Actu-tendance n° 687

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : L’usage est une source de droit ; qui se définit comme une pratique répétée de l’employeur marquant sa volonté de reconnaître ou d’attribuer certains avantages aux salariés de l’entreprise. Il a force de loi dans l’entreprise et tous les salariés peuvent s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas été dénoncé.
Un avantage est qualifié d’usage lorsqu’il remplit les trois conditions cumulatives suivantes (Cass. soc., 3 avril 1990, n° 87-40.706) :
  • Généralité (accordé à tous les salariés ou à une catégorie) ;
  • Constance (caractère répétitif) ;
  • Fixité (l’usage ne doit pas dépendre de facteurs subjectifs liés au comportement des salariés).
Un avantage accordé à l’unique représentant d’une catégorie de personnel peut-il caractériser un usage ? 

Cass. soc., 21 Juin 2023, n° 21-22.076

Dans cette affaire, un salarié a été engagé en qualité de cadre par une société en 1982.

Ayant fait valoir ses droits à la retraite en juin 2017, il réclame devant le Conseil de prud’hommes le paiement d’un arriéré de primes et des dommages-intérêts.

Il soutenait que de 2005 à 2014, son employeur lui versait une double prime, calculée d’une part sur les remises de fin d’années et d’autre part sur la contribution publicitaire des fournisseurs. Celle-ci constituait selon lui un usage, qui avait été interrompu sans dénonciation préalable.

La Cour d’appel a fait droit aux demandes du salarié.

L’employeur s’est pourvu en cassation soutenant que la prime en l’espèce n’avait pas un caractère général dans la mesure où elle était versée au salarié à titre individuel. Une prime versée à un seul salarié ne pouvait selon lui constituer un usage.

Il n’obtint pas gain de cause. La Cour de cassation considère que le critère de généralité est rempli lorsque l’avantage est versé à l’unique représentant d’une catégorie de personnel.

Elle approuve la Cour d’appel d’avoir qualifié la prime d’usage après avoir constaté que :

  • le salarié était le seul à occuper un emploi de cadre ;
  • la prime lui avait été versée pendant plusieurs années.

Note : La Cour de cassation précise ainsi le critère de généralité exigé pour la caractérisation d’un usage : celui-ci est rempli lorsque l’avantage est versé à l’unique représentant d’une catégorie de personnel.

Rappel : C’est en principe le chef d’entreprise qui doit être l’interlocuteur du salarié lors de l’entretien préalable au licenciement et qui doit le lui notifier.
Il est toutefois admis que l’employeur puisse se faire représenter par une personne à qui il donne mandat, étant précisé que ce mandat pour procéder à l’entretien et notifier le licenciement ne peut être donné à une personne étrangère à l’entreprise (Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155).
Dans un groupe, il est admis que le directeur des ressources humaines (DRH) ou le directeur délégué de la société mère n’est pas considéré comme une personne étrangère à l’entreprise et peut donc recevoir mandat pour procéder au licenciement d’un salarié d’une filiale (Cass. soc., 16 janvier 2013, n° 11-26.398).
Le directeur d’une société d’un groupe peut-il conduire la procédure de licenciement d’un salarié d’une autre société faisant partie du même groupe?

Cass. soc., 28 Juin 2023, n° 21-18.142

Dans cette affaire, un salarié occupait les fonctions de directeur administratif et financier au sein d’une société. En septembre 2016, la société a été rachetée par un groupe.

Licencié pour faute grave en juin 2017, il a saisi la juridiction prud’homale pour contester la procédure de licenciement et obtenir des dommages et intérêts.

Il soutenait que la procédure de licenciement avait été menée par un intervenant externe, qui n’avait pas le pouvoir de représenter la société qui l’employait, le jour de l’entretien.

La Cour d’appel a jugé la procédure régulière, dans la mesure où ;

  • l’entretien avait été conduit par le directeur d’une entité appartenant au groupe employeur ;
  • celui-ci avait été missionné par le groupe en qualité de consultant externe pour ladite société et avait reçu mandat pour agir au nom et pour le compte du représentant légal de la société ;
  • il pouvait agir pour la société dans le cadre de la gestion opérationnelle administrative et financière de la société, y compris en matière de gestion des ressources humaines (recrutement, gestion du personnel, conduite des procédures disciplinaires et de licenciement etc…).

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel. Elle rappelle que « la finalité même de l’entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l’employeur de donner mandat à une personne étrangère à l’entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement ».

Néanmoins, en l’espèce, elle considère qu’il résulte des constatations de la Cour d’appel que le consultant n’était pas une personne étrangère à la société et pouvait valablement conduire la procédure de licenciement, dès lors qu’il avait été missionné par le groupe en qualité de consultant et avait reçu mandat pour agir notamment sur la gestion des ressources humaines.

Note : La Cour de cassation précise ainsi sa jurisprudence concernant les procédures de licenciement dans les groupes de sociétés. Si la personne délégataire ne fait pas partie de la même société que le salarié visé par le licenciement, l’employeur doit s’assurer qu’elle est bien habilitée à conduire une procédure de licenciement et vérifier que cela relève de ses fonctions.

Rappel : Selon l’article L. 2411-6 du Code du travail, le salarié ayant demandé à son employeur d’organiser les élections au comité social et économique (CSE) ou d’accepter d’organiser ces élections est protégé contre les licenciements pendant une durée de 6 mois à compter de l’envoi à l’employeur de la demande.
L’article L. 1132-1 du même code précise que le salarié ne doit pas faire l’objet de mesures discriminatoires pour ce même motif.
Lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (C. trav. art. L. 1134-1).
Le licenciement d’un salarié consécutif à une demande d’organisation des élections professionnelles laisse-t-il présumer l’existence d’une discrimination syndicale ? À qui incombe la charge de la preuve ? 

Cass. soc., 28 Juin 2023, n° 22-11.699

Dans cette affaire, un salarié a été employé en qualité de serveur par une société à compter du 2 juin 2014.

Le 9 octobre 2015, il a demandé à son employeur d’organiser des élections professionnelles.

Il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement qui s’est tenu le 5 novembre 2015, avec mise à pied conservatoire, avant d’être licencié pour faute grave le 9 novembre 2015.

Invoquant l’existence d’une discrimination syndicale et la nullité de son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale. Il demandait sa réintégration et le paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités.

La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes considérant que celui-ci « ne faisait état d’aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ».

Le salarié s’est pourvu en cassation soutenant que l’employeur avait engagé la procédure à son encontre le jour même de la réception du courrier par lequel il sollicitait l’organisation des élections.

Pour lui, ces éléments laissaient supposer l’existence d’une discrimination. Il appartenait donc à l’employeur de prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La Cour de cassation lui donne raison. Elle juge que « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l’employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d’organiser des élections professionnelles au sein de l’entreprise ».

Or en l’espèce, la Cour d’appel a retenu que le licenciement prononcé n’était pas justifié par l’existence d’une cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, le salarié soutenait que la procédure de licenciement avait été engagée le 14 octobre 2015, date à laquelle l’employeur avait reçu sa demande d’organisation des élections professionnelles.

En conséquence, il appartenait à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre le licenciement et la demande du salarié d’organiser les élections professionnelles.

Sur un autre enjeu, à l’occasion du second moyen du pourvoi dans cette affaire, la Cour de cassation rappelle que « l’employeur qui n’a pas accompli, bien qu’il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ».

Note : Cette décision illustre l’aménagement de la charge de la preuve dont bénéficient les salariés en matière de discrimination en droit du travail.

Jurisprudence – Relations collectives

Rappel : La consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi porte sur l’évolution de l’emploi, les qualifications, le programme pluriannuel de formation, les actions de formation envisagées par l’employeur, l’apprentissage, les conditions d’accueil en stage, les actions de prévention en matière de santé et de sécurité, les conditions de travail, les congés et l’aménagement du temps de travail, la durée du travail, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et les modalités d’exercice du droit d’expression des salariés dans les entreprises non couvertes par un accord sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail contenant des dispositions sur ce droit (C. trav. art. L. 2312-26).
Le Comité social et économique (CSE) peut décider de recourir à un expert-comptable dans le cadre de cette consultation (C. trav. art. L. 2315-91).
La mission de l’expert-comptable porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension de la politique sociale de l’entreprise, des conditions de travail et de l’emploi (C. trav. art. L. 2315-91-1).
L’employeur lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission (C. trav. art. L. 2315-83).
L’expert désigné par le CSE dans le cadre d’une expertise sur la politique sociale peut-il auditionner des salariés sans l’accord de l’employeur ? 

Cass. soc., 28 Juin 2023, n° 22-10.293

Pour l’exercice clos au 31 décembre 2020, le CSE d’une clinique a décidé de recourir à une expertise destinée à l’assister :

  • d’une part, lors de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de la société d’exploitation de la clinique ;
  • et d’autre part, lors de la consultation annuelle sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

En juillet 2021, l’expert désigné a notifié à la société les lettres de missions au titre de ces deux interventions.

La lettre de mission au titre de l’analyse de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi, faisait ressortir que l’expert envisageait de réaliser ses analyses exclusivement au moyen d’entretiens avec 25 salariés d’une durée de 1h30 sur une durée de 5 à 6 jours.

La société a fait assigner le CSE et l’expert devant le président du tribunal judiciaire aux fins de réduire le coût prévisionnel de l’expertise. L’employeur s’opposait également aux entretiens prévus par l’expert et sollicitait la réduction du nombre de jours prévus pour l’expertise.

En défense, l’expert a demandé au tribunal d’enjoindre à l’employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens.

Le tribunal saisi a rejeté la demande d’injonction de l’expert et a souverainement estimé la durée prévisionnelle et le coût prévisionnel de l’expertise en fonction de la mission confiée à l’expert.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation approuve le tribunal. Elle retient que « l’expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi, s’il considère que l’audition de certains salariés de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés ».

Note : C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la question de l’audition de salariés par l’expert-comptable désigné dans le cadre d’une expertise diligentée par le CSE, en la subordonnant à l’accord de l’employeur et des salariés concernés « dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi ». La portée de cette jurisprudence sur les autres cas d’expertise reste à préciser, l’attendu de principe ne visant que la consultation sur la politique sociale.

Législation et réglementation

Le Conseil d’administration de l’AGS réuni le 20 juin dernier a décidé de maintenir le taux de cotisation patronale AGS à 0,15% au 1er juillet 2023.

Pour rappel, la cotisation AGS permet aux entreprises de garantir le salaire des employés en cas de difficultés (sauvegarde, redressement, liquidation).

Rappelons que le taux de 0,15% est identique depuis le 1er juillet 2017.

Pour mémoire, le CDD tremplin a pour vocation de permettre à des personnes handicapées de bénéficier d’un parcours de remise à l’emploi, de qualification et de construction d’un parcours les amenant à retrouver un emploi dans une entreprise autre qu’une entreprise adaptée.

Prévue par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l’expérimentation du CDD Tremplin et des EATT (Entreprises adaptées de travail temporaire) est ouverte pour une liste de secteurs définis par arrêté.

Applicable jusqu’au 31 décembre 2022, l’expérimentation a été prolongée d’un an, jusqu’au 31 décembre 2023, par la loi de finances pour 2023 (L. n° 2022-1726 du 30 décembre 2022).

Le décret n° 2023-515 du 27 juin 2023 tire les conséquences réglementaires de cette prolongation, en modifiant les dates dans les décrets d’application du dispositif.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence – Protection sociale

Cass. 2e civ., 15 juin 2023, n° 21-20.538 

Dans cette affaire la Cour de cassation juge que « les dispositions d’ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ». Dès lors, pour être opposable dans le cadre d’un bien assuré situé en France, la clause d’exclusion présente dans un contrat d’assurance de dommages régi par la loi néerlandaise, doit être formelle, limitée et mentionnée en caractères très apparents, comme l’exige le code des assurances français.

Cass. 2e civ., 22 juin 2023, n° 21-19.179

Lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi à l’encontre de la personne contrôlée, l’URSSAF lui remet un document qui comporte l’évaluation des cotisations et contributions éludées. A la suite de cette remise, la personne contrôlée doit produire les éléments justifiant de l’existence de garanties suffisant à couvrir les montants évalués. A défaut, le directeur de l’URSSAF peut procéder à une mesure conservatoire, sans solliciter l’autorisation du juge de l’exécution. L’URSSAF adresse ensuite à la personne contrôlée la mise en demeure dans les quatre mois qui suivent l’exécution de la mesure conservatoire.

Dès lors, la Cour de cassation rappelle dans cette affaire que par dérogation aux règles de droit commun des procédures civiles d’exécution, la saisie conservatoire pratiquée, sur le fondement de la procédure dite de « flagrance sociale », n’est pas subordonnée à la justification de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance par l’URSSAF, laquelle n’est pas tenue de solliciter un titre exécutoire dans le délai d’un mois suivant la réalisation de la saisie.

Législation et réglementation

Le 28 juin dernier, le Pôle ACPR-AMF a publié son rapport d’activité sur l’année 2022 qui revient notamment sur les pratiques commerciales des professionnels du secteur financier  (transparence et clarté de l’information fournie, qualité du conseil délivré, gestion des conflits d’intérêts) et sur la coordination des sujets européens tels que la révision du règlement PRIIPS ou encore la révision de la directive sur la vente à distance.

Pour en savoir plus

L’ACPR a publié une synthèse sur la situation des organismes assureurs soumis à la directive Solvabilité II en 2022. La synthèse met notamment en évidence :

  • une baisse de collecte nette en assurance-vie sur l’année 2022 en comparaison à l’année 2021 ;
  • une hausse de 5% des rachats en raison de la conjoncture économique ;
  • une baisse du ratio de solvabilité de l’ensemble des organismes d’assurance par rapport à l’année 2021.

Pour en savoir plus

Les organisations syndicales et les représentants des employeurs territoriaux de la Fonction publique territoriale ont élaboré un projet d’accord national sur la protection sociale complémentaire au bénéfice des agents territoriaux.

En matière de prévoyance, le projet prévoit que les employeurs devront assurer au moins à hauteur de 50% le financement d’un contrat collectif à adhésion obligatoire.

En matière de santé, le projet renvoie au décret n° 2022-581 du 20 avril 2022 s’agissant du panier de référence et de la participation minimale de l’employeur.

L’accord sera ouvert à signature prochainement.

L’ACPR a actualisé son analyse sectorielle des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme afin de permettre aux organismes assureurs de réaliser plus facilement leurs propres évaluations des risques.

Pour en savoir plus