’isolation utilisant des matériaux contenant de l’amiante ;
- Travaux de retrait d’amiante ;
- Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d’amiante ;
- Travaux de construction et de réparation navale ;
- Travaux d’usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l’amiante ;
- Fabrication de matériels de friction contenant de l’amiante ;
- Travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante ;
- Travaux de cardage, filage, tissage d’amiante et confection de produits contenant de l’amiante ;
- Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l’amiante ;
- Travaux de manipulation, d’assemblage, ou de manufacturage de pièce ou de matériaux contenant de l’amiante ;
- Travaux habituellement réalisés dans des locaux exposant directement à de l’amiante à l’état libre.
Le décret précise que le délai de prise en charge va jusqu’à 35 ans après l’exposition, à condition que celle-ci ait duré au moins 5 ans.
Ce nouveau tableau n° 30 ter est entré en vigueur le 16 octobre 2023.
L’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui a été présenté en Conseil des ministres le 3 mai 2023, s’est conclu par un accord en commission mixte paritaire le 5 octobre dernier.
Le texte a ensuite été définitivement adopté le 10 octobre par l’Assemblée nationale et le 11 octobre 2023 par le Sénat.
Saisi le 16 octobre 2023, le Conseil constitutionnel doit examiner le texte. Il sera publié par la suite au Journal officiel.
Cette loi contient certaines dispositions intéressant la matière sociale.
Nouvelle procédure de saisie sur rémunérations
La saisie des rémunérations permet à un créancier, à qui un salarié doit de l’argent, d’obtenir le remboursement de la somme qui lui est due directement auprès de l’employeur.
Actuellement, la mise en œuvre d’une procédure de saisie des rémunérations suppose une intervention judiciaire préalable.
Le projet de loi vient déjudiciariser la procédure en supprimant l’autorisation judiciaire préalable du juge et confier aux commissaires de justice la mise en œuvre de la saisie des rémunérations.
Si elles sont validées par le Conseil constitutionnel, ces mesures entreront en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2025.
Assouplissement des conditions d’accès à la fonction de Conseillers prud’homaux
Le projet de loi a notamment pour objectif d’assouplir les conditions de candidature des conseillers prud’hommes.
L’accès à la fonction de Conseiller prud’homal sera facilité pour les salariés qui exercent à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement.
Leur candidature ne sera plus limitée au Conseil de prud’hommes (CPH) dans le ressort duquel est situé leur domicile. Ils pourront se porter candidat dans un CPH situé dans un ressort limitrophe à leur domicile.
Si elle est validée par le Conseil constitutionnel et en l’absence de disposition particulière, cette mesure s’appliquera dès le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel.
PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE
Jurisprudence – Protection sociale
CA Metz, 1ère civ., 26 septembre 2023, n° 21/02360
La substitution d’un bénéficiaire d’une assurance-vie à un autre constitue de la part du souscripteur un acte juridique unilatéral dont la validité impose de prouver la volonté certaine et non équivoque du souscripteur et que celle-ci a été portée à la connaissance de l’assureur. Cette preuve peut être rapportée par tout moyen et notamment par la production de tout document explicite quant à sa volonté et signé de son auteur.
Cass. 2e civ., 28 septembre 2023, n° 21-21.633
La Cour de cassation rappelle que les inspecteurs du recouvrement ne sont pas autorisés à solliciter la communication de documents par un salarié de l’employeur qui n’a pas reçu de délégation à cet effet et que la lettre d’observations doit mentionner les documents qu’ils ont consultés, sous peine d’annulation du chef de redressement concerné.
Cass. 2e civ., 12 octobre 2023, n° 22-13.759
La Cour de cassation se prononce sur la validité des clauses d’exclusion qui doivent s’apprécier uniquement au regard des dispositions de l’article L. 113-1 du Code des assurances ; texte spécial dont la jurisprudence tire qu’elles ne doivent pas vider la garantie de sa substance. Dès lors, il n’y pas lieu d’apprécier leur validité au regard des dispositions de l’article 1131 du Code civil, qui répute non écrite la clause limitative de réparation, ou de garantie, et qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur.
Législation et réglementation
Le ticket modérateur sur les actes et honoraires des chirurgiens-dentistes est désormais fixé à 40% du tarif conventionnel (contre 30 % auparavant).
Cet arrêté fixe la liste des actes relevant des soins dentaires susceptibles d’être réalisés principalement par des médecins (actes techniques médicaux, les actes d’imagerie et les actes de chirurgie), pour lesquels le ticket modérateur est fixé à 30%.
L’ACPR publie le 12 octobre 2023 une instruction qui abroge et remplace l’instruction n° 2023-I-08 du 17 juillet 2023 relative aux documents prudentiels annuels à communiquer par les organismes assujettis au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relevant du régime dit « Solvabilité II »
Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
Le 9 octobre 2023, le mouvement des entreprises de France (MEDEF) a publié son baromètre de perception de la RSE et de l’égalité des chances en entreprise.
Publié chaque année, ce baromètre a pour objectif de mieux connaître le niveau d’intérêt des salariés pour les sujets de l’égalité des chances et de la RSE et leurs attentes vis-à-vis de l’entreprise et d’aider les dirigeants d’entreprises au développement de leur stratégie RSE.
Du côté de la RSE, le baromètre fait ressortir que :
- l’engagement RSE contribue de plus en plus à améliorer l’image de l’entreprise et à fidéliser les collaborateurs ;
- la RSE est prioritaire ou importante pour 82 % des salariés mais, comme les années précédentes, ces derniers accordent plus d’importance aux thématiques qui la composent (environnement, éthique, qualité de vie au travail, égalité entre les hommes et les femmes…) qu’à l’item « chapeau » RSE ;
- plus de deux tiers des salariés jugent toujours que les actions RSE mises en place au sein des entreprises sont efficaces, un chiffre stable après la baisse post-COVID.
Du côté de l’égalité, le baromètre fait ressortir que :
- l’égalité entre les femmes et les hommes (42 %) et l’égalité salariale (42 %) restent les principaux aspects identifiés sur lesquels les entreprises devraient agir.
- l’égalité, qui constitue une priorité tant pour les salariés que pour les entreprises, est surtout perçue au prisme des rémunérations ;
- 35% des salariés craignent un jour d’être discriminés au travail, une proportion qui atteint 43% chez les jeunes de 16 à 24 ans.
L’étude a été menée sur un échantillon de 1.505 personnes, représentatif de la population française salariée du secteur privé.