Actu-tendance n° 684

DROIT DU TRAVAIL

Jurisprudence – Relations individuelles

Rappel : L’article 145 du Code de procédure civile (CPC) dispose que : «s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé».
Des salariés qui s’estiment victimes de discrimination syndicale peuvent-ils saisir la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article 145 du CPC afin que l’employeur leur communique des éléments de comparaison relatifs aux collègues auxquels ils se comparent ?

Cass. soc. 1er juin 2023, n°22-13.238

Dans cette affaire, en janvier 2018, plusieurs salariés titulaires de mandats de représentants du personnel et estimant être victimes de discrimination syndicale, ont saisi le Conseil de prud’hommes en référé en vue d’obtenir des informations permettant une comparaison de leur situation à celle des autres salariés placés dans une situation comparable.

Ils demandaient la communication de plusieurs documents, notamment les bulletins de paie de décembre des années N-2 à N+2 de chacun des salariés embauchés sur le même site qu’eux, dans la même catégorie professionnelle, et à un niveau équivalent.

Les juges du fond ont ordonné à l’employeur de communiquer ces éléments ainsi qu’un tableau récapitulatif de l’ensemble des informations demandées, sous astreinte.

L’employeur s’est pourvu en cassation. Il soutenait que les salariés en l’espèce, invoquaient l’existence d’une discrimination, sans présenter d’éléments de fait de nature à caractériser un litige potentiel entre les parties. En conséquence, il n’existait aucun motif légitime justifiant que les juges ordonnent la communication des données personnelles d’autres salariés.

Pour trancher le litige, la Cour de cassation rappelle que le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu. Ainsi, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Elle approuve la Cour d’appel d’avoir ordonné la communication des éléments après avoir constaté que :

  • Les éléments transmis par les salariés montraient qu’ils avaient connu une évolution de carrière très lente ;
  • le tableau issu de la négociation annuelle obligatoire dressant la moyenne des salaires des salariés classés dans la même catégorie montrait que les salariés étaient tout juste dans la moyenne ;
  • les salariés n’avaient pu obtenir les éléments de comparaison demandés à leur employeur en dépit de l’intervention du syndicat, de la saisine du Défenseur des droits et de celle de l’inspecteur du travail ainsi que d’une mise en demeure.

Elle en a exactement déduit que les salariés étaient légitimes à demander la communication des éléments de comparaison devant les juges.

Note : La Cour de cassation est fidèle à sa jurisprudence antérieure sur le sujet. Dans un arrêt du 16 décembre 2020, elle avait jugé que les salariés qui s’estiment victimes de discrimination peuvent saisir en référé le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir les documents permettant ensuite de la prouver, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (Cass. soc., 16 décembre 2020 n° 19-17.637).

Dans un arrêt du 8 mars 2023, elle a également retenu en matière d’inégalité de traitement qu’une salariée de sexe féminin peut réclamer en justice les bulletins de paie de ses collègues masculins auxquels elle se compare sur le fondement de l’article 145 du CPC (Cass. soc. 8 mars 2023, n° 21-12.492).

Rappel : En principe, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (C. trav. art. L 1132-3-3). 
Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ce principe est nul (C. trav. art. L 1132-4). 
La Cour de cassation rappelle dans cette affaire que la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique que lorsque les faits relatés ou témoignés sont susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime.

Cass. soc. 1er juin 2023, n°22-11.310

Le directeur d’exploitation d’une société avait adressé en décembre 2017, un courriel au président de la société pour manifester son désaccord avec la mise en place d’une carte de fidélité et exprimer ses doutes sur la légalité du dispositif.

En mars 2018, il a été licencié pour faute grave et insuffisance professionnelle, l’employeur lui reprochant dans la lettre de licenciement, cette dénonciation et du chantage pour notamment obtenir une rupture conventionnelle et la négociation du rachat de ses parts d’associé.

Le salarié a contesté son licenciement soutenant qu’il était nul.

La Cour d’appel a donné raison au salarié en retenant que le licenciement était consécutif au moins pour partie à une dénonciation d’un fait pouvant recevoir une qualification pénale. Elle en a déduit que le licenciement était nul dans la mesure où la lettre de licenciement faisait état de la dénonciation de ces faits.

L’employeur s’est pourvu en cassation. Pour lui, la mention dans la lettre de licenciement d’une plainte formulée par l’intéressé en qualité d’associé de l’entreprise et du « stratagème organisé en vue de la cession de ses parts à un montant exorbitant, n’implique pas que le licenciement est motivé, même pour partie, par cette plainte ».

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle considère que pour déclarer le licenciement nul, la Cour d’appel aurait dû constater que « le salarié avait, dans le courriel litigieux, relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime et que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par ce message, le salarié dénonçait de tels faits ». Ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’affaire a été renvoyée devant une Cour d’appel de renvoi.

Rappel : La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (C. trav. art. L. 3121-1).
Le temps des déplacements entre l’entrée de l’enceinte de l’entreprise et les locaux de celle-ci peut-il constituer un temps de travail effectif ?
Cass. soc. 7 juin 2023, n° 21-12.841

En janvier 2016, un chargé d’affaires a été licencié et a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Il demandait notamment un rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents au titre des déplacements entre l’entrée de l’enceinte de l’entreprise et les locaux de celle-ci.

Il soutenait que ces déplacements étaient constitutifs d’un temps de travail effectif car il ne pouvait vaquer à ses occupations personnelles dans la mesure où il était tenu :

  • de pointer au poste d’accès principal ;
  • de se soumettre à des contrôles de pratiques,
  • de respecter toutes les consignes de sécurité en présence de brigades d’intervention,
  • de respecter un protocole long et minutieux de sécurité pour arriver à son poste de travail
  • et de respecter chacune des consignes du règlement intérieur sous peine de sanction disciplinaire.

La Cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes aux motifs que

  • d’une part, les règles et consignes prévues par le règlement intérieur sur le site, ne sont pas édictées par l’entreprise employeur du salarié, mais imposées par la société propriétaire du site ;
  • et d’autre part qu’avant d’atteindre les bureaux de la société, dans lesquels se situent les pointeuses, le salarié n’était pas à disposition de cette société, et pouvait vaquer entre le poste d’accès principal et son propre bureau, sans contrôle de la part de l’employeur.

Elle en a déduit que ce temps de trajet ne pouvait être considéré comme du temps de travail effectif.

La Cour de cassation n’est pas du même avis. Elle retient qu’il importe peu que le règlement intérieur ait été imposé par le propriétaire du site. La Cour d’appel aurait dû rechercher si, du fait des sujétions qui lui étaient imposées à peine de sanction disciplinaire, sur le déplacement, dont la durée était estimée à 15 minutes, le salarié était à la disposition de l’employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Note : La Cour de cassation est fidèle à sa jurisprudence antérieure sur le sujet.

Dans un arrêt du 9 mai 2022 (Cass. soc., 9 mai 2019, 17-20.740), elle a rappelé que le temps de déplacement au sein de l’entreprise ne constitue pas de plein droit un temps de travail effectif ; il ne sera considéré comme tel que si le salarié se tient à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses ordres sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Rappel : Il résulte de l’article 31 de la Convention collective Syntec que :
« L’ensemble des salariés bénéficie d’une prime de vacances au moins égale à 10% de la masse globale des indemnités de congés payés (CP) prévues par la Convention collective de l’ensemble des salariés.
Toute prime ou gratification versées en cours d’année à divers titres et qu’elle qu’en soit la nature peuvent être considérées comme prime de vacances à condition qu’elles soient au moins égales au 10% prévus à l’alinéa précédent et qu’une partie soit versée pendant la période située entre le 1er mai et le 31 octobre ». 
Les indemnités de congés payés versées aux salariés ayant quitté l’entreprise au cours de l’exercice doivent elles intégrer l’assiette de calcul de la prime conventionnelle de vacances ?

Cass. soc. 7 juin 2023, n°21-25.955

En l’espèce, une entreprise relevant de la convention collective des Bureaux d’Etudes Techniques, des Cabinets d’Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils (dite « Syntec ») a versé pour les exercices 2016, 2017 et 2018, une prime de vacances à l’ensemble de ses salariés.

Contestant le mode de calcul de la prime, le CSE a désigné un expert qui a relevé que l’entreprise a indûment réduit l’enveloppe globale de la prime en excluant les indemnités de CP versées aux salariés ayant quitté l’entreprise.

Le CSE, ainsi que des syndicats ont saisi le tribunal considérant que l’assiette de calcul de la prime doit intégrer la masse globale des indemnités de CP réellement versée au 31 mai de chacune des 3 années.

La Cour d’appel a débouté les demandeurs aux motifs que seuls les salariés présents dans l’entreprise au 31 mai d’une année donnée peuvent prétendre au bénéfice de la prime de vacances.

En conséquence, les indemnités de CP versées aux salariés ayant quitté l’entreprise doivent être exclues de l’assiette de calcul de la prime.

La Cour de cassation n’est pas du même avis. Elle rappelle qu’une convention collective qui manque de clarté doit être interprétée comme la loi, c’est-à-dire :

  • d’abord, en respectant la lettre du texte ;
  • ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet ;
  • et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte.

Elle juge qu’au vu de la rédaction de l’article 31 de la CCN, la prime doit être calculée sur l’ensemble des indemnités de CP versées aux salariés de l’entreprise durant la période de référence, peu important qu’ils aient quitté l’entreprise en cours d’exercice.

Note : La Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure sur la méthode d’interprétation des conventions collectives manquant de clarté (Cass. soc. 14 décembre 2023, n° 21-15.805).

Législation et réglementation

Pour mémoire, les modalités d’application du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) sont fixées par une convention interprofessionnelle du 26 janvier 2015 signée entre l’État et les partenaires sociaux.

Cette convention CSP qui arrivait à échéance le 31 mars 2023 a été prolongée en dernier lieu jusqu’au 31 décembre 2023 par un avenant du 15 mars 2023.

L’arrêté du 9 juin 2023 (NOR : MTRD2314974A) porte agrément de cet avenant et confirme cette prolongation.

Rappelons qu’outre cette prolongation, l’avenant a introduit des modifications au dispositif du CSP :

  • le maintien des règles de calcul de la durée d’indemnisation des bénéficiaires du CSP ainsi que l’exclusion de la modulation de la durée de versement de l’allocation de retour à l’emploi en fonction de la conjoncture économique et de la mesure de dégressivité, indépendamment des modifications issues de la réforme de de l’assurance chômage ;
  • des modifications du mode de calcul de l’indemnité différentielle de reclassement en excluant la rémunération des heures supplémentaires ou complémentaires effectuées dans l’emploi repris à compter du 1er avril 2023 ;
  • la possibilité pour un salarié qui exerce plusieurs emplois et qui se voit proposer un CSP au titre de la perte d’un de ses emplois, de continuer à exercer pendant son CSP des activités professionnelles qualifiées de « conservées » si elles sont compatibles avec son projet de reclassement, à compter du 1er novembre 2023.

PROTECTION SOCIALE COMPLEMENTAIRE

Jurisprudence – Protection sociale

Cass. 2e civ., 1er Juin 2023, n° 21-21.329  

L’étendue de la saisine de la commission de recours amiable (CRA)  se détermine au regard du contenu de la réclamation et non en considération de la décision de cette commission.

Le fait que la critique de certains chefs de redressement ne soit pas motivée importe peu, dès lors que la saisine de la CRA indiquait contester l’intégralité du redressement.

Législation et réglementation

Le décret définit les plafonds applicables et règles de comptabilisation de la provision mentionnée au II de l’article 39 quinquies G du Code général des impôts et créée par l’article 6 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023.

Il instaure également cette provision dans le code des assurances.

Pour en savoir plus

Le CEPD a publié de nouvelles lignes directrices relatives au calcul des amendes administratives, et à la procédure d’adoption des décisions contraignantes en matière de protection des données personnelles.

Ces lignes directrices ont pour objectif :

  • d’une part, d’harmoniser les méthodes de calcul des amendes administratives pouvant être prononcées par les autorités nationales ;
  • et d’autre part, actualiser la procédure de résolution des litiges entre autorités de protection des données, afin de tenir compte de certaines évolutions des règles de procédure du CEPD et des contributions reçues lors de la consultation publique.

Pour en savoir plus

Un Arrêté du 6 décembre 2022 (NOR : ECOT2234644A) introduit pour les intermédiaires d’assurance ou de réassurance, banques et autres acteurs du secteur financier, une obligation de fournir leurs modalités de contact sur le site de l’Orias (www.orias.fr).

Cette nouvelle obligation est entrée en vigueur depuis le 1er juin 2023.

Dans un communiqué du 9 juin 2023, l’Orias a mis en ligne un guide à destination des professionnels concernés pour la mise en œuvre de leur nouvelle obligation.

Pour en savoir plus